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Chasse à l'homme
Joël Michel   Le Lynchage aux Etats-Unis
La Table Ronde 2008 /  23 € - 150.65 ffr. / 348 pages
ISBN : 978-2-7103-2951-0
FORMAT : 15cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen(Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman(Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Joël Michel, normalien, agrégé d'histoire, est spécialiste du monde européen et des États-Unis. Il a publié une biographie de Condolezza Rice, La Puissance et la grâce (La Table Ronde). Le Lynchage aux États-Unis est le premier livre qui est consacré au lynchage en France. La scène qui ouvre le livre fait froid dans le dos. L'auteur relate le lynchage d'un jeune noir de 17 ans dénommé Jesse Washington, perpétré le 16 mai 1916. Accusé du meurtre et du viol d'une fermière, le jury a à peine le temps de le déclarer coupable qu'un groupe d'hommes s'empare de lui. On l'attache et on le met en route, la foule arrache ses vêtements et le frappe à coups de bâtons, de briques, de pelles. On lui coupe les oreilles puis le sexe. Il reçoit 25 coups de couteau mais ne meurt pas. On entasse toutes sortes de matériaux inflammables au pied d'un arbre et on suspend Jesse Washington au-dessus. Quand il commence à brûler, des cris de joie s'élèvent. Il y a 10 000 à 15 000 personnes. Son corps carbonisé, on permet aux femmes et aux enfants de regarder. On pend une fois de plus Jesse Washington, puis quelqu'un traîne son torse derrière un cheval. Les membres et la tête se détachent. Des petits garçons s'en emparent pour extraire les dents qu'ils vendent 5 dollars pièce. Les restes sont ramenés dans son village et exhibés pendant plusieurs jours sur un poteau téléphonique. Sur une photo du livre, des hommes prennent la pose devant les restes carbonisés de Jesse Washington. L'un d'eux écrit : «C'est le barbecue d'hier soir. Je suis à gauche où j'ai fait une croix. Votre fils. Joe».

Voilà une scène classique d'un lynchage de Noir aux États-Unis. Comment comprendre un tel déchaînement de violence et la fierté d'hommes posant devant ce qu'il reste de leur victime ? Comment des hommes et des femmes peuvent-ils se comporter ainsi ? On note 4789 lynchages jusqu'en 1952 aux États-Unis. Le cinéma américain a parfois évoqué le phénomène, notamment dans deux excellents films, Fury (1936) de Fritz Lang et La Poursuite impitoyable d'Arthur Penn, qui n'en donnaient qu'un aperçu. Les romans de William Faulkner, entre autres, en témoignent aussi.

C'est à la fin du XVIIIe siècle, à l'instigation du juge Lynch, que les citoyens de Virginie prennent l'habitude d'infliger des châtiments corporels à ceux qui enfreignent la loi, les bonnes moeurs... Pendant longtemps, le lynchage reste la marque de l'ouest, de la Californie en proie à la ruée vers l'or dans les années 1850. La guerre de Sécession généralise la violence expéditive (d'où naîtra le fameux Ku Klux Klan) contre les républicains et leurs alliés Noirs jusqu'en 1871. Les lois Jim Crow privent les Noirs de droits et organisent la ségrégation raciale. Quand la violence diminue, le lynchage subsiste dans le sud où il devient un des instruments de la violence raciale.

Le lynchage, explique Joël Michel, est donc propice au sud à cette époque, le pays du coton, le long du Mississipi et dans la black belt - Caroline du sud, Georgie et Alabama (90% des lynchages après 1890). La crise de 1890 (dépression agricole, effondrement des prix du coton) voit s'accentuer le lynchage. Ce dernier est consubstantiel à la relation de travail dans l'exploitation cotonnière. Certes, si le racisme ne se cantonne pas aux ghettos urbains et se fonde sur la culture des maîtres, on aurait tort d'assimiler radicalement lynchage et racisme car l'un comme l'autre se basent sur un mécanisme qui dépasse les simples considérations sociales ou ethniques. Ici, à l'évidence, les Noirs sont des coupables tout désignés et un seul soupçon suffit. Si les victimes sont des vagabonds, des migrants, ils sont aussi souvent délogés des prisons pour être lynchés sans crier gare. On les traque et l'on emploie au besoin des nigger dogs. On évoque le maintien de l'ordre, la suprématie des Blancs et la pureté de la femme blanche (le viol de femme blanche est la cause de 22 à 25% des lynchages) pour légitimer ces actes de barbarie, au nom d'une soi-disant justice populaire.

Joël Michel ne s'en tient pas à un simple panorama et pousse son enquête avec des détails parfois surprenants. Les femmes (et des enfants) se joignent volontiers aux lynchages en apportant le bois du bûcher par exemple. Les Noirs américains à cette époque peuvent aussi être très violents et se lyncher entre eux ! Ils participent et prêtent main forte aux lynchages d'autres Noirs. Certes, les Blancs lynchés par des Noirs sont rares. Entre 1882 et 1930, 148 personnes sont lynchées par des Noirs ou des groupes mixtes.

Joël Michel ne cherche pas réellement à dépasser les faits historiques, à trouver des causes philosophiques ou anthropologiques au phénomène. Quand il s'y aventure, il se méprend sur le concept de bouc émissaire en reprochant que l'on en fasse une utilisation laxiste. Évoquant René Girard, Joël Michel se trompe dans le fonctionnement du mécanisme du bouc émissaire, notamment dans le fait que ce mécanisme (qui ne peut fonctionner que s'il n'est pas compris des lyncheurs) impliquerait selon l'auteur de croire alors en la culpabilité réelle de la victime. Or, c'est précisément cette culpabilité supposée des victimes qui permet au mécanisme de rester inconscient et de fonctionner.

Précis dans ses références, pointu dans ses analyses, effrayant dans ses descriptions, cet essai s'appuie sur les publications récentes d'historiens américains : jusque dans les années 1990, le lynchage était un sujet tabou. Il évoque aussi la résistance noire à ces atrocités et c'est avec raison qu'il met en garde contre toute victimisation : «Prenons garde à ne pas voir les Noirs américains uniquement avec ce statut de "victimes", qui ne résume pas leur existence. Les enfermer dans une "communauté" plus commode que réelle, c'est ne pas rendre justice à la dynamique interne de ce groupe humain, c'est aussi l'exonérer de ce qu'il est. Les définir uniquement par l'oppression dont ils souffrent, c'est ne leur donner d'existence que dans leur rapport au monde blanc, exactement comme le veulent les racistes, ce qui est une autre manière de refuser leur humanité» (pp.157-158).

Bref, un essai instructif sur une période encore mal connue.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 26/08/2008 )
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