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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Prélude aux Bienveillantes | | | Jean-Luc Leleu La Waffen-SS - Soldats politiques en guerre Perrin 2007 / 29,80 € - 195.19 ffr. / 1237 pages ISBN : 978-2-262-02488-8 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
A lévidence, il existe un mythe autour de la Waffen SS, le corps militaire de la SS : celui dune armée nazie, composée de soldats fanatisés par une idéologie mortifère, et, à ce titre, formant un adversaire redoutable qui ne recule devant aucune exaction ni aucun sacrifice. La route sanglante tracée par la division das Reich dans le sud ouest de la France, une route qui passe notamment par le village dOradour-sur-Glane, témoigne à elle seule de la férocité de «soldats» à mi-chemin du militaire et du politique. Sattaquant à cet objet historique sur lequel quelques chercheurs français commencent à sillustrer (C. Ingrao notamment), J.-L. Leleu sest intéressé à la Waffen SS non seulement comme corps darmée original, savant mélange de théories raciales, didéologie nazie et de nécessités stratégiques, mais également comme un exemple du fonctionnement de lEtat nazi. Un objet scientifique ambitieux, au confluent de lhistoire militaire et de lhistoire sociale et politique, derrière lequel on peut distinguer la complexité des jeux de pouvoir dans la cour hitlérienne et lévolution des normes dans lAllemagne nazie.
Un objet qui pose énormément de questions : dans quelles conditions est-il créé ? Quels sont ses rapports avec la Wehrmacht ? Dans quels enjeux de pouvoirs sinsère-t-il ? Comment le corps est-il formé ? Comment recrute-t-on les hommes et sur quels critères (idéologique, physique, racial
) ? Qui sont les Waffen SS ? Quelles sont leurs conceptions, leurs références ? Quelles adaptations enfin avec le temps et les nécessités de la guerre ? Comment la Waffen SS est-elle utilisée ? Autant de questions qui dévoilent la singularité de ce corps, et qui justifient une étude serrée. Cest chose faite avec le travail de Jean Luc Leleu, chercheur au CNRS, qui fera désormais référence.
Tiré dune thèse massive et primée par le CEHD, louvrage en a lampleur, lambition et le style (parfois pesant, parfois enlevé, sensible à une jolie formule comme cette «Anabase» pour évoquer le retrait du front de lOuest) également : de fait, il sagit dun ouvrage scientifique avec tout ce que le genre comporte de répétitions, de références et de digressions nécessaires à lexercice de la thèse. Lécriture est plus érudite que fluide : louvrage revendique clairement une démarche universitaire et non celle dune «histoire bataille» (
pourtant renouvelée de nos jours). Les annexes notamment (statistiques, bibliographie, sources, index
) sont importantes et témoignent de lampleur de la recherche comme de lambition de louvrage. La lecture est donc parfois austère, mais cest avec maestria que lauteur brasse son sujet et ses 800 000 combattants : lappareil statistique est efficace et le texte répond aux interrogations sans sacrifier à une suite danecdotes de guerre (mais, et cest heureux, en se penchant sur certains épisodes perçus comme éclairants). Le plan, plutôt thématique, est assez original : alternant les visions densemble et lanalyse des individus, lauteur joue des contrastes et des changements déchelle pour approcher, par divers angles, la réalité de cet instrument militaire et idéologique.
