| Antoine d' Arjuzon Edouard VII - Le Prince de l'Entente cordiale Perrin 2004 / 23 € - 150.65 ffr. / 406 pages ISBN : 2-262-01961-4 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
On a vu en lui le prince des noceurs, plus habitué aux danseuses de lopéra et des Folies bergères quaux rigidités du protocole et de la morale anglaise. Édouard VII semble avoir du mal à imposer sa stature royale et historique : la faute à son illustre mère, dont lombre, qui ressemble presque à une statue de commandeur, sétend sur le XIXe siècle anglais. Quelle erreur pourtant de ne pas considérer linfluence fondamentale de son règne dans les affaires européennes, au moment de la montée des périls qui précéda la Grande Guerre. Certes, Albert-Edouard, le fils de la reine Victoria, arrive fort tard, en 1901, sur le trône : à 60 ans, cest un homme fait, qui a des habitudes plutôt que des desseins, et qui entend régner plutôt que gouverner. Mais dans une situation politique et diplomatique confuse, où lAngleterre, de plus en plus isolée, est sommée dabandonner la «splendid isolation», il fallait une volonté suffisamment forte pour imposer labandon dune politique extérieure séculaire au profit dun réalignement complet. La nouvelle donne européenne, celle des années 1900-1914, doit énormément à la personne même du souverain anglais autant quà la politique de ses gouvernements successifs.
Cest dès sa jeunesse que le futur souverain se forge
dans ladversité : son éducation, définie selon des principes paternels stricts, na rien dun conte de fées. Tenu éloigné de ses parents comme de camarades de son âge, il grandit, entouré dadultes, dans le culte des humanités et du travail intellectuel. Or lenfant est nerveux, agité, enthousiaste : intelligent, il savère toutefois rétif aux études et semble séduquer par le biais des voyages officiels quil enchaîne dès ladolescence. Le Canada, les Etats-Unis, lEmpire Ottoman
lui donnent sur le monde un point de vue original, qui servira les conceptions du souverain. Adulte, il trouvera dans les nombreux voyages officiels, qui le portent jusquen Inde, lopportunité de sinscrire dans la politique extérieure de son pays. Car, au nom dune conception singulière (voire bornée) de son rôle de reine et de mère, Victoria écarte systématiquement son héritier de toute charge politique ou diplomatique. Alors, Edouard se verrait bien officier actif
mais là encore, il doit se contenter dune instruction militaire de deux mois et dun grade de colonel honoraire. Pour exister, il ne lui reste que les réceptions officielles et la haute société anglaise (il fonde dailleurs un club, le Marlborough, dans ce dessein).
Dans sa jeunesse, le prince de Galles accumule donc une série de frustrations. Mais il nest pas pour autant un aigri et, par ailleurs, il sait faire montre dun réel charisme pour charmer les foules autant que les gouvernants, et cela jusquen Irlande. En outre, il développe une pratique politique complémentaire de celle de son illustre mère, et sait amadouer les personnalités hostiles ou qui déplaisent au trône (comme lord Salisbury). En cela, il fait montre dune qualité qui fait défaut à la reine : savoir composer avec les exigences du parlementarisme
tout en restant, comme le signale ironiquement un proche, un autocrate de cur. Sil rencontre quelques échecs comme son neveu Guillaume II , il est en général perçu comme un prince libéral et ouvert, quoique intransigeant quant aux destinées, notamment coloniales, de son pays. Car dans un contexte dimpérialisme actif (en Afrique du Sud, en Afghanistan, en Egypte
), le prince se fait le partisan dune politique ambitieuse et vigoureuse.
Vigoureux, il lest tout autant dans sa vie privée, et lauteur ne cache rien des errances sentimentales de ce prince pourtant heureux en ménage. Sans être le Sardanapale que lon se plaît à voir en lui (mais la légende dépasse de loin la réalité), il accumule aventures et conquêtes et trouve là encore de quoi exercer un charme indéniable. Egalement joueur et amateur de chevaux comme de régates, il incarne longtemps un parangon de mondanité et de dandysme. Toutefois, il y a un temps pour tout et le règne conduit à soccuper daffaires plus graves. Léquilibre difficile (voire impossible) des relations entre Londres et Berlin pousse Edouard VII, plus audacieux, sinon plus constitutionnel que sa mère, à sengager dans une diplomatie spectaculaire, qui précède un remaniement des ententes en Europe. Le règne, relativement court (1901-1910) marque donc nettement la politique internationale du temps.
Au final, cette biographie, de facture classique, savère plaisante à lire : le personnage méritait une étude et, autant que possible, une démythification. Cest ce que fait avec talent Antoine dArjuzon, qui entraîne le lecteur dans ce XIXe siècle anglais complexe. Certes, le règne assez court dEdouard VII donne parfois à cette biographie une allure mondaine plus que politique, impression renforcée par les sources utilisées (essentiellement des mémoires et biographies, quand certaines archives françaises auraient été les bienvenues). Mais en décrivant la formation puis lattente du pouvoir, en dénouant lécheveau complexe des relations dEdouard VII avec sa famille, lauteur livre une réflexion intéressante sur les prémices dun règne et le crépuscule dun monde, celui dune Europe cosmopolite et aristocratique. En procédant par de rapides biographies et des mises au point thématiques (dans le corps du texte ainsi quen annexe), il restitue le prince, puis le roi, dans son entourage et facilite la compréhension des divers ressorts dEdouard VII. La France, au centenaire de lEntente cordiale, lui devait bien cela !
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 07/04/2004 ) Imprimer
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