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Pensées décousues du nonce Roncalli en France
Angelo Giuseppe Roncalli   Journal de France - Tome 2 (1949-1953)
Cerf 2008 /  84 € - 550.2 ffr. / 825 pages
ISBN : 978-2-204-08612-7
FORMAT : 14,5cm x 23cm

Préface d’Etienne Fouilloux.

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.

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Cette traduction par Le Cerf, en France, des agendas de travail d’Angello Giuseppe Roncalli suit de près leur édition en Italie par l’Institut pour les sciences religieuses en 2006 à Bologne. Il s’agit de la seconde partie du «journal de France» qui rassemble les notes du futur pape Jean XXIII pendant sa nonciature apostolique en France de 1945 à 1953. Il s’agit donc de l’édition scientifique avec préface, introduction, notes en bas de pages et index d’un document historique important à plusieurs titres : témoignant de la vie, des conceptions et des activités d’un personnage-clé de l’histoire de l’Eglise catholique après la Seconde Guerre mondiale, dans la période qui précède son cardinalat (il l’obtient avec sa nomination à l’archevêché de Venise), peu de temps avant son élection comme souverain pontife (1958), ces notes permettent de mieux saisir le parcours et la personnalité de celui qui allait convoquer le Concile Vatican II, tournant majeur du catholicisme au XXe siècle ; il s’agit aussi d’un document sur la France de l’après-guerre et du début de la Guerre Froide, vue par un prélat italien certes, à qui certains (Wladimir d’Ormesson notamment) reprochent son manque d’intérêt profond et de sympathie pour «la Fille aînée de l’Eglise» en laquelle il verrait une société trop moderne et déchristianisée, une république trop laïque et gauchiste, menacée par le communisme, mais les agendas montrent qu’en fait, malgré sa nostalgie de sa Bergame natale et sa fidélité à la cause de la chrétienté d’Orient (Roncalli fut nonce en Bulgarie et s’intéressait au monde byzantin-orthodoxe), l’Italien a développé sa connaissance des réalités françaises et manifeste un réel attachement pour la France au moment de partir. Il y est d’ailleurs plus apprécié après 1953 et rétrospectivement même par certains qui le critiquaient. Évidemment, si Roncalli n’est pas forcément l’interprète le plus avisé ou le plus fin de la politique, de la société ou de la culture françaises, sur lesquelles son avis n’est cependant pas sans intérêt, il a quelque compétence pour juger de l’Eglise de France et participe à ses rapports avec le saint Siège qu’il représente.

La forme du texte est celle de notes prises soigneusement au fur et à mesure de la chronologie : il ne s’agit pas d’un rapport thématique bien construit, mais d’un journal de bord, dans lequel Roncalli note méthodiquement le bilan de ses journées ; à l’échelle des mois ou des années, des séquences se dégagent peu à peu, les thèmes dominants se laissent percevoir et s’y succèdent en fonction des centres d’intérêt avant tout religieux du nonce, mais aussi de l’actualité changeante. On n’y trouvera donc pas certains thèmes qu’un observateur laïque aurait jugé bon de traiter, ni bien des noms qu’on pourrait même s’attendre à croiser dans les carnets du diplomate qu’est le nonce. Roncalli se concentre sur ce qui est essentiel pour lui et cependant sa vie française est fort remplie. Ce que les agendas perdent en caractère synthétique, ils le compensent en spontanéité du présent vécu, présent qui est aussi, selon la formule de saint Augustin, celui du passé remémoré et celui, futur, des espoirs et des craintes.

Il ne faut d’ailleurs pas exagérer la «spontanéité» chez Roncalli : à la prudence d’un homme déjà âgé s’ajoutent la discrétion et la modération du diplomate et la dignité du dignitaire catholique. Suivant la formule philosophique grecque qu’il conseille, en latin, à un historien de l’Eglise : «Ne quid nimis !» (Rien de trop !). Ce sens de la mesure s’impose dans le fond et la forme. Diplomate de formation, Roncalli est habile et bonhomme de nature, tous ceux qui le rencontrèrent en ont témoigné. Même dans ses agendas, les jugements franchement sévères sont rares. Ce qui n’empêche pas une fermeté de conviction, d’ailleurs ouverte à la discussion et à la réflexion auprès des auteurs et interlocuteurs qu’il juge «intéressants» (ainsi d’un historien laïque, pourtant critique, du pontificat de Pie XI). Ici se trouve une des clés de son élection surprenante de 1958 : très âgé certes, Roncalli sera considéré par le Sacré Collège comme un pape de transition, destiné à assurer les affaires courantes quelques années, mais il est aussi élu parce que c’est un homme du «juste milieu» dans une Église où s’affrontent des partis, c’est le diplomate du compromis, qui n’a jamais offensé personne et qui se tient à distance aussi bien des intégristes que des modernistes.

