Pierre Birnbaum - Napoléon, les Juifs et l'Etat Fayard 2007 / 22 € - 144.1 ffr. / 294 pages ISBN : 978-2-213-63211-7 FORMAT : 15,0cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe vient de soutenir une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines dune mémoire nationale». Il a publié LEurope de François Guizot (Privat, 2002). Imprimer
A défaut de commémorations officielles, le bicentenaire de laventure napoléonienne a suscité nombre détudes critiques sur le régime, qui ont parfois engendré de vives polémiques. Le débat sur le rétablissement de lesclavage en est sans doute lexemple le plus frappant. Louvrage de Pierre Birnbaum, LAigle et la synagogue, sinscrit dans ce contexte. Publié deux cents ans après la réunion du Grand Sanhédrin, le 6 février 1807, il souvre par un chapitre consacré à la perception par la communauté juive et surtout les historiens de luvre napoléonienne. Son inscription dans les débats mémoriels actuels se manifeste également par les fréquents parallèles entre le sort des Juifs et celui des Noirs des colonies au cours de la même période. Lauteur, politiste réputé, sétait jusquà présent surtout consacré à létude des rapports entre les Juifs et lEtat français sous la IIIe République, notamment à travers son étude de la participation à la haute fonction publique de Juifs, les «fous de la République». Il entend ici remonter aux origines de ce problème dans la France contemporaine.
Louvrage rappelle brièvement le sort des Juifs depuis la fin de lAncien Régime, et les débats lors de la Révolution qui précédèrent leur accès à la citoyenneté, sous limpulsion de labbé Grégoire. Létude souvre véritablement avec la convocation de lAssemblée des notables juifs, en 1806. Partant dune thèse controversée, selon laquelle les années 1806-1808 consacrent le retour à une France catholique, aristocratique, en bref à un succédané de lAncien Régime, Pierre Birnbaum veut montrer que la politique juive de Napoléon sinscrit dans cette perspective. Alors que des tensions persistantes opposent dans lEst de la France les populations chrétiennes aux Juifs identifiés à des usuriers, lEmpereur entend par la convocation dune assemblée de notables vérifier la possibilité de concilier le judaïsme avec lappartenance à la patrie française, remettant ainsi en question lintégration acquise en 1791. Quelque temps plus tard, cette Assemblée cède la place au Grand Sanhédrin, chargé de donner plus de poids aux décisions prises par les représentants laïcs et surtout rabbiniques du judaïsme.
Lauteur sefforce de manière convaincante de montrer comment les Juifs français sont assimilés demblée à la figure de lAutre, de lOriental en loccurrence, en sappuyant tout à la fois sur des textes, le vocabulaire employé, «le Grand Sanhédrin» et les représentations iconographiques, longuement décrites, même si l'on regrette labsence de reproductions. Il souligne également comment, au-delà déloges convenus de Napoléon, les participants juifs tentent de prévenir toute remise en cause de légalité révolutionnaire. Cest cependant en vain. Afin de hâter une assimilation quil juge inopérante, Napoléon, de sa propre autorité, impose le 17 mars 1808 par un décret des conditions particulières aux citoyens français juifs. Elles limitent leur liberté de déplacement, leur rendent plus difficile lexercice des professions commerciales
Ces mesures, certes temporaires, rencontrent dailleurs une opposition certaine dans lappareil dEtat : de nombreux préfets parviennent ainsi à obtenir lexemption des juifs de leur département dans les années qui suivent, et elles cessent totalement sous la Restauration.
Clairement formulée, la thèse de Pierre Birnbaum ne convainc pas forcément. En se focalisant sur la cohérence idéologique dun Empereur foncièrement antijudaïque et même antisémite, il a tendance à écarter les éléments qui lamèneraient à nuancer son point de vue. Ainsi, même sil y revient par la suite, il naccorde guère dimportance dans sa démonstration aux autres décrets parus le même jour et organisant la religion juive à linstar des cultes chrétiens. Surtout, il néglige le contexte social et ne mentionne quen passant leffet de lincorporation de nombreuses communautés juives à lintérieur des frontières du Grand Empire.
Louvrage sachève enfin par un retour sur les réactions suscitées par luvre napoléonienne au cours des décennies suivantes, tant parmi les juifs de France que dans les milieux nationalistes et antisémites. Alors que parmi les différents responsables du judaïsme, les visions divergent en fonction notamment du regard porté sur lintégration dans la société française, du côté de la droite antisémite, lapprobation dun Empereur qui aurait été le dernier à combattre la mainmise juive est très largement répandue, même si beaucoup lui reprochent sa trop grande mansuétude.
Sappuyant sur une bibliographie récente, louvrage, facile à lire et qui dispose dun index utile, nous semble cependant devoir être davantage remis en contexte, en le confrontant par exemple avec les travaux de Lily Marcou, qui défend une thèse opposée sur le même sujet, ou avec les études plus générales de Jacques-Olivier Boudon sur Napoléon et les cultes ou ceux de Natalie Petiteau sur lhistoriographie napoléonienne.
Pierre Triomphe ( Mis en ligne le 04/05/2007 ) Imprimer
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