| Jacques Cantier Pierre Drieu la Rochelle Perrin 2011 / 22 € - 144.1 ffr. / 315 pages ISBN : 978-2-262-03612-6 FORMAT : 14,2cm x 21,2cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram, Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
Quelles images conservons-nous de Pierre Drieu la Rochelle aujourdhui ? Celle du dandy qui pansa les plaies héritées de son expérience guerrière en se couvrant de femmes ; celle, surtout, de lécrivain fasciste qui sengagea sur les voies de la collaboration et se suicida pour échapper à ses épurateurs. La biographie que signe Jacques Cantier napporte pas à proprement parler déléments nouveaux à la connaissance du «feu follet» de la littérature française. Elle offre cependant une recontextualisation précise, accessible mais sans simplisme, de cette trajectoire hors du commun, ainsi quune synthèse qui fait ressortir, au-delà de la complexité confondante de Drieu, la permanence de sa pensée et de ses engagements.
Les maîtres mots de ce travail sont bien ceux de clarté et de neutralité. Dans une prose dénuée de toute affèterie les biographes qui sattaquent à de grands auteurs ont parfois la fâcheuse tendance de vouloir se faire styliste plus quà leur tour Cantier explore dès les origines les ressorts dune conscience torturée. Il dépeint le climat dune enfance marquée par des pulsions autodestructrices, baignant dans un environnement parental tendu, voire violent, et revient sur les épisodes traumatiques que le romancier avait évoqués lui-même à la pointe sèche dans État civil.
Mais le choc décisif a lieu au «feu» dès le début du premier conflit mondial. Drieu vit le combat comme une véritable révélation de ses potentialités physiques et spirituelles, et qui lui permet, bien mieux que la philosophie ou lérotisme, daccéder aux zones supérieures de son être. Cantier rappelle à ce propos le parallélisme, déjà mis en évidence par les travaux de Julien Hervier, entre Drieu et Jünger ; deux hommes qui, de part et dautres de la ligne de front, éprouveront la transformation radicale de lidéal guerrier dont ils sont les tenants, comme héritiers de valeurs chevaleresques médiévales, en une industrie de mort massifiée.
Cantier retrace bien sûr lévolution de Drieu, avec le moment symbolique du 6 février 1934, ladhésion au PPF de Doriot et le rapprochement avec lAllemagne, amorcé bien avant la débâcle de 1940 et fondé sur une amitié ancienne avec Otto Abetz. Lévocation de Cantier met cependant en évidence une donnée souvent négligée quand il sagit daborder Drieu : la profonde cohérence de son parcours et de ses choix. Une idée directrice le guidera, celle de lEurope. Au prisme de cette entité, Drieu pensera la France, lOccident, la civilisation. Cest elle aussi qui lui tiendra lieu de fil dAriane dans le dédale des idéologies qui foisonnèrent dans les années 20 et 30. Surréalisme, fascisme, communisme, maurrassisme
Il nest en effet pas un courant littéraire ou politique à propos duquel il ne lui ait été donné de sexprimer, à la faveur soit de ses amitiés (on sait ses relations avec Aragon, Malraux ou Berl) soit de ses réflexions personnelles.
Car et cest un deuxième point que Cantier met très bien en exergue, comme pour trancher avec limage persistante du dilettante mondain Drieu fut un infatigable travailleur. En attestent dinnombrables articles de critique ou dopinion, des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des préfaces, enfin de nombreux écrits intimes tels que son journal, sa vaste correspondance ou ses Notes pour un roman sur la sexualité. Peut-être Cantier emballe-t-il un peu hâtivement les considérations religieuses du dernier Drieu, tout comme il a tendance à nidentifier son antisémitisme quà une forme de «délire» ; ne pourrait-on plutôt taxer Drieu davoir dissimulé, sous des dehors de faux apathique, un tempérament passionné jusquà lextrémisme, un polémiste qui se laissait volontiers aveugler par ses colères et les assumait quitte à être pris en flagrant délit de mauvaise foi, un esprit en perpétuel bouillonnement ? Un peu comme sil navait quitté sa tranchée quen mars 1945, après avoir troqué entre-temps la baïonnette pour la plume
Dans la NRF de janvier 1925, Ramon Fernandez écrivait : «Drieu est celui qui, dans une épidémie, est frappé plus complètement, plus définitivement que les autres celui quil ne faut pas quitter dune semelle si lon veut comprendre». Avec certes lentrée prochaine à la Pléiade, mais aussi grâce à des travaux de laune de celui que propose Jacques Cantier, il viendra un moment où, sans le réhabiliter pour autant, on reviendra à Drieu comme à lun des écrivains les plus doués de sa génération. Ou en tout cas le plus représentatif dune volonté daffronter le réel via lécriture, quitte à plonger sa plume dans lencrier de ses tripes.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 14/06/2011 ) Imprimer
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