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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

L’image ambivalente des gendarmes dans la société française
Yann Galera   Les Gendarmes dans l’imaginaire collectif - De 1914 à nos jours
Nouveau monde 2008 /  26 € - 170.3 ffr. / 367 pages
ISBN : 978-2-84736-283-1
FORMAT : 14cm x 22,5cm

L’auteur du compte rendu : Eric Alary, agrégé d’histoire, docteur en histoire de l’IEP de Paris, est professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure à Tours, enseigne au cycle ibéro-américain de l’IEP de Paris et est chercheur associé au Centre d’Histoire de Sciences Po Paris. Il est l'auteur entre autres d’une Histoire de la Gendarmerie nationale (Calmann-Lévy, 2000), de La Ligne de démarcation (Perrin, 2003) et Des Français au quotidien. 1939-1949 (Perrin, 2006).
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Depuis bientôt dix ans, les chercheurs en histoire sociale et en histoire militaire ne cessent de livrer des travaux de qualité sur l’histoire de la gendarmerie et plus particulièrement sur celle des gendarmes. Yann Galera offre d’observer tous les linéaments qui font et défont la réputation de l’Arme ; cette image fait tantôt craindre les gendarmes tantôt les rend sympathiques et attachants aux yeux de l’opinion. Ancien gendarme, docteur en histoire contemporaine, l’auteur a travaillé au Service historique de la gendarmerie nationale pendant plusieurs années ; pour ce livre, il se penche particulièrement sur les préjugés légendaires et les pouvoirs réels que lui prête la population. L’exercice n’est a priori pas aisé, mais l’auteur, dans une langue claire, décrypte toutes les facettes qui nourrissent les fantasmes des Français à propos des «soldats bleus», ce depuis 1914. Tantôt rejetées, tantôt appréciées, les forces de gendarmerie nouent une relation singulière avec la population qu’elles côtoient, notamment dans les campagnes. Comme souvent en histoire sociale, la vérité historique se situe entre légende noire et légende dorée.

Ce qui ressort de la lecture de cette étude, c’est que l’image des gendarmes est souvent tributaire des missions difficiles qui leur sont confiées. Leurs pouvoirs, importants, qui autorisent parfois l’usage de la violence, ne les rendent pas toujours très populaires. Ils représentent l’Ordre et suivent les lignes directrices du régime en place, au rythme des difficultés socio-économiques du pays. Ils sont l’incarnation de l’Etat et donc des cibles de choix de la vindicte populaire. Si la gendarmerie a beaucoup changé en un siècle, le regard méfiant et craintif des citoyens montre une grande permanence en ce qui concerne les préjugés à son encontre, dont les racines remontent au XIXe siècle. Les images sont héritées et ont la vie dure. La réputation du gendarme est ambivalente, mélangeant des sentiments de défiance à la reconnaissance d’un travail utile à la nation, celui de sa sécurité. Que la société se sente menacée par des dangers réels ou transmis par les medias qui peuvent les grossir et le gendarme est soit recherché soit honni ; dans ce dernier cas, il n’est qu’à se rappeler des images très négatives nées de Mai 68.

Autour d’un très long prologue (75 pages) et de deux parties, Yann Galera décrit avec précision combien Pandore est devenu une haute figure de l’imaginaire collectif du XIXe siècle, très en vue dans les romans. A la Belle Epoque, la presse populaire (l’auteur fait une étude de cas autour du Petit Journal) tisse l’image du «bon gendarme». La IIIe République a utilisé de moult façons la gendarmerie pour réprimer les manifestations ouvrières dans les première années du XXe siècle, expulser manu militari des religieux, après les lois de 1905 et 1906, portant sur la séparation des Eglises et de l’Etat. L’image des gendarmes en a longtemps souffert, car la sympathie de l’opinion alla vers les ecclésiastiques malmenés. Cependant, rappelons que dans l’ouest, des gendarmes ont refusé d’obéir aux ordres de l’Etat. Le bicorne, la moustache, le bleu ostentatoire et les patrouilles deux par deux résument trop rapidement la gendarmerie, sous forme de clichés déformants.

