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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

La figure de Lyautey
Gilles Ferragu   Lyautey - La fabrique du héros colonial
Belin - Portraits 2014 /  21 € - 137.55 ffr. / 237 pages
ISBN : 978-2-7011-7597-3
FORMAT : 14,0 cm × 22,0 cm

Gilles Ferragu collabore à Parutions.com

L'auteur du compte rendu : Élodie Vouaux est professeur certifié d’histoire-géographie.

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Cet ouvrage a pour ambition d’interroger la figure de Lyautey, essentiellement dans ses dimensions de penseur social et de héros colonial, en analysant le personnage à la lumière de sa singularité (officier dissident dans une certaine mesure) pour en saisir les complexités et les effets sur son action. En effet, l’auteur cherche à comprendre pourquoi celle-ci a été saluée : elle doit être lue à travers le prisme politique de la IIIe République et la singularité de l’homme. Pour ce faire, il dépasse la simple biographie pour s’approcher, éclairé par sa correspondance et ses écrits, au plus près de son destin et de ses idées.

Le regard de l’historien se porte sur la figure d’Hubert Lyautey (1854-1934) qui, en endossant au début du XXe siècle les valeurs et les ambitions de la colonisation, est devenu l’incarnation de la mission civilisatrice de la France. Il réunit en effet un ensemble rare de qualités (prestige moral, institutionnel, homme d’action menant une réflexion profonde tant sur les modes de gouvernement de ses territoires que sur la manière de les conquérir). À travers l’œuvre de Lyautey, c’est un modèle colonial que la République a voulu diffuser : une colonisation plus acceptable, une pacification calquée sur l’''Indirect Rule'' britannique, quand bien même c’est la puissance rivale. C’est pour cela que Lyautey a souvent été présenté comme le plus humain des colonisateurs, qui se fondait sur une méthode alternative à celle du sabre.

L’auteur questionne les différentes facettes de Lyautey dans la mesure où il ne fut pas seulement un officier colonial de renom, il fut aussi gouverneur, ministre, académicien, théoricien militaire et promoteur d’un nouveau catholicisme social. Gilles Ferragu, après d’autres, s’intéresse à l’influence de ses maîtres à penser, Albert de Mun et le vicomte de Voguë, avec lesquels il a développé ses idées catholiques (réformisme social), mais selon lui Lyautey développe à partir de ses lectures des idées neuves en se démarquant de celles admises jusque-là. Il est doté d’un charisme indéniable qui révèle une ambition sans bornes et une soif de reconnaissance mondaine, sociale et intellectuelle accrue par la fréquentation des salons et des réceptions parisiens. Lyautey joue alors de ses différentes attributions.

Dans un premier temps, l’auteur retrace sa carrière militaire, avant le début de sa période coloniale pour exposer l’une des facettes du personnage, celle du théoricien militaire et socio-militaire. Lyautey a élaboré sa méthode de commandement dès l’école de Guerre en remettant en cause les conceptions de l’armée, telle qu’elle existe sous la IIIe République. Sa théorie et sa pratique reposent sur deux principes : l’amélioration du quotidien du soldat (réfectoire, cercle de détente,…) et la volonté de renouer des liens entre l’armée, «Arche Sainte», et la nation dans un contexte d’universalisation du service militaire («parler [simplement] aux soldats en évitant le vocabulaire technique, ne pas établir de barrière entre les hommes ni les grades, mais marquer au contraire l’unité de commandement, expliquer le but d’un exercice afin de lui donner sens» (p.43). Indéniablement, Lyautey est un pédagogue qui diffuse sa théorie et ses réflexions dans un article tout autant salué que débattu, ''Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel'', publié dans la Revue des deux Mondes en 1891 : cet article s’inscrit dans le sillage d’autres écrits sur le rôle social des élites chrétiennes, mais il apparaît comme très original. L’officier y devient un homme moral, qui contribue à transformer l’armée en une école de vertu, de discipline, de respect et d’abnégation. Lyautey veut aller plus loin, jusqu’à donner aux officiers un rôle politique. Force est de constater que ces idées révolutionnaires, qui modifient les fondements même de l’armée de cette IIIe République encore fragile – tout juste rescapée de la crise boulangiste - sont appliquées avec retard par l’institution militaire. Cet article a véritablement lancé la carrière de Lyautey, qui devient dès lors un «officier mondain, social, un penseur écouté, recherché» (p.55), mais dont l’ascension rapide et précoce ne s’incarne ensuite réellement que dans l’action et plus particulièrement coloniale. C’est parce qu’il fut un homme d’action que Lyautey est devenu une «figure de chef».

Si Lyautey est fasciné par l’Orient, il fut immergé, comme tous les officiers et la quasi-totalité de la classe politique de son temps, dans l’idéologie coloniale (dont il s’imprègne très vite), paternaliste et raciste. Mais il s’est singularisé en étant un «raisonnable», qui se défie (comme le colonel Archinard au Soudan) de l’usage absolu du sabre car il fut l’un des premiers à voir dans les pays colonisés des mondes certes différents au point de vue de la culture, de la société et de la civilisation, mais dignes de respect. À ce titre, selon l’auteur, l’attention et même l’affection qu’il porte aux populations locales (en prenant des cours de langue, en fréquentant les élites) peut être vue comme la transposition du paternalisme de l’officier envers ses hommes. Mais il ne faut pas s’y méprendre, Lyautey reste un officier au service de la mission civilisatrice : c’est bien pour imposer le modèle européen dans les territoires qu’il mène son action, en mettant notamment en place une guerre ethnique, qui oppose (ou plutôt continue d’opposer car elle préexiste) les «indigènes» les uns aux autres pour le plus grand profit de la France. Sa formation en Algérie et en Indochine le transforme en un officier colonial lorsqu’il apprend le terrain sous les ordres de Gallieni : il découvre ses ambitions et prend conscience que les colonies peuvent lui apporter la reconnaissance de la société et de l’institution. C’est par ce biais que Gilles Ferragu analyse la stratégie de Lyautey fondée sur l’alliance d’une bonne connaissance du terrain et des populations, qui lui permet de «diviser pour régner».

