Aline Dumoulin Paris d'église en église Massin 2008 / 40 € - 262 ffr. / 399 pages ISBN : 978-2-7072-0583-4 FORMAT : 19cm x 28cm
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Strasbourg. Imprimer
Si Rome est «la ville aux mille églises», Paris, lancienne capitale des « rois très chrétiens », est bien dotée aussi dans ce domaine, comme nous le rappelle cet ouvrage collectif, illustré par les magnifiques photographies de Saydou-Bernard Tall et préfacé par Pierre Rosenberg, de lAcadémie française.
Depuis le choix fait par Clovis, premier roi des Francs baptisé dans la foi catholique, de sinstaller un palais de lîle de la cité de Lutèce et même auparavant , les lieux de culte ont fleuri sur les bords de Seine. Ce livre nous invite donc dabord à une promenade. Cette invitation ne sadresse pas seulement aux touristes venus de pays lointains, mais également et peut-être dabord aux Français, aux Parisiens, qui passent tous les jours sans le savoir devant de hauts lieux de lhistoire et de la culture de leur pays, de la ville dans laquelle ils vivent ou travaillent.
Organisé comme un guide du promeneur, mais avec la qualité iconographique et la profondeur des textes dun livre dart, Paris déglise en église a sélectionné cent trente édifices toujours affectés au culte et les présente au lecteur arrondissement après arrondissement. Sont décrits et photographiés lextérieur et lintérieur du bâtiment sacré, son histoire, ses décors, les uvres remarquables quil abrite (tableaux, statues, tombeaux ou cénotaphes des hommes illustres, comme Colbert à Saint-Eustache, Lully à Notre-Dame-des-Victoires). Chaque notice (qui compte en général quatre pages, mais peut aller au-delà, ou se tenir en deçà, en fonction de lintérêt du site) se termine sur des informations pratiques. Des plus célèbres monuments élevés à la gloire de Dieu au fil des siècles jusquà quelque humble sanctuaire caché dans un quartier où lon ne sattendrait pas à le trouver, en passant par les grandes paroisses de Paris, tous les styles se côtoient, témoins dépoques de ferveur. Certains sont mondialement connus : la Sainte Chapelle, Notre-Dame, le Sacré-Cur ; et Paris na-t-il pas son «Lourdes», rue du Bac, avec la chapelle de la Médaille miraculeuse ?
Ici ou là, loin des fastes de la Madeleine scène de la dernière représentation de tant de chanteurs et de comédiens - ou de Saint-Sulpice, on découvre de véritables petits joyaux, comme la si attachante église Saint-Louis-en-LIsle. Autres noms évocateurs de lancienne géographie de la capitale : Saint-Nicolas-des-Champs, Saint-Germain-des-Prés nous transposent un Paris campagnard disparu. A contrario Notre-Dame de lEspérance, achevée en 1997, Notre-Dame de lArche dAlliance (1999) ou déjà Saint-Antoine-de-Padoue (dont le clocher ressemble à un gratte-ciel new-yorkais des années trente) nous immergent dans la civilisation urbaine. Ces bâtiments derniers nés illustrent la perpétuelle évolution dune Église qui veut être de son temps sans perdre son âme, qui se veut dans le monde sans être du monde, tâche ardue. Cet exercice déquilibre - rester debout sur le socle intangible du dogme tout en sadaptant aux nouvelles conditions dexistence du «peuple chrétien» - est nettement visible du côté des paroisses populaires de Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, dans un quartier ouvrier ; ou encore de Notre-Dame-de-la-Gare, construite près de lancienne gare fluviale dIvry.
