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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

Mauvais garçon, grand peintre
Michel Nuridsany   Caravage
Flammarion - Grandes biographies 2010 /  25 € - 163.75 ffr. / 384 pages
ISBN : 978-2-08-121714-0
FORMAT : 15cm x 24cm

Voir aussi :

- Laurent Bolard, Caravage - Michelangelo Merisi dit Le Caravage (1571-1610), Fayard, Mars 2010, 282 p., 22 €, ISBN : 978-2-213-63697-9

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).

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Deux biographies publiées quasi simultanément (mars 2010 pour Laurent Bolard, août pour Michel Nuridsany) et qui accompagnent l’anniversaire de la mort du peintre (18 juillet 1610). Un peintre sur lequel plane volontiers du mystère en raison d’une vie tumultueuse et trop brève, et d’une œuvre fulgurante. Les deux biographes, chacun à sa façon, s’efforcent de démonter les préjugés et idées reçues sur Le Caravage. Si le peintre est connu et reconnu, sa vie l’est moins, au-delà des grands thèmes qui insistent volontiers sur l’aspect délinquant du personnage et son homosexualité accentuant sa marginalité.

Docteur en Histoire de l’art moderne à l’université Paris IV, Laurent Bolard, spécialiste de la peinture italienne de la Renaissance, raconte la vie de Caravage en s’intéressant certes à l’aspect événementiel (naissance, actes connus, documents dont certains, comme son acte de baptême, retrouvés depuis peu) mais davantage à l’insertion de l’œuvre dans son époque, aux lectures des critiques et historiens d’art contemporains du Caravage. Reprenant les thèses les plus récentes, Laurent Bolard dresse un portrait à la fois semblable et différent des idées reçues couramment émises. A le suivre, on mesure, dans une analyse minutieuse et intelligente des œuvres, toute l’originalité du Caravage, replacée dans la production artistique et culturelle de son époque.

Critique d’art, auteur de biographies (Andy Warhol, Salvador Dali), d’ouvrages sur l’art et la photographie, de courts métrages (sur Annette Messager, Pierre Klossovski, entre autres), Michel Nuridsany, s’il s’appuie sur les mêmes sources que Laurent Bolard, écrit d’une tout autre façon : il peint à grandes enjambées l’homme, l’artiste à la vie souvent scandaleuse, donne volontiers son point de vue en cours de route, fait appel aux contemporains pour l’étayer, se dresse contre toute biographie aseptisée, n’hésite pas à suggérer des hypothèses. Le Caravage pourrait être un fils illégitime de la famille Sforza Colonna, ce qui expliquerait l’appui sans faille dont il a bénéficié tout au long de sa vie de la part des membres de cette famille aristocratique et influente. Bref, un ouvrage radicalement différent du précédent sur le ton et sur la forme, plus vivant incontestablement, plus partial sans aucun doute, plus enlevé, mais tout aussi nourri de lectures et d’une connaissance intime de l’oeuvre.

Loin d’être un marginal absolu, Michelangelo Merisi, né à Milan dans une famille bien intégrée, qui appartient au réseau social de la puissante dynastie des Sforza-Colonna, fut très régulièrement entretenu par des mécènes bien placés dans cette Rome de la Renaissance en pleine effervescence artistique. Après un apprentissage à Milan dans l’atelier de Simone Peterzano, le jeune Michelangelo, qui prend le surnom de Caravage, du nom de la ville où il a grandi, part à Rome en 1592. Il entre dans l’atelier du Cavalier d’Arpin (où il peint fleurs et natures mortes) mais c’est l’entrée dans la société des protégés du cardinal del Monte qui est pour lui décisive. Si les premières années sont difficiles, il est cependant assez vite reconnu comme un peintre original, fréquente les cours, et en ceci - chacun des deux biographes insiste sur ce point - Caravage n’a jamais été un «artiste maudit». Certes, les commandes réalisées n’ont pas toujours plu aux commanditaires qui, alors, les ont refusées, mais elles ont toujours trouvé très vite preneur ! Ainsi, l’un des grands amateurs d’art et collectionneur de l’époque, le cardinal Scipion Borghèse, achète ou se fait remettre plusieurs de ses tableaux (et ce jusqu’aux derniers jours du Caravage : celui-ci quitte Naples en emportant trois tableaux très certainement destinés au cardinal). Le séjour romain, dans une ville en pleine effervescence artistique, donne au peintre l’occasion de parfaire sa technique et de s’affirmer comme un artiste majeur. C'est aussi l’occasion d’en découdre de diverses façons jusqu’à la rixe qui le conduit à s’enfuir (sans doute en profitant de l’appui de protecteurs puissants) pour éviter les geôles pontificales.

