Pierre Lemarchand ''Barbouze'' du général Le Cherche Midi - Documents 2005 / 16 € - 104.8 ffr. / 225 pages ISBN : 2-7491-0413-0 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à lUniversité Bordeaux III et à lIEP de Paris. Il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com. Imprimer
En lisant Pierre Lemarchand, on se croirait presque dans un roman de Ponchardier ! Et comme souvent dans les souvenirs de personnages épiques ayant vécu des périodes de crise, la réalité dépasse la fiction. Le fait est dautant plus amusant que Lemarchand connut effectivement Ponchardier et que ce dernier, gaulliste de choc, ambassadeur mais aussi inventeur du personnage du «Gorille» dans les années 1950, sinspira probablement de leurs aventures communes pour écrire ses romans despionnage.
Le point de départ des souvenirs de P. Lemarchand est en fait son point darrivée, à savoir la réputation sulfureuse qui précéda lavocat Pierre Lemarchand après la guerre dAlgérie. Ce livre est tout entier une défense de son engagement en faveur de la légalité républicaine pendant ce conflit. Lemarchand fut en effet de ceux qui, aux côtés de Lucien Bitterlin et dAndré Goulay, décidèrent de lutter sous couvert dune organisation, le Mouvement pour la coopération (MPC), après le putsch davril 1961, pour aider les forces officielles qui essayaient de défendre lordre et la légalité dans le climat de violence extrême instauré par lOAS. En décembre 1961, Lemarchand, ancien résistant dans le mouvement «Défense de la France», ancien responsable du RPF gaulliste dans la Seine, prit la tête à Alger de ces trois cent hommes. Un tiers dentre eux périt sous les coups des militants de lOAS et notamment des commandos deltas. Ceux-ci avaient emprunté à Ponchardier le terme de «barbouzes» pour désigner leurs adversaires. Ainsi étaient nées les «Barbouzes» que les films dAudiard rendirent encore plus populaires par la suite.
La partie algérienne est la plus intéressante dans ce bref ouvrage. Lauteur veille attentivement à montrer que ces «barbouzes», nemployèrent pas les méthodes terroristes de leurs adversaires et quils eurent notamment des liens étroits avec la délégation générale du gouvernement en Algérie, avec la sécurité militaire ainsi quavec la «mission C», regroupant les policiers fidèles au régime. Rapidement désignée comme une «police parallèle», lactivité du MPC ne fut pas toujours appuyée en métropole par les autorités, y compris par des gaullistes incontestables. Ce témoignage, complémentaire de ceux de Lucien Bitterlin (Histoire des barbouzes, 1972 ; Nous étions tous des terroristes, lhistoire des barbouzes contre lOAS en Algérie, 1983) est donc tout à la fois une contribution à la connaissance de la guerre dAlgérie mais aussi à celle du gaullisme.
Après 1962, Pierre Lemarchand, lié par sa belle-famille à Léon Noël, et proche de Roger Frey depuis les années du RPF, se vit offrir un siège à lAssemblée nationale. Peu de temps après la fin de la guerre dAlgérie, il fut élu député de lYonne. Mais sa carrière politique et professionnelle fut arrêtée par laffaire Ben Barka en 1966. Accusé davoir protégé Figon, il fut radié du barreau et ne se représenta pas à la députation. Lauteur parvient sans trop de peine à convaincre de son innocence dans cette affaire. Il y a un côté «soldat perdu» du gaullisme dans ce récit un peu décousu.
La reproduction en annexe de sa déposition le 10 mars 1982 devant la commission denquête parlementaire sur le SAC est très éclairante sur le personnage. Bon bretteur, il se défend pied à pied et retourne à son avantage une commission qui lui était hostile. La légende du «barbouze» est-elle finalement dissipée ? Partiellement. On voit nettement que lhomme eut à subir après 1962 les attaques incessantes des partisans de lAlgérie française. Il nen reste pas moins quil conserve bien des mystères. Membre précoce du RPF, ignorait-il totalement lexistence du SAC ? Pourquoi cet engagement dans la fournaise algérienne à la fin de lannée 1961 ? Pourquoi ne rien dire dans le livre de lenquête quil mena pour le général de Gaulle sur laffaire Markovic, fait confessé aux parlementaires en 1982 (p.217) ? Cette dernière plaidoirie de maître Lemarchand pose plus de questions quelle napporte de réponses.
Sébastien Laurent ( Mis en ligne le 03/08/2005 ) Imprimer |