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Le libéralisme, c'est ''Smith avec Sade''
Dany-Robert Dufour   La Cité perverse - Libéralisme et pornographie
Gallimard - Folio essais 2012 /  9,60 € - 62.88 ffr. / 528 pages
ISBN : 978-2-07-044635-3
FORMAT : 11cm x 18cm
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L'essai du philosophe et professeur en sciences de l'éducation Dany-Robert Dufour, La Cité perverse (première publication chez Denoël, aujourd'hui sorti en format poche) s'inscrit dans la lignée de penseurs singuliers qui se sont montrés plus que sceptiques envers la modernité et l'individu postmoderne : Jean Baudrillard (La Transparence du mal, Le Crime parfait), Jean-Claude Michéa (L'Empire du moindre mal, La Double pensée), Jean Clair (Journal atrabilaire), Philippe Muray (Exorcismes spirituels) et tant d’autres. N'oublions pas d'ailleurs Michel Clouscard qui, avec Le Capitalisme de la séduction et Néo-fascisme et idéologie du désir, fut l'un des premiers, dès les années soixante-dix, avec le cinéaste Pier Paolo Pasolini, à montrer que le capitalisme fut "révolutionnaire" en libérant l'individu.

Avec La Cité perverse, Dany-Robert Dufour reprend ses analyses antérieures et les approfondit. Il tente de remonter aux origines de la métaphysique libérale, aboutissant au marquis de Sade et ses continuateurs officiels ou inconscients. Plus le monde devient libéral et plus il devient sadien... Et l’illusion est de faire croire qu’il faut tout miser sur l'amour-propre des individus et la recherche de la maximisation de leurs intérêts en prétendant qu'une harmonie sociale nouvelle en découlera.

La première partie de l'essai s’attache à expliquer le grand reversement de la métaphysique occidentale. Cela commence avec saint Augustin et Pascal (non pas bien sûr que ceux-ci soient ultra-libéraux dans l’âme !), notamment avec la distinction entre amor Dei (amour de Dieu) et amor sui (amour de soi). Saint Augustin se préoccupe du type de socialité ou de culture et emploie parfois l'opposition entre un amor socialis et un amor privatus. Le premier est tourné vers les autres, soucieux du bien de tous, est soumis à Dieu et veut pour autrui ce qu'il veut pour lui-même tandis que le second est tourné vers soi (privé), subordonnant le bien commun à son pouvoir, et veut soumettre autrui pour son propre intérêt. Le premier ne peut transformer l’autre en objet alors que le second le peut aisément... C'est la base première du capitalisme.

C’est Pascal qui passionne notre philosophe en premier lieu. La raison en est qu’il est le premier à lâcher vraiment du lest sur cet amor privatus. Dans le fragment 45 des Pensées, Pascal dénombre trois concupiscences résultant de la mise au premier plan de l'amour de soi au détriment de l'amour de Dieu : la passion des sens et de la chair (libido sentiendi), la passion de posséder et de dominer (libido dominandi) et la passion de voir et de savoir (libido sciendi). Le capitalisme naît de la libido dominandi, relative à la volonté de domination y compris sur la nature annoncée par Descartes dans Le Discours de la méthode (que les hommes se fassent «comme maîtres et possesseurs de la nature»).

Sur ce point, Dany-Robert Dufour disserte longuement sur le fait que Pascal était dominé par ce qu’il appelle la figure du ''pervers puritain'' qui se met en place à partir de 1660, et qui va conquérir le monde. Le pervers puritain est «un sujet tel que le pervers qu'il abrite jouit sadiquement du névrosé puritain cependant que le puritain pâtit, c'est-à-dire jouit masochistement, du pervers», écrit-il. C'est de ce moment qu’il date le début du renversement progressif et total de la métaphysique occidentale. La plus fréquente maxime consiste à soutenir le ''bien public'' sur une base perverse ou cynique. L’ordre social émanera tout d’abord d’un défaut pour obtenir une bonne émulation. Pascal explique dans un fragment 118 des Pensées : «Grandeur de l’homme dans sa concupiscence même, d’en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait un tableau de charité». Voilà une phrase problématique puisqu’elle permet d’établir que le bien procède du mal. Précisons que, par ailleurs, Pascal se livre à quelques affaires florissantes, faisant de lui un pionnier du capitalisme. Il tente de commercialiser sa machine à calculer, la «pascaline». Il achète pour ce faire une boutique à la Halle au blé (Bourse du commerce actuelle), invente des techniques qui annoncent la publicité, rédige un «Avis nécessaire» sur la machine arithmétique, sorte de prospectus avant la lettre qui en vante les qualités. Avec le duc de Roannez, il se lance dans un projet commercial, connu sous le nom d'''affaire des carrosses à cinq sols'', en créant à Paris un réseau de transports en commun, utilisant des carrosses. Moyennant cinq sols, des passagers doivent pouvoir se faire transporter n'importe où dans la ville sur la base d'itinéraires fixes comportant des stations et des changements. Pascal s'occupe de l'organisation et de la conduite de la société, du passage des contrats et conventions, du tracé des itinéraires, des véhicules et de l'information par prospectus à donner au public potentiel. Ce qui confirme la maxime 118… en même temps que cela réhabilite la libido sciendi, liée à la passion de voir et de savoir.

