| Paul Christophe Cardinal Alfred Baudrillart Cerf - Histoire 2006 / 29 € - 189.95 ffr. / 288 pages ISBN : 2-204-07832-8 FORMAT : 14,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
De 1914 à 1942, Alfred Baudrillart cardinal, académicien a rédigé jour après jour des carnets intimes dune richesse impressionnante, du fait dune position parisienne et nationale. Recteur de lInstitut catholique depuis 1907, académicien depuis 1918 (sur le siège dAlbert de Mun, autre personnalité catholique au confluent de plusieurs mondes
), évêque en 1921, archevêque en 1928 puis cardinal en 1935, Baudrillart aura suivi à la lettre un cursus honorum qui la mené, en prince de lEglise romaine, à diverses missions et postes dobservation. Et cet homme, quasiment né académicien, tenait un journal
Bénie soit Clio ! On croise, au fil des pages, le tout Paris, le tout Vatican et, sommes toutes, lHistoire européenne, dépeints dune plume agile, habile, pas forcément toujours lucide, mais efficace et subtile dans ses jugements, ses critiques, ses interprétations.
Cétait un travail de titan, de Romain, de bénédictin
et Paul Christophe, professeur à linstitut catholique de Lille, la fait : la publication annotée, in extenso, des 65 Carnets du cardinal Baudrillart. 9 volumes, édités depuis 2003 aux éditions du Cerf, qui offrent aux amateurs et historiens une source incomparable sur lhistoire religieuse, politique, culturelle de la France entre 1914 et 1942 (louvrage, et la communication de Mme Abel, conservatrice des archives de linstitut catholique, signale dailleurs la richesse exceptionnelle du fonds Baudrillart). Lobjet, en soi, est précieux : ce sont des milliers de pages, écrites au jour le jour par un acteur et un «grand témoin» de lhistoire. Et dotés dun index par volume, ces Carnets sont aussi un fabuleux outil de travail. Il semblait donc légitime de conclure cette entreprise par un colloque
au risque de se laisser emporter par le document lui-même. De la Grande guerre à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la montée des périls et des guerres (lEthiopie), lavènement des totalitarismes et des crises, le colloque revient sur des points essentiels, qui scandent ce «siècle de fer».
Un colloque est un agrégat, le rassemblement de plusieurs sensibilités scientifiques (ici historiennes) et de méthodes, de styles, dinterprétations diverses. Réussir un colloque, cest parvenir à fusionner tout cela au profit dun objet scientifique (thème, personnage, document, événement
) : cest tout ce qui fait lintérêt de la démarche de Paul Christophe, davoir replacé au cur des travaux non les carnets mais le cardinal lui-même. Il sagissait non pas doublier linstrument, précieux, mais de lire lhistoire dans lintimité de leur auteur, Baudrillart. La plupart des participants se sont appliqués à lexercice, avec un résultat le plus souvent réussi (Philippe Chenaux, Annette Becker, Jean Marie Mayeur
specialistes universitaires des divers aspects abordés : la Grande Guerre, la démocratie parlementaire, Pie XII, lAction française
autant de sujets qui font du cardinal un témoin et un acteur irremplaçable). Inversement, rares sont ceux qui se sont limités à une lecture de lindex, une vague mise en contexte, sans parvenir à sélever au-delà du document brut.
Dans ce concert, Paul Christophe domine : sa connaissance du personnage et de ses carnets éclaire lensemble. De fait, les chercheurs apprécieront cet ouvrage qui rassemble et met à leur portée quelques textes importants, ouvre des pistes (la conclusion en forme de liste dinterrogations est particulièrement stimulante) et offre quelques aperçus de la richesse du document et de linterêt du prélat. Certes, cest la dimension politique et internationale du personnage, qui ressort, plus que la dimension religieuse : comme Léon XIII décrit par un ambassadeur français, Baudrillart fut certainement un cardinal «politique» plutôt que «religieux» : raison de plus pour aborder sans stéréotype anticlérical désuet un document majeur comme les carnets.
Sans doute labsence dindex pour le colloque pourrait être considérée comme un oubli, regrettable (cest le cas de tout ouvrage scientifique), mais également comme une invitation faite à chaque chercheur de se plonger dans un flot de mémoire et de références.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 18/12/2006 ) Imprimer | | |