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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Carol Iancu Les Mythes fondateurs de l'antisémitisme - De l'Antiquité à nos jours Privat - Bibliothèque historique 2003 / 23 € - 150.65 ffr. / 190 pages ISBN : 2-7089-0806-5 FORMAT : 15x24 cm
L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France, Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
On comprend que cest la résurgence de lantisémitisme, particulièrement en France, qui a mobilisé lérudition de Carol Iancu, spécialiste de la question. Les mythes fondateurs de lantisémitisme est en effet un courte étude retraçant lhistoire de la haine des Juifs. Cest aussi un manifeste. Il ne remplace donc pas des ouvrages fondateurs telle la monumentale Histoire de lantisémitisme de Léon Poliakov.
Son mérite est de brosser en une centaine de pages un panorama de cette haine ancestrale et protéiforme. Car ces mythes se sont succédés, combinés, enrichis. Jamais vraiment éteinte, chacune des tendances se ravive au gré de lactualité. Lantisémitisme est une hydre politique et intellectuelle.
Lapproche de lhistorien est chronologique. Du Ve siècle avant notre ère à nos jours, il décline chaque aspect, du plus fameux au plus méconnu. On apprécie notamment les informations sur lantisémitisme dans les pays de lEst, qui ne se réduit pas aux pogroms. Auteur de plusieurs ouvrages sur la condition juive en Roumanie, lauteur donne ici dintéressants développements sur lantisémitisme roumain, quil sagisse des débats autour de la constitution de 1866 ou des batailles dans la presse à la suite du congrès de Berlin (1878). La statut civique des juifs y est débattu férocement : ils demeurent ces personae non gratae.
Cette histoire se situe dans le monde monothéiste du christianisme et de lislam. Mais elle le précède aussi. Un antisémitisme païen, traduisant une peur du monothéisme, sexprime sous les plumes dHécatée dAbdère ou de Manéthon. Démocrite est lun des premiers auteurs à véhiculer le mythe du meurtre rituel, actif jusquau XXe siècle (affaire de Norwich en Angleterre en 1144 ; affaire de Kiel en 1911). Avec lapparition du christianisme, le judaïsme devient une religion mère dont on cherche à se défaire. Naissent alors dautres grands mythes, encore aujourdhui prégnants : celui du peuple déicide est le plus important, avec le rôle capital joué ici par lEvangile de Jean. Laccompagne lidée dune diaspora causée par le châtiment divin
alors que celle-ci précède de loin lavènement du christianisme.
Le Moyen Age est donc marqué par un antisémitisme religieux, chrétien ou musulman. Le Tractatus adversus Judaeos de Saint-Augustin, comme les grands codes (théodosien, justinien), les écrits dIsidore de Séville ou les mesures des grands rois wisigoths (Recarède, Sisebut), traduisent une forte dégradation de la condition juive, que lon retrouve en Islam ou le statut de dhimmi («gens du livre»), partagé avec les chrétiens, est le signe tant dune protection relative que dune discrimination bien réelle.
Les chapitres suivants sattardent sur les périodes moderne et contemporaine. Le statut de Limpieza de sangre dans lEspagne de la Reconquista exprime moins un proto-racisme que linquiétude des pouvoirs face à une communauté juive convertie mais relapse, les marranes. A partir de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe, naissent les grands mythes antisémites sécularisés : sociaux, politiques, culturels, ils ne voient plus en les Juifs un problème religieux mais une communauté inassimilable et jugée dangereuse. Le mythe du juif usurier devient celui du juif libéral et capitaliste, que le succès des Rothschild en Europe avèrerait. Parallèlement, surgit le mythe du juif révolutionnaire. On parlera au XXe siècle de judéo-bolchevisme. Cest alors quapparaît la notion de complot juif, quil soit capitaliste, communiste, judéo-maçonnique ou sioniste. Les Protocoles des sages de Sion, faux célèbre, illustre sans doute le mieux cette peur dun complot juif mondial. Lantisionisme en est la dernière expression, lié souvent à lanti-américanisme.
Cet antisémitisme moderne est sans issu ; alors quau Moyen Age la conversion était la solution à la question juive, aujourdhui fondée sur une identité culturelle et/ou raciale, elle ne trouve déchappatoire que dans la discrimination ou lextermination. La Shoah fait bien sûr lobjet de longs développements
Faut-il voir dans lantisionisme un racisme ? Carol Iancu semble affirmer que tel est le cas. Soit que la question soit trop contemporaine pour pouvoir prendre assez de recul, soit que la dimension politique et géopolitique de la question israélienne exacerbe des critiques par ailleurs légitimes, on suit moins lauteur sur cette question quil semble traiter de manière plus militante que réellement scientifique. On ne peut nier cependant que les tensions politiques internationales exhument des réflexes antisémites quon croyait oubliés, et prennent en Islam une acuité inédite. Ce nouvel éveil de lantisémitisme corrige dailleurs loptimisme exprimé par lauteur vis-à-vis de lantijudaïsme chrétien. Si celui-ci sestompe à partir des années cinquante avec notamment la disparition, dans la prière Oremus du Vendredi Saint, de la notion de «Juif perfide», apparue pour la première fois dans le code Théodosien -, il ne faut pas oublier la retentissante affaire Finaly (enlèvement denfants juifs pour les baptiser et les élever dans le christianisme) en 1953, faisant écho à laffaire Mortara en 1868. Cest aussi, semble-t-il, voir un apaisement là où, avec les progrès de la déchristianisation, la religion perd de son importance première : lantisémitisme sadapte. Les années cinquante sont celles dune nouvelle croisade, antisioniste, négationniste ou révisionniste (voir la remarquable étude de Valérie Igounet sur ce sujet). La polémique actuelle autour du film «La Passion» de Mel Gibson montre que le mythe du peuple déicide na pas vraiment perdu en force.
Carol Iancu développe ces exemples, et bien dautres, de manière claire, situant les enjeux, sans jamais tomber dans lexagération : a trop grossir la focale, lhistoire humaine se réduirait à celui des persécutions juives ; il nen est rien ici. Lhistorien nuance son propos. Tout en déconstruisant chaque mythe, il évoque aussi les moments daccalmie, les progrès législatifs et lévolution du regard sur les Juifs. On aurait aimé quun essai dinterprétation habille un récit parfois trop descriptif. Car la haine du juif, bouc émissaire vêtu des oripeaux de la modernité (monothéisme, libéralisme, communisme, mondialisation, Etats-Unis), nexprime-t-elle pas aussi une certaine haine occidentale de soi ?
Thomas Roman ( Mis en ligne le 27/02/2004 ) Imprimer
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