Vient ensuite Pierre Nicole, le penseur janséniste, auteur avec Antoine Arnauld de la Logique de Port-Royal, ouvrage composé en 1667 pour l'éducation du jeune duc de Chevreuse et qui servit dans le cadre des «Petites Écoles» de Port-Royal. Cette Logique est tendue vers un idéal d'éducation fondé sur un langage rationnel capable de concilier l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie. Nicole met au jour le ''plan secret'' de Dieu par lequel il s'agit de laisser libre cours à la concupiscence des hommes. Nicole est le premier à affirmer que ce nouvel adage doit devenir la loi de la Cité. Ce moment est le début de la conquête du monde par le puritanisme pervers. Si le pervers puritain mise sur la libération pulsionnelle de ses passions concupiscentes, il est d'un autre côté contraint au calcul rationnel qui le force à investir là où la perte sera évitée et le profit sera aussi important que possible. Nicole et Bayle réhabilitent la libido dominandi liée à la passion de s'enrichir et de posséder.

Par la suite, Bayle, avec son essai, Pensées diverses sur la comète (1680), avance l'argument théologique suivant : si Dieu existe, il ne peut se servir de prodiges qui renforceraient la superstition des gens. Le remède contre l'athéisme serait pire puisqu'il équivaudrait à la promotion par l’Église de la superstition. L'athéisme n'est pas pour lui un plus grand mal que l'idolâtrie propagée par l’Église catholique, posant la question de savoir si une société athée peut être vertueuse. Bayle répond que c'est le plan caché de Dieu qui va jusqu'à l'utilisation de leurs vices privés pour satisfaire le souverain bien, la vertu publique. Bayle explique qu'une société formée d'athées mus par l'amour-propre et l'avarice serait bien plus forte et prospère qu'une société formée de personnes qui suivraient les préceptes de la religion chrétienne.

Deux concupiscences sur trois sont dès lors - vers 1700 - réhabilitées. La voie est bientôt libre pour qu'un esprit procède à la libération totale des passions. Ce sera avec Bernard de Mandeville (1670-1733) qui non seulement confirme la réhabilitation des deux premières concupiscences mais y ajoute la troisième, la libido sentiendi. Mandeville est un calviniste hollandais d'origine française. Un médecin qui sait que les âmes souffrent d'être emprisonnées dans les corps concupiscents. Il en tire l’équation libérale de sa Fable des abeilles : la libération des passions entraîne l'opulence ; le contrôle des passions provoque la misère («La ruche murmurante ou les fripons devenus honnêtes gens»). Chaque groupe reste libre de suivre son culte pourvu qu'ensemble ils participent au bien commun promis par cette nouvelle religion naturelle. Comme on le sait, Adam Smith reprendra l’analyse de Mandeville mais en substituant au mot «vice» celui d'«intérêt propre». Cet égoïsme dans la fable de Mandeville marque aussi un «échec du social» puisque les «fripons» ne peuvent pas en réalité devenir des honnêtes gens mais tout à l’inverse des «pervers». Alors qu’en est-il du social ?

Cette nouvelle religion libérale n'est plus une religion du Père, mais de la Mère. Le père était en effet un interdicteur qui refrénait les passions individuelles afin de rendre possible le lien social. Or, ici il faut rétablir la réhabilitation de l'amor sui pour accéder à la satisfaction pulsionnelle. Dans cette religion, la nature est une bonne mère qui fait tout pour ses enfants à condition que ceux-ci la laissent faire. Nous sommes passés d'un gouvernement des individus fondé sur le pouvoir paternel (reposant sur la convention et l’interdit) à un regroupement d’individus fondé sur le pouvoir maternel (incitateur, naturel, fondé sur la physis). Cette religion du marché n’est plus transcendantale mais immanente.

La seconde partie du livre analyse la montée en puissance de Sade. À la même époque, le transcendantalisme de Kant s'oppose aussi au libéralisme d’Adam Smith et Sade. Les deux courants se distinguent par la régulation morale à mettre en œuvre dans l'action. Alors que, pour Kant, il fallait absolument réguler — la morale doit être fondée sur l'impératif catégorique (se donner une loi à suivre), pour Smith, il faut ''laisser faire'', ce qui conduit à Sade, l’homme du sans limites, du commerce libidinal sans frein.

