|
Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| André Wénin D'Adam à Abraham ou les errances de l'humain - Lecture de Genèse 1,1-12,4 Cerf - Lire la Bible 2007 / 19 € - 124.45 ffr. / 252 pages ISBN : 978-2-204-08181-8 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
Lauteur du compte rendu : Professeur de Philosophie, Thibaut de Saint Maurice enseigne dans un lycée des Hauts-de-Seine. Il assure dans le même temps, des cours de psychosociologie en BTS communication. Imprimer
A quoi bon relire ce livre de la Genèse que tout le monde connaît et dont les histoires paraissent parfois usées à force davoir été lues ? Que peuvent encore dire du monde et de lexistence humaine, le récit mythique de sa création en sept jours, le récit de la tentation dEve par le serpent, le récit du meurtre dAbel par Caïn, ou le récit du déluge ?
Le dernier livre dAndré Wénin, professeur dAncien Testament à luniversité catholique de Louvain-la-Neuve, répond à ces questions en reprenant le texte des onze premiers chapitres du Livre de la Genèse avec une idée simple : ces histoires si célèbres on souvent été réduites à des fables moralisatrices indépendantes les unes des autres, dont on a plié la signification propre à lorthodoxie de telle ou telle théologie, ou que lon a noyées et perdues dans le flux des commentaires tous plus érudits les uns que les autres.
Sans exiger le moindre acte de foi, André Wénin retourne au texte, à «ce qui est écrit» en considérant que tous ces épisodes sont les étapes dun seul et même récit mythique dont il sagit de retrouver lunité et la cohérence, si lon veut y comprendre quelque chose. On peut le regretter par endroit, mais lobjet du livre nest pas de faire un bilan des conflits dinterprétation, ni de recomposer lhistoire de lécriture du texte de la Genèse. Le sens du mythe est développé à partir de la seule cohérence du récit, sans mise en perspective critique ou historique de linterprétation. Sur ces questions, on peut renvoyer aux autres travaux dAndré Wénin, qui depuis 1992, ne cesse de fréquenter ces textes. Outre de nombreux articles, on pourra lire Pas seulement de pain
Violence et alliance dans la Bible, publié au Cerf en 1998, qui présente déjà un premier parcours de ces onze chapitre de la Genèse.
Une exception cependant, lauteur cite et met ses pas dans ceux du grand exégète jésuite Paul Beauchamp. Fidèle à son enseignement, il reprend sa méthode danalyse narrative du texte biblique : il sagit de considérer ces onze premiers chapitres, dabord et avant tout comme un récit mythique unifié, «une histoire», écrite par un narrateur à destination dun lecteur, et dont il faut saisir le sens jusquà aller le saisir parfois «entre les lignes». Quand donc la lettre hébraïque reste un peu mystérieuse, linterprétation fait confiance à la logique du récit, au rôle des personnages qui y apparaissent et aux informations déjà en la possession du lecteur, pour essayer de retrouver une cohérence.
Ainsi, comment comprendre, par exemple, lordre divin qui interdit à Adam et Eve de manger le fruit de larbre de la connaissance et qui assortit cette interdiction dune formule équivoque pouvant signifier une menace de mort ? Certains ont a pu voir dans cette interdiction lacte dun Dieu dominateur cherchant à interdire à lhomme dêtre son égal. Mais précisément, cette interprétation ne respecte pas lordre du récit et la cohérence du «personnage» Adonaï, tel quon le voit agir depuis le début. Interpréter lordre divin de la sorte, cest en fait, comme Wénin nous le fait remarquer, reprendre à son compte ce que le serpent tentateur dira de Dieu, mais seulement dans le chapitre suivant. Or à lire le récit dans lordre, à ce moment le lecteur ne peut interpréter cette interdiction quavec le sens dont il dispose déjà. Ce quil sait donc cest quau début de lhistoire, Adonaï Elohim crée lhomme et la femme à sa ressemblance et que ce geste rend peu pertinent le soupçon de jalousie. Ensuite, juste avant que linterdiction ne soit donnée, le lecteur peut voir Adonaï donner tous les arbres du Jardin dEden aux hommes en guise de nourriture.
Autrement dit, la logique du récit milite plutôt pour la figure dun Dieu généreux et soucieux du bien-être de sa création, puisquil en est le créateur délibéré, et quil définit les moyens de sa survie. Linterdiction doit alors plutôt sinterpréter comme une mise en garde, un conseil avisé à propos dun risque réel : la parole divine «lui fait don de tous les arbres dont la vue éveille le désir, mais aussi dune limite qui éduque ce désir de sorte quil ne se fasse pas envahissant» (p.65). Par la suite lexégète reviendra sur ce passage précis pour expliquer la sentence divine suite à la désobéissance dAdam et Eve, linterprétant toujours de façon à : «déployer le récit en sappuyant avec prudence sur les indices, même ténus, laissés à la surface du texte» (p.137), et non par rapport à quelque principe extérieur, quil soit historique ou théologique.
Avec cet exemple, on comprend que les explications dAndré Wénin ne se soumettent à aucune autre autorité que celle du récit, construisant ainsi une exégèse autonome, à la fois indépendante de la Tradition chrétienne et des grilles de lecture héritées des sciences humaines. Le meurtre dAbel par son frère Caïn, la colère divine et le déluge qui sen suit, où lalliance nouée avec Abraham, autant dépisodes dont les mystères se trouvent expliqués par le souci de les inscrire dans la continuité dune même histoire.
La lecture de cet ouvrage a le mérite de faire entendre de nouveau toute lactualité dun mythe fondateur, dont les couches des interprétations successives avaient fini par masquer le sens premier : les hommes sont capables de choix malheureux comme celui de ne pas résister à la logique de la convoitise, et ils contredisent en cela le projet divin. Cest la raison première de leur errance ou du moins de leurs infortunes, en même temps que le signe indéniable de leur liberté et de leur responsabilité.
Pourtant, malgré les errances, la relation entre les hommes et Dieu ne cesse jamais. Le récit de la Genèse expose un des surgissements possibles de ce dialogue unique que lhomme entretient avec ce qui le dépasse, et dont on comprend finalement quil est une genèse possible de tout récit.
Thibaut de Saint Maurice ( Mis en ligne le 18/06/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Bible avant la Bible de André Paul La Bible de Frédéric Boyer | | |
|
|
|
|