En égrainant le nom des vénérables personnages auxquels sont consacrés certaines de ces églises, cest une France «éternelle» qui défile devant nous, celle de lenracinement de la foi aux temps mérovingiens, celle de la construction et de laffermissement de la monarchie franque, celle des grands renouveaux catholiques des XVIIe et XIXe siècles : Clotilde, Denys, Geneviève, Germain lAuxerrois, Louis, Martin, Médard, Merry
Les vieux saints du pays continuent de veiller sur une ville qui na plus guère recours à eux. Dans cette cité où le mouvement est perpétuel, arrêtons-nous un instant dans ou devant les églises où sest faite lhistoire : en 1795 un jeune général nommé Napoléon Bonaparte écrase les insurgés royalistes sur les marches de Saint-Roch ; en 1906 ce sont les paroissiens de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou qui, parmi les premiers, lèvent létendard de la révolte contre les Inventaires ordonnés par la «République impie», quelques semaines après la séparation des Églises et de lÉtat ; en 1918, sacrilège suprême, un obus de la grosse Bertha tue des dizaines de fidèles réunis à Saint-Gervais pour loffice des ténèbres du Vendredi-Saint. Là, à Notre-Dame, sest converti Paul Claudel et a été célébrée, entre autres, la messe de funérailles du président assassiné Sadi Carnot ; à Saint-Séverin sest marié François Mitterrand contre la volonté de sa belle famille, à Saint-Joseph-des-Carmes, des dizaines de religieux ont été massacrés dans des conditions atroces lors des journées de septembre 1792, à Montmartre, Ignace de Loyola a fondé la compagnie de Jésus, à Notre-Dame-des-Victoires, la jeune Thérèse Martin a cherché confirmation de sa vocation et a trouvé la route de Lisieux, tandis quà Saint-Étienne-du-Mont, à deux pas du Panthéon (une église désacralisée) et du Quartier latin, des générations détudiants (et notamment des polytechniciens) sont venus prier ; et quau Val-de-Grâce et aux Invalides revivent régulièrement les fastes militaires de la France royale mais aussi impériale et républicaine.
Lieu des échanges, des disputes théologiques en Sorbonne, point darrivée des richesses matérielles, mais aussi des idées nouvelles drainées du monde entier, Paris offre depuis longtemps le visage dun christianisme pluriel. Outre le catholicisme romain, qui se décline dans toutes les langues ou presque (avec lafflux, surtout depuis les années 1950, de communautés très diverses, notamment les Portugais, qui se retrouvent à Notre-Dame-de-Fatima), les rites orientaux sont également présents (Saint-Ephrem pour les syriaques, Saint-Julien-le-Pauvre pour les grecs melkites, Notre-Dame-du-Liban pour les maronites). Les catholiques traditionalistes de Mgr Lefèvre tiennent toujours leur bastion de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, arraché de haute lutte à larchevêché de Paris. La France, terre dasile, a accueilli des réfugiés russes, qui se réunissent à Saint-Alexandre-Nevsky dans les ors et les couleurs de lorthodoxie. Beaucoup plus sobre, lOratoire du Louvre témoigne du fait que la Cour et une partie du royaume ont un moment hésité entre la «foi de leurs pères» et la Réforme. Les luthériens, quant à eux, disposent de léglise des Billettes, à la sortie du Marais.
Que nous le voulions ou non, ces églises de Paris sont au cur de notre héritage culturel, sinon religieux, à nous Français du XXIe siècle. Si le dynamisme de certaines dentre elles comme Saint-Gervais, animée par les Fraternité monastiques de Jérusalem les met à labri de tout projet funeste, des voix sélèvent régulièrement pour prôner la destruction de tel ou tel édifice du méprisé XIXe siècle, «trop cher à entretenir». Cet art «saint-sulpice» fait pourtant partie intégrante de notre patrimoine. Chaque fois quune église disparaît et elles ont été des dizaines en France depuis quelques années -, cest un peu de notre âme qui sen va, cest une concession de plus au matérialisme effréné et au productivisme ambiants (le phénomène touche dailleurs aussi les Pays-Bas, lAngleterre, le Québec et dautres pays encore). Lentretien et le respect de tels lieux simposent donc comme lun de ces «devoirs de mémoire» dont nous sommes si friands, mais qui ont parfois tendances à être si sélectifs.
Le risque existe dune coupure irrémédiable entre les générations qui ont été élevées dans un certain environnement «civilisationnel» et les nouvelles, très souvent complètement ignorantes de ce «bagage» mais qui ne lui sont pas forcément hostiles. Ce risque existe, dune manière plus générale, pour tout ce qui concerne les «humanités» (les langues anciennes, la langue française elle-même, la réflexion philosophique). Pour éviter ce naufrage, un grand effort de pédagogie est nécessaire, heureusement déjà entamé grâce au ministère de la Culture, à la Ville de Paris et à larchevêché : mais il faut multiplier devant et dans les églises les panneaux explicatifs ; il faut mieux mettre en valeur les uvres dart quelles recèlent. En une période de pertes des «valeurs» et des «repères», de «prêt-à-penser» et de «politiquement correct», ces témoins dun passé qui se décline encore parfois au présent nous permettent, à défaut de savoir où va notre société, de se souvenir doù elle vient. Il serait dommage, au nom dune laïcité recroquevillée sur elle-même, ou plus simplement de lindifférence et de la facilité, de nous priver dun tel enrichissement, quitte ensuite à chacun den faire ce que bon lui semble.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 24/02/2009 ) Imprimer |