L’action coloniale de Lyautey est rapidement théorisée : il publie en 1899 Le Rôle colonial de l’officier, une étude inspirée du modèle britannique, dans laquelle il préconise l’instauration d’une une nouvelle catégorie de fonctionnaire (le colonial, un entre-deux entre le militaire et le civil), le retour à une colonisation à la romaine (avec installation de colons et mise en valeur du territoire). Il repense aussi l’armée coloniale, cette armée qui n’existe que dans les faits : les partisans d’une armée coloniale instituée trouvent dans son texte un écho favorable. Mais pour autant, il s’inscrit dans la pensée du parti colonial (la colonisation est une école sociale pour les colonisés). Sa théorie culmine avec l’idée du «gouvernement avec le mandarin» : administrer avec le concours des élites locales. Mais ce gouvernement allie des phases de force pour la mise au pas de villageois récalcitrant, le quadrillage du territoire pour soumettre les populations, le travail forcé... et de «palabres».

Dans son étude de la dimension mythique de Lyautey, l’auteur montre que son ambition est de laisser une trace en édifiant lui-même son mythe après avoir acquis le statut de héros colonial en Indochine, à Madagascar et en Algérie. C’est avec sa nomination comme résident général au Maroc et par l’établissement du protectorat que Lyautey entend parachever son rêve de gloire. En effet, son but ultime est de faire du Maroc un modèle de la colonisation pacifique, qui passe par des réformes ambitieuses (développement d’infrastructures de communication, d’hôpitaux, d’écoles, de comptoirs de commerce) et le choix d’une capitale, Rabat, «la» capitale de Lyautey, qu’il entend distinguer des autres villes pour en faire la cité administrative emblématique de sa politique, sa New Dehli. Toutefois c’est bien dans une conquête qu’il se lance quand bien même le terme de pacification est employé : il doit, en effet, affirmer son autorité sur le pays. Il élabore sa stratégie en diffusant une image policée dans la presse et auprès des élites locales, en répartissant les pouvoirs parmi celles-ci, en jouant de la complexité de la population. Mais cette «épopée» (G. Ferragu), qui devait achever la constitution du mythe Lyautey, doit être confrontée à une réalité plus prosaïque : si la méthode alternative fonctionne, la pacification dure vingt-deux ans, bien loin des deux ans que Lyautey s’était fixés. Ainsi, pour Daniel Rivet, il donne l’illusion de maîtriser la conquête du pays en s’adaptant à la situation et aux insurrections : le Maroc est en réalité, une utopie de la colonisation pacifique.

De même, Gilles Ferragu s’attache à montrer que la charge de commissaire général de l’Exposition coloniale de 1931 confiée à Lyautey est une forme d’apothéose. L’Exposition apparaît à bien des égards comme une présentation de l’application de ses thèses : une colonisation idéale dans laquelle chaque communauté trouve sa place, un territoire urbanisé et rationnel, une place pour chaque religion. Lyautey participe ainsi à la légitimation de la colonisation : il sert d’alibi pour la rendre plus acceptable, conforter le civilisateur européen. Plus qu’une colonisation c’est une pacification qui est mise en avant, une aventure patriotique et rien de plus, quitte à passer sous silence les usages de la force.

Mais s’arrêter à ces éléments serait réducteur et on en oublierait une part importante de l’homme : l’auteur s’attarde sur la figure tourmentée de Lyautey notamment à travers sa brève expérience de ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale. S’il est un héros colonial, il n’est pas un héros de la Grande Guerre : il ne commande pas sur le front, son ministère se termine par une démission fracassante et il ne peut s’imposer vis-à-vis du Grand Quartier Général dont il critique les carences sans pouvoir jamais asseoir son emprise sur lui (il n’arrive pas à dissuader Nivelle de l’offensive du Chemin des Dames, par exemple).

Ce conflit auquel il n’a pas participé est peut-être la conséquence de ses critiques envers les bureaux et l’institution. En effet, Lyautey est un officier critique, qui fait preuve d’«un anticonformisme stratégique» (selon l’auteur), n’hésitant pas à prendre ses distances vis-à-vis de ses camarades, comme lors de l’affaire Dreyfus, au cours de laquelle il prône la modération ; à juger avec sévérité le corps des officiers et à soutenir des idées stratégiques et tactiques non-conventionnelles (l’introduction de l’aviation par exemple). S’il possède un prestige indéniable, il s’adapte mal à la conception française du pouvoir : en fait, l’école coloniale ne forme pas à l’administration métropolitaine. Pour l’opinion publique, Lyautey est un colonial réduit à cette dimension et non un homme vraiment influent : il faut voir dans les échos de la presse à son élection à l’Académie française en 1912 moins une célébration de ses talents littéraires que du grand colonial et de ses conquêtes en pleine tension avec l’Allemagne sur le Maroc. En somme, c’est un acte patriotique et une instrumentalisation, pour réconcilier la République et l’armée après l’affaire Dreyfus. Lyautey a su profiter de ce contexte troublé pour imposer son mythe, qui repose donc sur une méthode, un charisme, un style de commandement qui se nourrissent chacun des différentes facettes de l’homme.


Elodie Vouaux
( Mis en ligne le 10/03/2015 )
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