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Structures de pierres et structures humaines | | | Line Teisseyre-Sallmann Métamorphoses d'une ville - Nîmes de la Renaissance aux Lumières Champ Vallon - Epoques 2009 / 28 € - 183.4 ffr. / 380 pages ISBN : 978-2-87673-505-7 FORMAT : 15,5cm x 24cm
Préface d'Emmanuel Le Roy Ladurie.
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Le livre de Line Teisseyre-Sallmann illustre le dialogue, mis en évidence par Fernand Braudel, entre structures, inscrites dans la moyenne ou la longue durée, et conjoncture, qui évolue à un rythme plus rapide. Ici, la structure cest la ville de pierre, héritée de lAntiquité et du Moyen Age, et la conjoncture, cest lhistoire des trois siècles de lAncien Régime, marquée tour à tour par la Renaissance, la Réforme, les guerres de Religion, la Contre-Réforme, laffirmation de la centralisation monarchique, puis le mouvement intellectuel dit des Lumières.
À laube de la Renaissance, Nîmes hérite dun double patrimoine antique et médiéval. À ses fondateurs romains, la ville doit son site, au carrefour de la route qui va de lItalie à lEspagne (lancienne voie domitienne) et dun axe nord-sud, qui mène dUzès à la mer. Pour le reste, la trame de la ville antique a à peu près disparu : la cité est renfermée dans son enceinte médiévale, bâtie au XIIe siècle, qui sappuie à lancien amphithéâtre, converti en château puis en habitations particulières. Cest dans cet espace réduit, de 200 à 300 mètres de rayon, que lon trouve la cathédrale et lhôtel de ville. La ville ne constitue quune seule paroisse, autour du siège épiscopal. La vie politique, administrative et fiscale de Nîmes est marquée par lopposition entre lintra et lextra muros, entre la ville proprement dite et les faubourgs, qui restent considérés comme un espace rural. Le cur de la ville, cest la place aux Herbes, située devant la cathédrale Notre-Dame.
Le passé romain de Nîmes est redécouvert dans les premières décennies du XVIe siècle. Les visiteurs étrangers viennent admirer les monuments compris dans lenceinte (les Arènes, la Maison Carrée, la porte dAuguste) comme ceux situés hors les murs (la Tour Magne, la Fontaine). La visite la plus célèbre est celle de François Ier, en 1533, qui ordonne le dégagement des édifices antiques, sans que cette instruction soit suivie deffet, et à qui la ville offre un modèle en argent de lamphithéâtre. En lhonneur du roi, une nouvelle place, nommée place de la Salamandre, située près du rempart sud, est inaugurée la même année. Il sagit de lespace auparavant dévolu au marché aux bufs, au centre duquel on élève une colonne de pierre surmontée dune couronne et dune salamandre, et qui va devenir le lieu des cérémonies publiques. En juin 1535, le souverain autorise Nîmes à prendre de nouvelles armes où figurent les attributs qui furent les siens dans lAntiquité : le crocodile et le palmier, observés sur des monnaies récemment découvertes.
Cité marchande au Moyen Age, Nîmes devient une ville de juristes à la Renaissance. Un collège est établi en 1534, un présidial est créé en 1552. Après de terribles violences, la cité, emmenée par ses élites judiciaires, passe à la Réforme dans les années 1560. Le consistoire est établi en 1561, le temple inauguré en 1566 ; le massacre de la Michelade, en 1567, est suivi de la destruction de la cathédrale et de la plupart des églises et monastères dans et hors les murs. Les biens du clergé sont rachetés à vil prix par la nouvelle élite protestante. Les faubourgs, restés majoritairement catholiques, souffrent beaucoup des guerres de religion. Ils sont presque entièrement détruits dans les années 1620 pour laisser place à une gigantesque fortification bastionnée, doublant lancienne enceinte, et destinée à défendre la cité protestante contre les armées royales. Peine perdue : les huguenots du duc de Rohan sont défaits, et, en 1629, Louis XIII ordonne la démolition de lappareil défensif, épargnant seulement les murailles du Moyen Age.
