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Sur les traces de la démocratie
Pierre Manent   Enquête sur la démocratie - Etudes de philosophie politique
Gallimard - TEL 2007 /  14.50 € - 94.98 ffr. / 472 pages
ISBN : 978-2-07-078569-8
FORMAT : 13,0cm x 19,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal
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Les livres sur la démocratie se font nombreux ces temps-ci. Après les deux premiers volumes de Marcel Gauchet, L'Avènement de la démocratie : La Révolution moderne et La Crise du libéralisme, 1880-1914 (Gallimard, 2007), voici une réédition de choix, le remarquable ouvrage de Pierre Manent, Enquête sur la démocratie. Il s'agit d'un recueil d'articles pour la plupart issus de la revue Commentaire, fondée en 1978 par Raymond Aron, dont Pierre Manent était alors l'assistant au Collège de France. Après avoir été le rédacteur en chef avec Marc Fumaroli de cette revue dirigée par Jean-Claude Casanova, il en est l'un des plus éminents collaborateurs. Pierre Manent est aussi directeur d’études à l'EHESS, au Centre de recherches politiques Raymond Aron et professeur associé à Boston College (États-Unis).

Enquête sur la démocratie est un ouvrage imposant qui se propose de scruter différentes notions de la philosophie politique. Il s’articule autour de trois parties, «Comprendre la politique moderne», «En lisant les philosophes politiques» et, enfin, «Religion et politique». En effet, une question "rôde" dans tout l'ouvrage : pourquoi sommes-nous démocrates ? Ou même plus simplement : qu'est-ce que la démocratie ? Et quelles sont les questions qu’elle pose d’une façon directe et indirecte ? Il est clair que pour Pierre Manent, la force démocratique est aussi sa faiblesse. Surtout la démocratie libérale. Le libéralisme, ressort fondamental du mouvement moderne, étend son régime à toutes les activités humaines, bien au-delà donc de l'économie. Il y a, indéniablement, de la part des Modernes, une volonté de construire de leurs propres mains ce régime politique et non plus de découvrir seulement l'ordre juste caché dans la nature.

Dans une première partie, Pierre Manent interroge inlassablement la notion de démocratie, la démocratie dans tous ses états ou dans tous ses aspects. Par exemple, dans l'article «La démocratie sans nation ?», il pose des questions autant cruciales que dérangeantes : "Nous ne réfléchissons pas assez sur ce fait singulier : nous sommes le premier monde qui veuille soumettre tous les aspects du monde à un seul principe ; quoique ce principe soit celui de la liberté, le projet même a quelque chose de tyrannique. Il y a deux siècles et demi, alors que la règle religieuse était pesante et même, par certains traits, tyrannique, Montesquieu, le plus judicieux défenseur peut-être de la liberté moderne, s'écriait : "Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites." Aujourd'hui, les vrais amis de la liberté sont enclins à penser, sinon toujours à oser dire : "Qui le dirait ! la liberté même a besoin de limites." Ces limites sont celles du corps politique dans lequel seule la liberté peut-être effective" (p.181). On voit ainsi comment la démocratie peut devenir un démocratisme et s’annihiler elle-même.

Ce corps alors sans limite que devient la "démocratie", si encore on peut l'appeler démocratie, est dû à l'usage tyrannique que l'homme européen fait de la liberté, la conduisant de fait à la déroute : "Il a voulu ne faire que ce qu'il voulait ; il a rejeté comme arbitraire et suranné l'instrument politique qui lui permettait, en lui fixant des limites, d'exercer sa souveraineté, c'est-à-dire sa volonté ; sa volonté va se trouver sans instrument, sans cadre de formation et d'action, solidaire et politiquement impuissante. Avec le droit méticuleusement garanti de tout vouloir, il ne pourra, comme citoyen, presque plus rien" (pp.180-181). Au fil de plusieurs articles, Pierre Manent se fait un redoutable commentateur de la démocratie et ses textes deviennent incontournables par leur pertinence et leur acuité.

Quand il réfléchit sur l'Europe, son optique est particulière : "Mais "l'Europe" signifie-t-elle aujourd'hui la dépolitisation de la vie des peuples, c'est-à-dire la réduction de plus en plus méthodique de leur existence collective aux activités de la société civile et aux mécanismes de la civilisation ?" (p.173). La crainte de l'auteur concerne aussi et surtout cet individualisme moderne qui fonde à la fois la démocratie en même temps que son impossibilité ou son anéantissement. Si Pierre Manent défend la nation ce n'est pas la nation comme particularité mais comme corps politique. Ne nous trompons pas de débat et de cible. Dès lors que l’individu se singularise, à travers le processus démocratique, deux chemins s’offrent au philosophe : se réjouir que l’individu de droit prenne sa pleine mesure, ou déplorer qu’il se réfugie dans le banal, par peur d’affronter une indépendance vertigineuse.

Dans la seconde partie, Pierre Manent éclaire les grandes questions qui se posent à nos démocraties libérales en convoquant les noms prestigieux de la philosophie politique. Cela va de Machiavel jusqu'à son maître Raymond Aron en passant par Hobbes (avec une interprétation de Hobbes par Léo Strauss, autre auteur préféré de Pierre Manent), Bodin, Montesquieu, Marx, Tocqueville, Platon (vu par Castoriadis). Ce qui nous renverrait à un autre ouvrage de Pierre Manent reparu récemment : Naissances de la politique moderne. Des textes que l'on n'a pas fini de lire et de relire. Les grands commentateurs sont des écrivains précieux.

Enfin, dans la troisième partie, Pierre Manent interroge l’articulation entre religion et démocratie. Il mêle différentes réflexions sur la laïcité et revient notamment sur la continuité entre christianisme et démocratie. La Révolution française a réalisé en quelque sorte le christianisme parce qu’elle en aurait fait un "idéal". Il est vrai que l'on oublie trop souvent que la démocratie, mais aussi l'humanisme, ne se sont réalisés qu'en terres chrétiennes, témoin le texte remarquable qui conclut «Sur la notion de sécularisation» : "Plus la société moderne se barricade effectivement contre l'influence réelle du christianisme, plus elle se sent animée des "valeurs chrétiennes". On peut, si l'on y tient, appeler ce processus "sécularisation" (p.434). Une réflexion pertinente qui parsème cette fabuleuse Enquête sur la démocratie. Un essai incontournable.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 28/05/2008 )
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  • Naissances de la politique moderne
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       de Marcel Gauchet
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