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Le Pérou du président Gonzalo | | | Santiago Roncagliolo La Quatrième épée - L'histoire d'Abimael Guzman et du Sentier lumineux Cerf - Politique 2012 / 24 € - 157.2 ffr. / 228 pages ISBN : 978-2-204-09729-1 FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm
François Rambaud (Traducteur)
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Apparu dans les années 80, le Sentier lumineux un nom tiré dune expression du fondateur du parti communiste péruvien, Mariatégui est un surgeon maoïste du parti communiste, fondé par un professeur de philosophie, Abimael Guzman président Gonzalo dans le parti... Ce pourrait être la énième formation dinspiration marxiste dans un continent latino-américain travaillé par les extrémismes, et lon pourrait logiquement voir dans la naissance du Sentier la main de Fidel Castro et une application de la théorie du foco. Mais il nen est rien, et justement, la singularité du mouvement, bientôt terroriste, mené par Abimael Guzman, réside déjà dans une opposition absolue au castrisme et à lexpérience cubaine. Fidèle au stalinisme, formé au maoïsme (ainsi quà la «guerre populaire») directement à Nankin, Abimael Guzman se considère comme le digne successeur des deux et voit dans la «pensée Gonzalo» le prolongement sud-américain autant que la synthèse des deux courants du communisme. Partisan dune guerre populaire, seule voie vers la prise de pouvoir, Guzman engage son mouvement dans une guérilla éprouvante, au bilan terrible (près de 70 000 morts, imputables également au contre-terrorisme de lEtat péruvien et des Sinchis, ses commandos anti-subversion), entre 1980 et 2000. Cest cette histoire, vue sous langle de la biographie dAbimael Guzman, que retrace Santiago Roncagliolo, un jeune reporter péruvien.
Demblée, Roncagliolo se met en scène, évoquant les difficultés dune enquête journalistique dans un pays encore traumatisé par une quasi guerre civile entre sentiéristes et militaires
Une enquête qui passe par les proches, les avocats du mouvement, les témoignages des uns et des autres, pour dessiner peu à peu la physionomie dAbimael Guzman, théoricien et praticien de la guerre révolutionnaire, chez qui lidéologie domine largement toute autre perspective, y compris le réalisme. Le culte du chef, établi à coup de purges et de diktats, ainsi quune idéologie de plus en plus radicale, favorisent au sein du parti une logique sectaire (qui se perpétue, pour les militants capturés, en prison), qui explique la dérive du mouvement. Lauteur sintéresse en particulier à partir des révélations des anciens au processus psychologique qui place le militant dans une dépendance absolue envers le camarade Gonzalo, autant gourou que leader révolutionnaire, et explique la violence des sentiéristes.
Confrontées à une violence croissante dès 1980, les autorités péruviennes nont pas immédiatement pris la mesure du problème : cest seulement à partir de 1982 que larmée sempare de la question du sentier lumineux, déclenchant une contre guérilla aussi brutale et terroriste que la guérilla. Le fait est que le Sentier lumineux, sinspirant des théories maoïstes de la guerre révolutionnaire, a organisé dans les campagnes péruviennes un réseau efficace, fondé tant sur ladhésion que sur la peur, jusquà former par endroit un proto-Etat terroriste. A cet égard, la lutte entre le Sentier lumineux et les autorités relève plus de la guerre civile, avec ses phases de retraite et de reconquête, que de la simple police. Une véritable guerre psychologique sinstaure, dont la population rurale fait largement les frais. Dautant que la guérilla a su établir des rapports fructueux avec le narco-trafic, ce qui rend la contre guérilla dautant plus délicate à mettre en uvre
et la délicatesse nest pas la qualité cardinale des commandos anti-subversion. Dans un pays où les groupes dinspiration marxistes sont particulièrement actifs et violents (MRTA, Sentier lumineux), la situation vire rapidement à lopposition entre terreur dEtat et terreur des minoritaires, avec la population en ligne de mire. Le président Fujimori incarne, aux côtés de Guzman, les excès de cet affrontement, et les deux hommes partagent dailleurs aujourdhui le même sort. Toutefois, les efforts des services de renseignement aboutissent finalement à la capture de Guzman, en 1992, première étape dune désescalade. Mais comme le montre bien lauteur, le retour à la normale suppose un accord de paix confirmation de létat manifeste de guerre civile ainsi que la reconstruction dun consensus social, via les commissions justice et vérité.
Il nexiste pas douvrages en français sur le Sentier Lumineux et son fondateur : à cet égard, cet ouvrage savère intéressant, très accessible, même si la forme, entre récit et reportage, peut décontenancer. Les citations nombreuses, les multiples références à des textes doctrinaux en font une base utile pour réfléchir à la violence politique dans laire sud-américaine et spécifiquement andine. On en ressort avec les idées claires et le sentiment dune réflexion honnête, dépassionnée, qui prend en compte non seulement une chronologie complexe, mais sintéresse également aux ressorts de la psychologie du mouvement terroriste, ainsi quaux enjeux, divers, dune sortie du terrorisme. Mais il faut déplorer labsence complète de notes ainsi que de sources : les textes, les conversations citées ne sont jamais référencés
un défaut important pour un ouvrage par ailleurs pionnier. De ce fait, louvrage, bien quintéressant, laisse sur sa faim et ne peut constituer un instrument pour les chercheurs.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 17/07/2012 ) Imprimer | | |