A Malte où il se réfugie, le grand maître de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Alof de Wignacourt, dont il réalise un superbe portrait, obtient une dispense pontificale pour faire de lui un chevalier d’Obédience Magistrale. Il y exécute aussi, en 1608, la seule œuvre qu’il signera F. (pour fra) Michelangelo, «La Décollation de saint Jean Baptiste», commande pour l’Oratoire saint Jean à Malte, où elle est toujours en place aujourd’hui.

Cependant, le séjour maltais se termine mal, sur une nouvelle rixe, suivie d’un emprisonnement puis d’une évasion qui conduit Caravage en Sicile, alors que le Grand Conseil de l’Ordre réuni en procès à Malte le condamne à la dégradation. C’est en Sicile que Caravage vit ses dernières années. Là aussi, il obtient sans difficulté des commandes importantes («La Résurrection de Lazare», «L’Adoration des Bergers»...) avant de s’embarquer pour Naples, à la mi-octobre 1609. D’emblée, pris dans une bagarre (vendetta ?), il est violemment blessé au visage, tandis que les commandes affluent de toutes parts. Il y peint pour le cardinal Borghèse, «Saint Jean-Baptiste» (un thème récurrent chez lui), «David avec la tête de Goliath» (une tête qui est son autoportrait !), et, pour l’œuvre des Pio Monte, le plus complexe de ses tableaux : «Les Sept œuvres de miséricorde» (1607). C’est à Naples qu’il réalise son dernier tableau (qui lui a été attribué en 1974) : «Le martyre de Sainte Ursule».

Alors qu’il est en route pour Rome, où il espère le pardon pontifical, il meurt de fièvres à Porto Ecole, à l’hôpital, assisté des frères de la confrérie de sainte Croix, le 18 juillet 1609 (en fait, 1610 selon notre calendrier). Aucun des membres de sa famille ne réclama son corps, alors que son héritage suscita querelles et convoitises.

Que l’on lise l’un ou l’autre des ouvrages, on est frappé par l’originalité et la force du Caravage, et dans les deux biographies s’impose l’érudition des auteurs qui replacent de façon sûre l’œuvre dans les choix culturels de l’époque, permettant de mieux comprendre un peintre qui nous séduit toujours instantanément et dont le succès ne s’est quasiment jamais démenti. Peintre de la couleur, du moment, de l’instant, dans des toiles saturées de tristesse, mais aussi de vie éclatante, d’ombres et de lumières, Caravage n’est jamais là où on l’attend, pas davantage à son époque que de nos jours. Il surprend dès son époque par l’art de traiter des sujets classiques de façon neuve : aussi bien pour «L’Amour endormi», que pour «L’Annonciation» exécutée pour Henri II de Lorraine, ou encore les «Madones». L’amour est-il endormi ou mort ? La Vierge qui reçoit le message de l’ange frappe par sa profonde tristesse. Les madones sont des femmes du peuple… Peintre du moment, peintre de natures mortes, auteur de portraits qui frappent par leur réalisme sans concession, posés sur des fonds sombres ou neutres, auteur chrétien également, dont les œuvres répondent à des lectures théologiques que reconnaissaient parfaitement les contemporains (et qui éventuellement les choquaient), dans un monde où ces questions suscitent de larges débats dans l’ombre portée du concile de Trente. Le Caravage est tout ceci, tout en étant l’un des maîtres du clair-obscur, au point qu’on lui a longtemps attribué davantage qu’il n’a peint ! Et la lecture de son œuvre a beaucoup gagné à voir retirées nombre de ces attributions hâtives.

Dans l’un et l’autre cas, on ne peut évidemment qu’être déçu par les reproductions données en cahier central, surtout par celles du livre de Laurent Bolard, trop petites, aux couleurs peu satisfaisantes. Flammarion a fait un autre choix : moins de reproductions mais pleine page, ce qui est plus acceptable. Ceci dit, dans ce format, les reproductions ne sont là qu’à titre d’illustrations du texte.

Au lecteur de choisir entre l’érudition universitaire de Laurent Bolard plus sobre et le style enlevé et enthousiaste de Michel Nurisdany : une affaire de goût ; l’un et l’autre donnent à voir et à comprendre un homme qui sort de l’ordinaire à tous points de vue, rebelle aux normes qu’il connaît et transgresse, sans nécessairement vouloir les trahir pour autant. Un esprit libre.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 14/12/2010 )
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