| Paul Dumouchel Le Sacrifice inutile - Essai sur la violence politique Flammarion 2011 / 21 € - 137.55 ffr. / 322 pages ISBN : 978-2-08-124189-3 FORMAT : 14cm x 21,9cm Imprimer
Dans son dernier essai Le Sacrifice inutile Essai sur la violence politique, Paul Dumouchel se penche sur ce qui est souvent apparu comme lhorizon indépassable des États. En effet, la philosophie politique moderne a souvent considéré que la fonction première de lÉtat consiste à assurer la protection de ses citoyens. Il sagit non seulement de les protéger les uns par rapport aux autres, mais aussi de le défendre contre les ennemis extérieurs. Dailleurs, historiquement, ce sont autant les États qui ont fait la guerre que la guerre qui a fait les États.
Toutefois, précise P. Dumouchel, «les violences contre les populations civiles, les génocides, nettoyages ethniques, massacres sont pour lessentiel perpétrés par des États et, dans une large mesure, contre leurs propres citoyens». Lassertion rappelle, entre autre, linapplication de la Constitution de 1793 du fait de la lutte contre les ennemis de lintérieur, i.e. les traitres, et ceux de lextérieur, cest-à-dire lEurope coalisée. A ce propos, Saint-Just affirmait par exemple «gouverner par le fer ceux qui ne pouvaient lêtre par la justice». Défendant la mise en place du gouvernement révolutionnaire «jusquà la paix», il répétait à lenvi à la tribune du parlement quil valait «mieux hâter la marche de la Révolution que la suivre au gré de tous les complots qui lembarrassent, lentravent».
Le salut public, dont lÉtat est le garant, se réalise souvent de manière paradoxale aux dépens des sociétés censées être protégées. «Au Cambodge, au Rwanda, en Turquie, en Russie, en Argentine et au Chili, écrit lessayiste, lÉtat est pendant un moment devenu le pire ennemi de ceux quil avait pour fonction de protéger. (
) Que les États soient violents dans leurs rapports les avec les autres et quils utilisent parfois la force contre leurs citoyens est banal et trop fréquent. Ici, cependant, il sagit dautre chose, le scandale vient de la contradiction entre ce qui constitue la fonction officielle de lÉtat, la protection de ses membres, et des politiques qui visent lextermination dun très grand nombre dentre eux» (pp.9-10).
Revendiquant le monopole de la violence légitime, lÉtat protège ses citoyens de la violence par la violence. Ce qui, de prime abord, contribue à simplifier «la relation dinimitié. La tripartition de lespace de solidarité/hostilité quon rencontrait dans les sociétés sans État est remplacée par une bipartition qui rejette les «ennemis» à lextérieur et confine les «amis» à lintérieur de lÉtat, quelle assimile son territoire, un concept mixte fait despace physique et de proximité culturelle. Il faut le considérer comme une catégorie politique fondamentale». Sur le territoire, en effet, sexerce la puissance de lÉtat de façon homogène. Cette logique de territorialisation du pouvoir étatique «conduit à fondre en une seule relation les rapports distincts que sont ladversité et la solidarité», sous légide de la «rationalité» et du «droit» (p.26).
Ce schéma a, toutefois, été balayé par la résurgence de leffacement des frontières et «la fin des territoires» (p.35). Cet «abandon du territoire comme armature sous-jacente à la gestion des conflits réduit la pression vers légalité. (
) Ce renoncement au territoire, contrairement à ce quon pourrait croire, nest pas dicté par lennemi quil sagit de combattre le terrorisme islamique -, mais par lévolution interne des États modernes», lesquels sont devenus des «réseaux de services qui sétendent au-delà de leurs frontières» (p.315). La transformation de lespace politique, sa verticalisation, nest pas sans conséquence, daprès P. Dumouchel, notamment sur légalité qui doit de toute évidence être repensée.
Jean-Paul Fourmont ( Mis en ligne le 05/04/2011 ) Imprimer | | |