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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

Fénelon ou le commencement d'un saint
Sabine Melchior-Bonnet   Fénelon
Perrin 2008 /  24 € - 157.2 ffr. / 468 pages
ISBN : 978-2-262-02071-2

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié : Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (Champ Vallon, 2003).
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Il y a des écrivains illustres que personne ne lit plus mais dont le nom reste familier. Fénelon est du nombre, qui survit dans l’appellation d’un lycée parisien et dans l’évocation des Aventures de Télémaque. Mais s’il est oublié du grand public, le «cygne de Cambrai» continue à passionner les doctes. De nombreux travaux érudits lui ont été consacrés dans les années 1990 et 2000, et la publication de sa Correspondance a été menée à son terme en 2007 (Genève : Droz, 1971-2007, 18 volumes). Il était temps de faire passer au grand public le résultat de ces études : c’est le propos de Sabine Melchior-Bonnet, qui donne ici une biographie totale du personnage, à la fois politique, religieuse et littéraire.

François-Armand de Salignac de La Mothe-Fénelon est né en 1651, deuxième fils du deuxième lit d’un pieux et noble gentilhomme du Périgord. Élevé dans une famille dévote, neveu de l’évêque de Sarlat, il est naturellement destiné à l’Eglise, et son oncle le nomme chanoine de sa cathédrale en 1671. Peu de temps après, il est envoyé à Paris, pour étudier au prestigieux collège du Plessis, et choisit pour directeur de conscience le directeur du séminaire de Saint-Sulpice, Tronson. Par Saint-Sulpice et Tronson, Fénelon entre en relations avec la pieuse et puissante famille des Colbert : le grand Colbert, son fils Seignelay, mais aussi les gendres du ministre, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. La carrière ecclésiastique du jeune homme connaît un essor régulier sinon rapide : en 1679, il est supérieur du couvent des Nouvelles Catholiques ; en 1681, son oncle lui résigne le prieuré de Carennac ; en 1686, il est chargé de diriger une mission auprès des nouveaux convertis de Saintonge. Directeur de conscience de hautes personnalités, prédicateur renommé, il est déjà un écrivain fécond : en 1687, un Traité de l’éducation des filles, en 1688, un Traité du ministère des pasteurs. Remarqué pour sa piété et son éloquence, il se lie avec Bossuet, l’évêque de Meaux, un des prélats les plus écoutés de Louis XIV.

L’arrivée sur le devant de la scène se produit le 16 août 1689 : ce jour-là, le duc de Beauvillier est nommé gouverneur du duc de Bourgogne, le petit-fils du roi, et Fénelon lui est adjoint comme précepteur. Tronson écrit alors finement à son ancien élève : «On a souvent plus de part à son élévation qu’on ne pense ; il est très rare qu’on l’ait appréhendée et qu’on l’ait fuie sincèrement.» Le nouveau précepteur n’est pas indifférent au monde, ni insensible aux sirènes de l’ambition. C’est pourtant vers la même époque que Fénelon se lie avec Mme Guyon, une mystique accusée par les autorités ecclésiastiques de verser dans le quiétisme, hérésie qui prône la contemplation et une passivité absolue et qui conduit à l’indifférence aussi bien envers le péché qu’envers les actes explicites de la foi. Une sorte de coup de foudre spirituel frappe l’aristocrate périgourdin et la bourgeoise. «Leur esprit se plut l’un à l’autre, leur sublime s’amalgama», écrit ironiquement Saint-Simon.

Cependant, le préceptorat de Fénelon semble un plein succès. En 1690, il devient précepteur du duc d’Anjou, frère cadet du duc de Bourgogne, et en 1693 du duc de Berry, son benjamin. La même année, il est élu à l’Académie française. Adepte de la douceur et de la persuasion davantage que de l’autorité et de la contrainte, le pédagogue sait modeler ses élèves et se faire aimer d’eux. C’est pour le duc de Bourgogne qu’il compose les Aventures de Télémaque, roman qui donne une suite à l’Odyssée. Le précepteur est également entré dans l’intimité de Mme de Maintenon, l’épouse morganatique du souverain, dont il devient une sorte de second directeur et à qui il dit ses vérités : «Le moi dont je vous ai parlé si souvent est encore une idole que vous n’avez pas brisée», «Étant dure à vous-même, vous l’êtes aussi aux autres», etc. La faveur dont Fénelon jouit auprès du roi et de Mme de Maintenon, l’amitié que lui portent ses élèves, tout donne à penser qu’il sera amené à jouer dans l’avenir un rôle politique de premier plan. Lui-même prépare l’avenir en pensée. En décembre 1693, il rédige une Lettre au roi, jamais envoyée, qui est un violent pamphlet contre Louis XIV et ses ministres.