Partant, dans une première partie, de la question quantitative (combien dhommes compte la Waffen SS et sur quels critères sont-ils recrutés), lauteur entraîne son lecteur dans les méandres de lordre noir (ie : la SS) qui doit, pour exister, aller toujours de lavant dans le sens implicite ou explicite des volontés du führer. Le système de la cour nazie marche à fond et lon assiste aux manuvres souterraines de Himmler pour transformer une garde personnelle en un régiment, puis en un corps darmée doté de tous les attributs du genre (artillerie,
). Et flottant au centre de la décision comme poussé par des vents contraires Hitler décide, hésite, recule ou exige
Reste la question de la concurrence avec larmée traditionnelle, notamment pour un conflit vorace en vies humaines. Car la Waffen SS se livre à une véritable compétition avec la Wehrmacht : transformer une garde prétorienne en un corps darmée suppose de se heurter à linstrument légitime de cette violence légitime constitutive de lEtat wébérien, larmée nationale. Cest tout le paradoxe de la première partie, de montrer ce conflit et ses échos dans la construction chaotique de lEtat nazi en guerre. Loutil militaire en soi fait lobjet de la 3ème et de la 5ème parties : examinant la structure et lorganisation de la Waffen SS, ainsi que son emploi dans le conflit, J.-L. Leleu souligne loriginalité de la Waffen SS, à la fois intégrée à lappareil militaire, partie prenante de la stratégie, et, dans le même temps, singulière dans sa structure, son commandement (au service du führer plutôt que de lEtat) et jusque dans son équipement. Affranchie des règles générales de lorganisation de larmée, conçue même comme une forme de réserve stratégique et idéologique, choyée en terme de matériels (au moins jusquen 1943), la Waffen SS est en quelque sorte une vitrine militaire de lidéologie nazie (lauteur évoque justement une «vitrine idéologique»), aux prises avec des difficultés croissantes. Une vitrine toutefois perfectible (linstruction par exemple, ne se distingue guère de celle de larmée) et dont lefficacité est largement surestimée par la propagande (mais la guerre à lEst est une école de formation rude, et la constitution même de la Waffen SS la fragilise).
Les 2ème, 4ème et 6ème parties sintéressent plus à lindividu, ce qui entraîne un changement déchelle : la problématique ne se situe plus cette fois au niveau de lEtat et du corps darmée, mais bien au niveau des SS eux-mêmes : leur recrutement (évolutif, en fonction des besoins croissants et de la concurrence de larmée légitime, ce qui implique un élargissement du bassin de recrutement et donc des critères de sélection), la sociologie du groupe et les motivations diverses, jusquà la gestion du groupe humain SS, ce fameux noyau primaire qui intéresse les anthropologues de la violence de guerre, un noyau dont on analyse par le biais des «ressources humaines», les conditions de formation. Il sagit en effet de reconstituer le paysage mental lidéologie mais pas seulement cela dun soldat SS, passant par une phase dendoctrinement et la constitution dun esprit de corps qui saffirme notamment effet déchelle - en contraste avec celui de la Wehrmacht (la rivalité est manifeste jusquen 1941, puis délayée dans les difficultés et la défaite imminente à partir de 1943). Même si la SS peut être également perçue comme linstrument dune justice irrégulière et arbitraire (que larmée sinterdirait dexercer, en particulier contre la résistance), au dessus des lois et règles de la guerre. Le cas spécifique de la division Hitlerjungend est également envisagé. Bien évidemment, louvrage revient sur la «violence de guerre» - un thème très labouré par lhistoriographie actuelle mais comme aboutissement dun processus non seulement culturel (le «principe de dureté» de la SS), mais également institutionnel (le fonctionnement du commandement, qui émiette les ordres et fausse les perspectives morales). Là encore, évoquant, avec un réel bonheur dexpression, une «taylorisation du massacre», lauteur apporte à des pratiques qui semblent inaccessibles à lentendement des explications intéressantes. Très logiquement, laffaire dOradour est analysée à la lumière de ce double mouvement, en utilisant largement les procès verbaux daprès guerre (au risque des relectures, risque «calculé» par lauteur). Une démonstration efficace.
En définitive, cest une plongée inédite et très novatrice dans un univers finalement méconnu, en dépit dune propagande résiduelle (par le cinéma, la littérature
) encore efficace. Une référence, tant pour lhistoire de la guerre que pour létude du fonctionnement de lEtat nazi en guerre, à destiner aux historiens en priorité mais qui saura, au fil dune lecture plus ponctuelle, éclairer lopinion de tout amateur dhistoire de la guerre.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 26/10/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Chasseurs noirs de Christian Ingrao Le Nazisme en guerre de Christian Ingrao L'Armée d'Hitler de Omer Bartov | | |
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