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Entre ici, François Mitterrand… | | | Christophe Barbier Les Derniers jours de François Mitterrand Grasset 2011 / 22 € - 144.1 ffr. / 427 pages ISBN : 978-2-246-78498-2 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
Première publication en janvier 2006. Imprimer
Il y a manifestement une vie après lElysée : lAcadémie française, le Conseil constitutionnel, les plages de Normandie
Pour François Mitterrand, ce furent quelques promenades sur le champ de Mars, la place Saint Marc ou dans la campagne clunisienne, des rencontres, des conversations et un cancer à gérer. Christophe Barbier, journaliste à LExpress, sest employé à reconstituer ces mois de retraite, de repos et de lutte jusquau 8 janvier 1996. Le résultat, Les Derniers jours de François Mitterrand, ressort cette année dans une nouvelle édition augmentée, comme le signe dune mémoire assumée, le passage de lactualité à lhistoire. Et ça commence fort : le dernier visiteur du président sortant aura été Jean dOrmesson : larmistice était depuis longtemps instaurée entre lancien directeur du Figaro et le leader socialiste, mais dans cette conversation crépusculaire, il y a quand même un goût de fin de règne, comme dans le célébrissime Souper de J.-C. Brisville, un ton à la fois apaisé et lucide, qui se dévoile dans tout louvrage.
Plus quun récit, plus quune enquête, cest à une véritable reconstitution que se livre C. Barbier, en passant par la description fine, quasi maniaque des deux derniers domiciles (celui de la rue de Bièvre et celui de lavenue Le Play), des entourages (le secrétariat de lancien président et les divers transfuges de lElysée) et de lemploi du temps, des visites, des discussions, des repas même
De fait, la retraite de lancien président est assez occupée, comme une tâche à accomplir, un testament politique à rédiger ou une mémoire à constituer. Il sagit tout dabord de quitter dignement la vieille maison socialiste, tout en surveillant le déroulement de la succession (Lionel Jospin, en moderne Krouchtchev, se réclamant du droit dinventaire) et la rupture quelle entend instaurer
Et cela sans abdiquer toutefois le rôle du patriarche dans ce parti quil a contribué à fonder (en recevant par exemple à Latche, et avec ostentation, deux marginaux de la Jospinie, M.-N. Lienemann et J.-L. Mélenchon, comme dépositaires dune sorte de testament socialiste, un peu radotant du reste). Il sagit également de retrouver les fidèles (Hanin, Glavany, Charasse, Tarot
) pour évoquer les combats passés et les atteintes à la postérité, renouer les fils de la famille, aussi complexes soient-ils (de Gilbert à Mazarine
) entre Paris, Solutré et Latche. Lentourage se resserre, le dernier carré se forme.
Il sagit surtout de préparer le passage à lhistoire, que ce soit dans les projets douvrages (notamment un de Gaulle-Miterrand
plus fantasmé quécrit, mais qui aurait fait un bel essai), les interviews biographiques (avec J. Lacouture, autre bibliophile, séduit et qui livrera ainsi un ouvrage magistral), les conversations écrites (avec G.-M. Benamou en particulier, qui laissera sur ces moments un livre au destin cinématographique, mais aussi avec Elie Wiesel, déçu par les palinodies de son interlocuteur et ses contre-vérités) et les vérités à éclaircir ou à dissimuler (laffaire Bousquet et toute la question des «amitiés» de F. Mitterrand à lombre de Vichy, ou encore la question de lantisémitisme, sur laquelle C. Barbier demeure réservé). Voire même des projets plus improbables, comme dêtre enterré sur le mont Beuvray
Enfin, cest loccasion de dresser un bilan de deux septennats, au gré des humeurs, des interrogations, des discussions, comme une histoire parcellaire, fragmentée, pointilliste que les historiens, suivant la trame élaborée par C. Barbier, auront un jour le soin de rassembler à partir de divers journaux, témoignages et récits dacteurs. Bref, il sagit de mettre en place une mémoire afin que dautres ne puissent la ternir, et cela par tous les moyens : dissimulation, explication, séduction.
Lexercice savère tout de même compliqué, dautant quà lElysée, Jacques Chirac entreprend de manière salutaire de fermer la page de Vichy (sur la question de lantisémitisme et notamment lors de la commémoration de la rafle du Vel dHiv). Et que, dans les rangs de la Mitterrandie, on sagite pour livrer qui sa part de vérité, qui ses carnets intimes et autres instants volés. Ainsi, laffaire Verbatim (le journal de J. Attali et les remous provoqués par sa publication) lève le voile sur les haines voilées, les jugements péremptoires et les mesquineries de lancien président, non sans valoir à son auteur comme témoin dêtre accusé de sacrilège. F. Mitterand aura attentivement suivi et commenté ces polémiques, et cest tout lintérêt de cet ouvrage, de retracer les derniers moments dune vie qui reste publique. Avec toujours, en toile de fond, au hasard des conversations, la littérature, classique, adaptée au contexte (que ce soit les vies des empereurs romains, les considérations de Montesquieu sur la vieillesse ou les leçons de stratégie de Tolstoï) : lagonie du prince comme ultime motif littéraire pour un président bibliophile averti.
La langue est belle, le style ample, les références (aux discours, conversations et ouvrages de F. Mitterrand) nombreuses, lanalyse rigoureuse au détour dune envolée : cest presque un roman, écrit dune main ferme, au style vif. Pas de voyeurisme dans cette chronique des derniers jours, même si la souffrance affleure ou terrasse (comme lors de lascension de la roche de Solutré), si le médecin fait de fréquentes et discrètes apparitions, si les traits se ferment, si la volonté finit par céder. Il y a dans ce bilan dune existence, et surtout dune vie politique, scandée par les crises, les réussites, les drames, des parts dombres
un charme qui tient à la fois du témoignage historique et dune forme de ferveur (génération Mitterrand ?) lettrée qui constitue finalement un bel hommage à cet homme dont lauteur dit que lhistoire «fut sa religion». Laissons maintenant la parole aux historiens
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 11/01/2011 ) Imprimer
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