La seconde moitié du XVIIe siècle est le temps de la reconquête catholique. Le consulat (la municipalité) est mi-partie catholiques-protestants de 1632 à 1679 et entièrement catholique après cette date. La cathédrale est reconstruite (1643), un luxueux palais épiscopal est édifié (1681-1685). Le collège passe aux mains des jésuites en 1665. Églises et couvents se multiplient dans la vieille ville, lieu symbolique du pouvoir, alors même que les fidèles catholiques, nombreux dans les faubourgs, se plaignent du manque de pasteurs !
Ces convulsions nont que fort peu modifié le paysage de la ville, et notamment le rôle majeur joué par lenceinte médiévale. Derrière les murailles, Nîmes «est confite de maisons» (1605). Le centre reste le lieu du prestige politique et social. Les notables ont des jardins dagrément dans les faubourgs, mais leur maison principale reste derrière les murs de létroite cité médiévale. La seule intervention durbanisme dont la municipalité ait eu linitiative est laménagement de lEsplanade, promenade publique plantée dormes et établie devant le mur sud de la ville, pour jouir du vent venant de la mer (1643 et 1666). Pour le reste, les édiles se limitent à des préoccupations dordre pratique : nettoyage de la voirie, création dégouts, éclairage collectif.
Les changements de grande échelle sont dus à lintervention royale. Cest dabord, en 1687-1688, la construction dune citadelle, établie au nord de Nîmes, destinée à surveiller la ville et à contrôler la route des Cévennes. Une nouvelle enceinte, englobant le faubourg des Prêcheurs, relie la citadelle à lenceinte médiévale, dont une petite portion est abattue. À son emplacement est établi un cours planté dormes. Cest le premier accroissement du périmètre urbain survenu depuis le XIIe siècle. Gênés par les nuisances quentraînent les travaux, les Nîmois sont dans une «consternation épouvantable», dixit le notaire Borelli. «Depuis quatre ou cinq ans, il sest fait de si grands changements dans Nîmes quâme du monde naurait cru que cela se pût faire», déplore le notaire, pourtant bon catholique et bon serviteur du roi.
En 1695-1699, des casernes sont bâties au faubourg des Carmes. Mais cest seulement à partir des années 1720 que de grands lotissements de terres cultivées interviennent dans les faubourgs. Un urbanisme de prestige apparaît avec la création du jardin de la Fontaine, entre 1739 et 1757, réalisé par lingénieur militaire Maréchal à linitiative de lintendant de Languedoc. Autour du jardin, lingénieur trace un plan daménagement dun nouveau quartier, dit de la Fontaine, établi sur un plan régulier, «lun des beaux morceaux de lEurope». Mais les élites boudent ce quartier neuf, qui, paradoxe, devient une zone industrielle, investie par les ateliers de la soie. La démolition de lancienne muraille, qui permettrait de réunir la vieille ville, ses faubourgs et les quartiers nouveaux, nest évoquée quà partir de 1774. Elle a lieu entre 1785 et 1788 et des boulevards plantés darbres sont établis sur lancien tracé. Dans le même temps, le dégagement des monuments antiques est enfin décidé. Retardé par la Révolution, il se poursuivra dans les premières années du XIXe siècle.
Au final, il apparaît que dans cette ville dAncien Régime, fière de son héritage antique, la pesanteur du parcellaire médiéval a joué un rôle prépondérant jusquà la Révolution et au-delà. Non point quun attachement sentimental se soit fait sentir pour larchitecture du Moyen Age, mais le dessin de la cité était si profondément inscrit dans les esprits quil fallut trois siècles pour que la mise en valeur du patrimoine antique et la mise en uvre dun urbanisme nouveau soient à lordre du jour. Encore sagit-il dun «urbanisme frôleur», suivant lexpression dEmmanuel Le Roy Ladurie, qui na pas mis en cause le parcellaire ancien.
La structure médiévale la emporté sur la conjoncture renaissante, absolutiste ou «éclairée», et il faudra encore un siècle pour que lurbanisme des Lumières simpose à la cité rétive. Cest un bel exemple à méditer pour ceux qui veulent transformer les villes, sur la courte, la moyenne ou la longue durée.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 14/07/2009 ) Imprimer | | |