Mais la Roche tarpéïenne est proche du Capitole. Les ennemis de Fénelon l’associent aux erreurs de Mme Guyon et l’accusent de pencher vers l’hérésie ; Bossuet prend la tête de ses adversaires ; Mme de Maintenon, un temps tentée par la mystique guyonnienne, prend peur. Le 4 février 1695, Louis XIV nomme le précepteur à l’archevêché de Cambrai, ce qui est à la fois une promotion et un début d’éloignement, d’autant que cette nomination l’empêche de briguer l’archevêché de Paris, qu’il convoitait. A la fin de l’année, Mme Guyon est arrêtée. En janvier 1697, Fénelon fait paraître l’Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, où il expose ses opinions sur la vie mystique. Le 31 juillet, il est exilé dans son diocèse, avec interdiction de communiquer avec ses élèves. L’année suivante, il est rayé de leur Maison, ses appointements et logements sont supprimés. Dans le même temps, les Maximes des saints sont examinées à Rome, et sur forte pression de Louis XIV, vingt-trois propositions tirées du livre sont condamnées par le bref Cum Alias le 12 mars 1699. Fénelon se soumet avec humilité et, retiré à Cambrai, se consacre à l’administration de son diocèse. Évêque modèle dans la lignée de saint Charles Borromée et de saint François de Sales, il affermit son clergé, visite ses paroisses, combat le jansénisme.

Le prélat disgracié n’est pourtant nullement oublié. Copiées à l’insu de Fénelon, les Aventures de Télémaque sont publiées en avril 1699 et connaissent un succès retentissant. Chacun reconnaît dans le couple Télémaque-Mentor une image du couple Bourgogne-Fénelon, et le roi Idoménée paraît une critique de Louis XIV. Avec la guerre de Succession d’Espagne qui reprend en 1701, Cambrai se retrouve proche du théâtre des opérations ; le palais archiépiscopal reçoit nombre de visiteurs de marque, d’autant plus nombreux que le roi avance en âge et que Fénelon peut apparaître comme le Richelieu du règne futur. Les espérances politiques de M. de Cambrai sont au comble en 1711. Le grand dauphin meurt et le duc de Bourgogne devient dauphin. Contre le gouvernement de Louis XIV, «vieille machine délabrée qui va encore de l’ancien branle qu’on lui a donné, et qui achèvera de se briser au premier choc», Fénelon jette sur le papier un programme politique, connu plus tard sous le nom de Tables de Chaulnes ou Plans de gouvernement pour être proposés au duc de Bourgogne. Las, le 18 février 1712, le duc de Bourgogne meurt à son tour. «Tout est pot au lait en ce monde ; chacun de nous est Perrette», écrit l’archevêque désenchanté. Ayant rompu ses derniers liens avec le siècle, Fénelon meurt le 7 février 1715. Sa carrière politique a avorté ; sa gloire littéraire commence.

Le XVIIIe siècle recompose la figure du prélat pour en faire un philosophe déiste, précurseur des Lumières. En 1723, son ami l’Écossais Ramsay, futur fondateur de la franc-maçonnerie, fait paraître une Histoire de la vie de Fénelon. Tout le siècle lit Télémaque, qui inspire le Rousseau de l’Émile et de la Profession de foi du vicaire savoyard. L’éloge du prélat est mise au concours par l’Académie française en 1771. Robespierre voit en lui «le précepteur du genre humain», et sa sépulture est épargnée par la Révolution. Au siècle suivant, Chateaubriand et Stendhal se tiennent pour héritiers littéraires du cygne de Cambrai. En revanche, à partir des années 1880, la critique commence à trouver le roman de Télémaque froid et ennuyeux et ses ouvrages mystiques, ridicules ou illisibles.

Pour en juger, mieux vaut se reporter à l’œuvre que de se fier au jugement de tel ou tel biographe. Sabine Melchior-Bonnet réussit cet exploit de donner à son lecteur l’envie de se plonger dans Télémaque. Elle a su rendre les contradictions de son héros, partagé entre désir de gloire et dégoût du monde ; elle expose avec clarté les complexes querelles théologiques qui ont occupé le plus clair de son existence ; surtout, son style élégant ne dépare pas dans le voisinage de celui du maître. Ce Fénelon fait bien sentir la séduction de celui dont Saint-Simon écrit qu’«il fallait faire effort pour cesser de le regarder». Un saint ? Non, conclut l’auteur, «mais le commencement d’un saint».


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 26/03/2008 )
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