Dans la première partie (1914-1939), l’auteur montre que l’image a évolué. La Grande Guerre a révélé des gendarmes prévôtaux très mal perçus par les poilus ; il n’est qu’à relire quelques pages de Ceux de 14 de Maurice Genevoix, par exemple. Les gendarmes sont devenus les «cognes» ; l’image du gendarme est triple : il est «l’embusqué», «le profiteur» ou «le trouble-fête». La relation entre les soldats du front et les gendarmes aux armées s’en est trouvée durablement troublée. Cette image a été progressivement réhabilitée, mais seulement en partie. Pour autant, dans l’entre-deux-guerres, les prévôtaux ont été oubliés dans le travail de commémoration et de mémoire. Pourtant, certains ont risqué leur vie et sont morts ; ils ont accompli des missions d’espionnage et ont permis que l’ordre soit tenu au mieux dans les armées. Ils ont ainsi ressenti cet oubli provisoire comme une grande injustice. En 1927, lors de la création de la carte d’ancien combattant, ils sont purement et simplement écartés de son obtention. Entre 1919 et 1939, malgré la création de la gendarmerie mobile, l’image de Pandore semble encore «insurmontable». Les survivances du XIXe siècle sont étudiées avec soin grâce à des sources musicales, artistiques et iconographiques. La population est mieux informée des nouvelles missions des gendarmes telle la prévention routière. Le gendarme est de plus en plus vu aux carrefours des routes ; il incarne une autre forme d’ordre. Il veille à la fois à la sécurité des routes, mais aussi à celle des conducteurs. Le gendarme sait aussi se rendre populaire à l’occasion de missions de secours et d’assistance.

La deuxième partie permet d’entrer dans une autre phase de l’histoire des gendarmes : le mythe de Pandore sombre sous le régime de Vichy, le gendarme est perçu comme incapable de sortir de la culture d’obéissance à laquelle il est habitué ; la gendarmerie a prêté son concours à des épisodes noirs tels que la rafle du Vél d’Hiv et la garde des camps d’internement, notamment celui de Drancy où les «soldats bleus» de l’Arme ont terni l’image de tout un corps : par exemple, la capitaine Vieux battait les internés à coups de nerf de bœuf. La gendarmerie a une image noircie pour prix de son légalisme. L’auteur étudie la marge de manœuvre des gendarmes, souvent maigre, pour désobéir. Avec l’instauration du STO au début de février 1943, les gendarmes deviennent les «bêtes noires» des jeunes et de leur famille ; les gendarmes sont chargés de la traque aux réfractaires. Cela dit, ils ont aussi réagi pour la première fois en permettant à des centaines de gens de fuir pour échapper au STO ; cela a contribué à grossir les rangs des maquis.

L’image des gendarmes varie selon les points de vue : le regard porté sur les gendarmes tant par les résistants que par les collaborateurs est assez finement mis en perspective. Les rancoeurs à l’égard de l’Arme ne cessent de rejouer depuis 1944 au rythme des réveils de la mémoire. Jusqu’aux années 1970, c’est le refoulement qui domine, ce qui rejoint la thématique pionnière mise en lumière par Henry Rousso. L’auteur revient évidemment sur la polémique autour du film Nuit et Brouillard en 1954 ; en montrant un képi au sommet d’un mirador veillant sur un camp d’internement, Alain Resnais a voulu signifier le rôle de l’Etat dans la persécution des Juifs sous l’occupation. La censure officielle a fait pression pour que l’image soit gommée provoquant une réaction indignée des déportés et des résistants. Au sein de l’Arme, les oublis des années de l’après-guerre, réveillés par l’affaire du film de Resnais, laissent planer le malaise. Les années 1970 sont celles où les tabous sont bousculés : l’évocation de la collaboration est devenue obsessionnelle. Les gendarmes sont montrés, au même titre que les policiers, comme des complices de la collaboration ; par exemple, Marcel Ophüls montre une France qui n’est en rien unanimement résistante. D’autres films mettent en scène des gendarmes «résistants malgré eux». La gendarmerie a été frappée d’amnésie pendant plusieurs décennies. Depuis les années 1990, des historiens se sont attaqués à tous les versants de l’histoire des gendarmes, souvent aidés par le Service historique de la Gendarmerie nationale. L’ouvrage de Yann Galera s’achève par une étude sur les stéréotypes construits depuis quelques décennies, notamment à partir de l’étude du Gendarme de Saint-Tropez avec Louis de Funès.

L’ouvrage est donc solide et fort bien documenté ; il aide véritablement à mieux comprendre comment la gendarmerie souhaitait être perçue par l’opinion et comment cette dernière a reçu les images souvent héritées de Pandore devenu un personnage à l’image professionnalisée. Le livre se termine sur l’analyse des résistances des gendarmes et des crises de plus en plus rapprochées qui touchent l’Arme. Des efforts de communication ont été faits par la Gendarmerie, mais nombre de gendarmes semblent souffrir de leur statut évolutif, d’un manque de moyens et de reconnaissance.


Eric Alary
( Mis en ligne le 23/09/2008 )
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