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Le vrai Mai
Kristin Ross   Mai 68 et ses vies ultérieures
Complexe - Questions à l'histoire 2005 /  19.90 € - 130.35 ffr. / 248 pages
ISBN : 2-8048-0020-2
FORMAT : 16x24 cm

L’auteur du compte rendu : Ludivine Bantigny est agrégée et docteur en histoire. Elle enseigne à l’Institut d’Études politiques de Strasbourg et à l’IEP de Paris. Sa thèse, soutenue en 2003, s’intitulait «Le plus bel âge ? Jeunes, institutions et pouvoirs en France des années 1950 au début des années 1960».
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Redonner à mai 68 toute sa dimension politique, lui rendre ses aspects de lutte de classes, démonter avec soin toutes les étapes du processus qui a conduit à ne parler des «événements» qu’en termes culturalistes sur le mode léger d’un «joli mai» : tel est l’objet du livre hautement polémique que signe Kristin Ross.

Déplorant l’absence de vraies réflexions historiennes sur le sujet, même si l’auteur connaît les renouvellements historiographiques récents autour des «années 1968» (Michèle Zancarini-Fournel et ses élèves par exemple), cette chercheuse américaine, auteur entre autres d’un ouvrage sur Jacques Rancière dont elle s’inspire pour certaines de ses analyses, s’attelle non sans talent à replacer «Mai» dans une chronologie longue. C’est ainsi qu’elle ancre solidement son propos dans la France de la guerre d’Algérie pour ouvrir sa réflexion. L’anticolonialisme né notamment du conflit algérien réapparaît donc comme l’une des bases de Mai. Et il est piquant, n’était le tragique des événements, de voir un Papon préfet de police au moment du massacre du 17 octobre 1961, devenu PDG de Sud-Aviation, première usine touchée par la grève ouvrière en 1968 !

Au-delà de Mai, comme le titre de l’ouvrage l’indique, Kristin Ross décrit longuement la façon dont les événements ont ensuite été représentés, commentés, commémorés et finalement métamorphosés. Elle a aussi le souci de redonner la parole aux acteurs anonymes, contre la tendance générale à privilégier les ténors et autres leaders, ceux qui aujourd’hui affirment symboliser et incarner 68, le plus souvent pour en critiquer les fondements. L’auteur y voit confiscation et défiguration contre lesquelles elle entend lutter de toute sa plume. Kristin Ross s’appuie donc sur des témoignages, des tracts, de petites feuilles ronéotypées, des journaux qui rendent mai 68 vivant. Sa démarche essentielle relève de l’analyse de textes et, dans une moindre mesure, d’images. Elle tente de repérer des «tropes» au sein de la «doxa» prévalant au sujet de Mai.

Le livre a le grand mérite (c’est le cœur de sa démonstration) de rappeler qu’en mai 1968 a eu lieu d’abord et avant tout la plus grande grève générale de l’histoire de la France, avec trois fois plus de travailleurs en grève que sous le Front populaire. Sa thèse est aussi de montrer qu’il n’y a pas eu un mouvement étudiant aux revendications corporatistes ou même purement «culturelles», touchant seulement aux mœurs, mais une union entre ouvriers et étudiants (malgré les tentatives gouvernementales et syndicales pour les séparer) à la fois anticapitaliste et anti-impérialiste. Elle revient également sur la violence de Mai, celle exercée par les forces de l’ordre contre les activistes et les simples passants : par exemple, elle analyse, d’un point de vue sémiologique que n’aurait pas renié Barthes, l’objet «matraque» et ses usages. Contre l’idée que «personne n’est mort en 68», confinant à l’interprétation d’un Mai simplement bon enfant, elle rappelle, outre les trois décès que l’on cite habituellement, les centaines de personnes grièvement blessées au cours des affrontements. Elle souligne aussi opportunément que s’entrechoquèrent, en juin, la dissolution des organisations d’extrême gauche, l’interdiction des manifestations de rue pour dix-huit mois, la censure des films portant sur les événements, d’une part, et d’autre part l’amnistie des anciens membres de l’OAS condamnés pour assassinat parmi lesquels Raoul Salan. Elle retrace enfin le militantisme et la sociabilité politique au sein des comités d’action organisés par quartier ou entreprise, dont certains survécurent à Mai.

Le style enlevé de l’auteur, servant parfaitement sa démonstration, ne manque pas d’offrir quelques constatations savoureuses. Un exemple : «Le communisme officiel, quant à lui, savait depuis longtemps quand il fallait arrêter une grève : la veille de sa victoire». Kristin Ross fustige au passage ceux qui «réussirent à apparaître comme les gardiens du temple qu’ils étaient en train de démolir» et s’en prend tout particulièrement aux Kouchner, July et Cohn-Bendit, notamment par l’étude d’émissions commémorant mai 68 où ils figurent toujours en grands témoins. Ce sont les «convertis» auxquels Guy Hocquenghem s’était adressé dans sa fameuse Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col mao au Rotary, en 1986.

On suivra moins Kristin Ross dans sa critique radicale de la notion de «génération», qui ressemble fort à un éreintement. Sa virulence s’explique : elle s’inspire en effet de quelques phrases comme celle signée par Serge July en 1978 : «Désormais, comme les taureaux de n’importe quel élevage, nous portons une marque indélébile : nous faisons partie d’une génération». Elle suit Hocquenghem à la trace lorsque celui-ci constate qu’il suffit d’inverser deux lettres pour passer de «génération» à «renégation»… Du coup, le terme «génération», comme celui de «jeunesse», apparaît dépolitisé et dépolitisant. Il est pourtant des manières plus nuancées d’utiliser ces notions, en tenant compte de la stratification sociale et culturelle en leur sein.

L’essentiel dans ce ouvrage est bien cette critique radicale des interprétations de mai 1968 qui ne veulent y voir qu’une transformation des mœurs et des styles de vie et même l’expression des tendances fondamentales du capitalisme. Aux historiens maintenant de répondre au livre, de le discuter, archives à l’appui !


Ludivine Bantigny
( Mis en ligne le 27/05/2005 )
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