Ce fait est utile à rappeler face aux simplifications contradictoires, en un sens compatibles (la légende dorée du «bon pape Jean» ouvert au monde moderne ou celle, noire, des responsabilités catastrophiques du destructeur de la Tradition), qui font obstacle à la compréhension historique sérieuse. Si Jean XXIII a ouvert la voie aux réformes liturgiques de Vatican II, Roncalli, on s’en étonnera peut-être, est un adversaire dans ces agendas de la musique profane dans les églises et un partisan du chant grégorien ! Tenu pour le grand promoteur du dialogue oecuménique, il juge que la proclamation du dogme de l’Assomption de la Vierge, un scandale pour les protestants, est le plus beau jour de sa vie ! Il est fort inquiet de la pénétration du marxisme chez les prêtres-ouvriers et dans le christianisme social, même s’il ne semble pas responsable de la condamnation par Rome en 1954, peu après son départ. Jugé souvent progressiste, Roncalli a tout fait pour protéger les évêques qui avaient eu des sympathies pour Vichy des fureurs de l’épuration en 1945-49 et obtenir des amnisties ; lui-même est très anti-communiste et s’il se lamente sur les chrétiens d’Europe orientale soumis à Staline, il approuve la ligne dure de la IVe république face au PCF : c’est même la raison principale de sa sympathie, relative, pour la SFIO de Ramadier. Il lui reproche en revanche de freiner la bonne politique scolaire, favorable à l’école privée confessionnelle et l'on note son action discrète pour le vote des lois Marie et Barangé, qui instaurent une part de financement public pour l’école privée sous contrat. Fréquentant avec plaisir la droite la plus conservatrice, il reproche à De Gaulle de manquer de capacité à susciter l’identification du Français moyen ! Le héros politique de Roncalli : Pinay ! Son idéal : la province catholique conservatrice des campagnes de l’ouest (sorte de projection de son Italie rurale ?).

Aussi, bien que favorable à la construction européenne, avec le soutien des États-Unis du maccarthysme et sous l’égide des saints patrons de la chrétienté, il ne s’intéresse guère à la méthode pragmatique des petits pas de Robert Schuman, ministre des affaires étrangères permanent pendant la période. De ce fait, la Démocratie chrétienne en France juge Roncalli «réactionnaire»… Il est d’ailleurs partisan du rétablissement des relations avec l’Espagne de Franco, sans, dit-il, toujours approuver sa politique : tant d’énergie catholique se perd depuis trop longtemps pour l’Europe ! Roncalli va jusqu’à imaginer que le manque de dévotion, selon lui, de Vannes et de la Bretagne envers saint Vincent Ferrier (prédicateur espagnol, héros de la Contre-Réforme catholique) serait peut-être dû à l’hostilité envers Franco !

Quant à la vie intellectuelle, on sera bien déçu : les grands noms de la pensée et de la littérature, même catholiques, sont à peine présents (Maritain, Gilson, Mauriac, etc.). Roncalli est un conservateur, apprécié de Pie XII pour sa discipline de travail, sa fidélité personnelle et l’orthodoxie de sa doctrine. Cependant c’est un conservateur modéré, capable d’autocritique et de discernement face aux cabales, adepte de l’apaisement dans l’Eglise ; un esprit qui sait être mondain et séduire par ses boutades, charme le radical Herriot par sa civilité, son goût de la table et sa bibliothèque grecque, un nonce qui sait éviter d’aller trop loin dans les interventions politiques (un clérical, si l'on peut dire, qui apprend à se contrôler dans la France laïque et à ne pas trop profiter des circonstances de la Guerre froide).

Rien de sensationnel donc dans ces carnets. Mais au fil des notes, un portrait se dégage, pas franchement étonnant en général, mais parfois plus surprenant pour qui n’était pas spécialiste de Jean XXIII. Pour qui voudra trouver ici une histoire de la France de l’époque, la lecture sera décevante : les noms et références abondent, que des notes expliquent utilement, mais souvent la France de Roncalli a des bornes étroites et, lot d’un tel journal, quand les grands sujets affleurent, ils sont traités superficiellement ou sans détails. Se pose toujours a priori la question du caractère intégral de ce document, potentiellement sensible, sorti des archives vaticanes. La préface d’Etienne Fouilloux, spécialiste français d’histoire du catholicisme contemporain et responsable de l’édition italienne de ce volume, permet de mettre ces notes en perspectives et renvoie à maints travaux historiographiques.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 12/05/2009 )
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