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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Patrick Boucheron Vincent Azoulay Le Mot qui tue - Les violences intellectuelles de l'Antiquité à nos jours Champ Vallon - Epoques 2009 / 27 € - 176.85 ffr. / 378 pages ISBN : 978-2-87673-504-0 FORMAT : 15,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye poursuit une thèse consacrée au fils de Louis XIV sous la direction du professeur Joël Cornette à lUniversité Paris-VIII. Imprimer
Il est des mots qui ne pardonnent pas, qui attirent des inimitiés tenaces, qui suscitent des rancurs rentrées ou encore de longues polémiques. Le monde intellectuel, particulièrement celui de luniversité, par nature très concurrentiel, est coutumier de ces joutes verbales, moyen habile, sans doute, de sublimer des pulsions violentes. Ce nest donc pas un hasard si ce sont deux maîtres de conférence, Vincent Azoulay, spécialiste dhistoire grecque, et Patrick Boucheron, médiéviste, qui ont essayé de démonter les mécanismes de cette violence qui ne dit pas son nom. Pour ce faire, ils ont réuni un colloque consacré aux violences intellectuelles dont ils publient les actes sous lexcellent titre : Le Mot qui tue.
Le pari scientifique était loin dêtre gagné dans la mesure où les violences intellectuelles nétaient pas jusque-là un objet historique constitué. La dense introduction de Vincent Azoulay et Patrick Boucheron est donc loccasion de sarrêter sur un concept difficile à définir et à délimiter. En se demandant comment les intellectuels peuvent être à lorigine de la violence et en devenir des acteurs, les auteurs en viennent très vite à aborder la notion de «violence symbolique». En cela, leur réflexion fait la part belle à lanalyse sociologique et notamment aux travaux de Pierre Bourdieu dont les auteurs font une lecture aussi fine quinformée.
On regrettera néanmoins quils ne discutent pas plus les positions des détracteurs de lidée de violence symbolique, à lexemple dHannah Arendt qui dès 1961, dans La Crise de la culture récusait le caractère opératoire de ce concept. Mais cela nempêche pas le livre composé de vingt communications confiées à des spécialistes de toutes les périodes historiques dapporter des précisions importantes sur le sujet. On notera particulièrement lintervention de Cédric Giraud qui commence son analyse des controverses entre Abélard (1079-1142) et Anselme de Laon (entre 1050 et 1055 à 1117) par une réflexion sur le vis la violence utilisé en latin autant pour dire la violence physique que verbale. A ce propos, Pascal Brioist dresse un parallèle saisissant entre lart de lescrime et les joutes verbales à lépoque moderne. Ces dernières, suggère-t-il, étaient un moyen détourné de participer à la culture nobiliaire emprunte de violence physique.
La guerre des mots nest souvent pas autre chose quune bataille pour lego, plus rarement pour la vérité. Pour ces deux raisons, ces violences intellectuelles ne souffrent aucun répit. Charles Guérin souligne de quelle manière lun des pères de lart du bien parler, Cicéron, arrivait à détruire ses adversaires par la seule force de sa langue. Un certain Vatinius en fit la plus amère expérience. Après sa victoire contre ce magistrat, dans lun de ses lettres, nécrit-il pas de lui : «Que dire de plus ? Cet excité plein de morgue était complètement effondré et à bout de forces lorsquil quitta les lieux».
Ce livre novateur quant à son objet et dautant plus ambitieux quil aborde les violences intellectuelles sur le temps long, de lAntiquité à nos jours, trouve donc toute sa place dans la collection «Époque» de la maison dédition Champ Vallon qui sest fait une spécialité de publier des travaux renouvelant lhistoriographie. Il nest cependant pas exempt des reproches inhérents à ces ouvrages collectifs dont les communications sont souvent de qualité inégale. Il nest pas sûr non plus que les professeurs des banlieues difficiles trouvent une solution efficace dans les réflexions du sociologue Bernard Lahire qui regrette quau nom du respect du code identitaire des élèves, on se formalise trop souvent de leur violence verbale...
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 07/07/2009 ) Imprimer | | |
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