Laurence Gauthier Jacqueline Zorlu Paris en latin / Legenda est Lutetia - Grands et petits secrets des inscriptions latines dans la capitale Parigramme 2014 / 11.90 € - 77.95 ffr. / 170 pages ISBN : 978-2-84096-842-9 FORMAT : 13,4 cm × 18,2 cm Imprimer
Voici une uvre insolite à une époque où les langues anciennes, souvent dites significativement «mortes», ne sont plus guère étudiées. Par cet ouvrage de format modeste mais riche de contenu, Parigramme a décidé daborder un domaine jusquici négligé ou, à tout le moins, dispersé dans nombre de notices et douvrages. Les auteurs ont recueilli lessentiel des textes latins visibles aujourdhui encore dans les rues de Paris et en ont fourni la traduction ainsi que les éléments nécessaires à leur compréhension (auteur, contexte, etc.), ceci sous un titre (inévitablement) bilingue car Paris en latin est suivi de Legenda est Lutetia, que lon peut rendre par ''Lutèce est à lire'', invite à laquelle il est difficile de résister !
Le plan adopté est essentiellement géographique, le centre historique de Paris étant divisé en cinq grands ensembles, chacun deux doté dune devise latine résumant son histoire et son caractère, telle lîle de la Cité ainsi résumée : Lex-Rex-Deus, soit ''La loi, le roi'', Dieu. Un chapitre final, plaisamment intitulé «Quelques thèmes latins», jouant ainsi sur les deux sens du mot, rassemble des inscriptions religieuses, celles qui ornent les tombes (le fameux R.I.P. !) et les cadrans solaires et quelques autres inscriptions isolées, membra disjecta, pourrait-on dire, ornant les quartiers périphériques de Paris. Au total, une recension quasi exhaustive de ce que la voie publique et les bâtiments ouverts au public offrent en la matière. La rigueur des auteurs va jusquà signaler les fautes commises dans telle ou telle inscription ! Nous apporterons notre petite pierre à ce bel édifice, si lon nous passe cette métaphore, en signalant aux amateurs la belle inscription latine qui orne le grand amphithéâtre de la faculté de médecine de la rue de lEcole-de-médecine et qui joue sur lambivalence du mot «amphithéâtre», à la fois lieu des combats antiques des gladiateurs et lieu où la médecine sapprenait par la dissection et le suivi des cours : Ad caedes hominum prisca amphitheatra patebant ut longum discant vivere nostra patent, ce qui peut se rendre par ''Les amphithéâtres anciens servaient à faire mourir des hommes, les nôtres servent à apprendre aux hommes à vivre longtemps''. On pourrait ajouter les devises latines ministérielles qui ornent la salle de lassemblée générale du Conseil dÉtat, mais ce nest pas un lieu facilement accessible
Le lecteur du XXIe siècle se demandera peut-être quel intérêt le non latiniste pourra trouver à la lecture de louvrage. Lauteur de ces lignes, lui-même latiniste amateur, répondra quil est triple : connaître et avoir accès à des documents historiques témoignant dévénements précis, de lauteur dun édifice ou des raisons de sa construction ; évoquer le souvenir de grands homme ; apprécier enfin lesprit de nos ancêtres qui sont allés jusquà dissimuler parfois des mots desprit derrière le sérieux de lépigraphie latine. Un seul exemple : le canon du Palais-Royal, qui tonne (ou plutôt tonnait) chaque jour à midi grâce à lallumage de sa mèche par les rayons solaire, a été gratifié de la devise Horas non numero nisi serenas, qui peut se traduire indifféremment «Je ne compte que les heures sans nuages» car il ne peut fonctionner par temps couvert, ou par «Je ne compte que les heures heureuses», sens figuré de ladjectif serenus. Plus sérieusement, le lecteur daujourdhui apprendra que lusage de linscription latine perdure, même sil sest affaibli, car la plus récente inscription latine relevée a été posée en 1996 et commémore la remise des locaux rénovés de lhôtel Duret de Chevry à lInstitut historique allemand de Paris en présence du président de la République fédérale, grâce à une plaque offerte par un grand constructeur automobile (Mercedes-Benz France dedit, lit-on sur la tranche !). Serait-ce là une leçon donnée par nos amis allemands sur lusage dune langue solennelle et associée de tout temps au pouvoir ou plus simplement le fait que le latin est encore une langue internationale ? A chacun de répondre.
On laura compris, voici un livre recommandable, dautant quil est joliment présenté, le soin du détail allant jusquà imiter pour la page de titre une inscription lapidaire en belles capitales romaines. Il complétera utilement toute bibliothèque parisienne digne de ce nom. Il intéressera tous les amoureux de Paris, même et surtout ceux qui ont pâli jadis sur leur version latine et même ceux qui nont jamais abordé aux rives ardues de la langue dont le français est issu. Pour rester dans lesprit de louvrage, il reste à prendre congé du lecteur par la formule consacrée : Vale !
Jean-Etienne Caire ( Mis en ligne le 17/06/2014 ) Imprimer |