Le moment de Sade marque un tournant dans l’établissement de la métaphysique libérale qui ne trouvera ses déploiements conséquents qu’à notre époque, surtout à partir au début du XXe siècle. À la suite de Mandeville et Adam Smith, Sade pose la dernière brique de l'édifice idéologique : l’égoïsme libidinal. Le libéralisme, c'est ''Smith avec Sade''. Cet égoïsme trouve ses premières assises au XVIIIe siècle. La maxime sadienne est de considérer l'autre comme un moyen de réaliser ses fins. Si je l'adopte, je dois accepter d'être éventuellement instrumentalisé par l'autre, dans et par la jouissance de l'autre. Évoquons rapidement l’écueil des récits de Sade qui, selon les uns, ne construit qu’une fable tandis que, pour d’autres, il traduit l’esprit d’une époque. Nous optons pour la seconde interprétation car selon nous, dans La Philosophie dans le boudoir, le narrateur développe un hyper-naturalisme qui ne peut aller que dans le sens d'une véritable perversion (violation de tabous, inceste, torture…), jusqu'au passage à l’acte pour en tirer jouissance (ce que Sade a par ailleurs ouvertement fait dans sa vie...).

Dany-Robert Dufour prend un exemple de cet alliage du commerce et de la libido. Aux États-Unis, George Washington Hill, président de l'American Tobacco Co (propriétaire des marques Lucky Strike, Pall Mall) décide en 1929 de conquérir ce nouveau marché. Il embauche Edward Bernays, le pape des médias, de l'opinion, des sentiments et des affects. Bernays se résout à aller voir le psychanalyste Abraham Arden Brill et ce dernier lui explique que la cigarette est un symbole phallique représentant le pouvoir sexuel du mâle : s'il était possible de lier la cigarette à une forme de contestation de ce pouvoir, alors les femmes, en possession de leurs «pénis», fumeraient. Le 31 mars 1929, Bernays envoie défiler de jeunes mannequins sur la 5ème Avenue lors de la New York City Easter Parade, en ayant averti la presse que les belles jeunes femmes allumeraient des torches ''of freedom''. Devant la foule de photographes et au signal de Bernays, elles allument leurs flambeaux de la liberté : des cigarettes. L'association de la cigarette avec l'émancipation de la femme est un succès. Le résultat est que les femmes fument d'autant plus volontiers qu'elles croient avoir conquis leur liberté en dérobant aux hommes le petit phallus, même si elles se retrouvent maintenant dépendantes du tabac. La «libération» n'a pas de prix...

La démocratisation de la jouissance a ainsi été conçue comme prolétarisation du consommateur. Ce fut tout le travail de ces industries culturelles, chargées d'exploiter industriellement la libido des consommateurs en leur fournissant des objets d'identification et de réalisation fantasmatique multiples. En échange d'un tel relâchement, nous sommes passés d'un capitalisme de production à un capitalisme de consommation.

Au fur et à mesure, cette idéologie a gagné du terrain. Il en a résulté, dans la jeunesse des années 1950-1960, une «crise de libertinisme» qui balaya le puritanisme d’avant. Pour Dany-Robert Dufour, cette crise réside dans le rock'n roll avec le coup de reins fatal, le déhanchement érotique pelvien décisif contre les attitudes rigides des inhibitions sexuelles résultant du patriarcat et de l'hétérosexualité. Dès ses premières apparitions, Elvis Presley a été surnommé «Pelvis» ! Dany-Robert Dufour critique ce qu’avait écrit aussi Michel Clouscard dans Le Capitalisme de la séduction concernant le rock en montrant que celui-ci, sous couvert de «rebelle attitude» n’était qu’un cheval de Troie du capitalisme pour étendre son empire dans un monde en plein bouleversement. Le rock intervient dans un univers précis, la jeunesse d’après-guerre, avec l’invention du pavillon de banlieue, de la grande surface, du fast-food, de la pilule contraceptive, de la télévision, de la presse «libérée» (magazine Playboy). Le rocker donnera naissance au hippie qui conjuguera la révolte radicale (pacifisme, écologisme, communisme, artisanat) et appel à une jouissance généralisée qui ne peut trouver une traduction concrète que dans le néo-libéralisme. Ils donneront naissance, ce qui n’est pas un hasard, aux yuppies, ces jeunes cyniques, obsédés par l'argent et la réussite, qui ont pris la direction du monde depuis les années 1980.

La troisième partie analyse la cité d’aujourd’hui avec cette montée perverse. Pour Dany-Robert Dufour, la cité classique était une cité qui obéissait à des lois créées par les hommes pour échapper aux lois de la nature tandis qu’une cité perverse s'emploie à remettre au premier plan les lois de la nature tout en faisant croire qu’elle fait l’inverse. La société précédente essayait tant bien que mal de contenir les passions ; la différence aujourd'hui est que non seulement sous couvert d'émancipation, elles se "libèrent" plus facilement, mais qu’elles circulent plus aisément au point qu'il devient impossible de les freiner. Elles nous contaminent au point que nous nous imitons, devenant des Zelig friands et gloutons. Nous étions auparavant à l'ère du refoulement et nous passons de plus en plus à l'ère du défoulement. Cet égoïsme, même si l'égoïsme a toujours existé en l'Homme, est en train de déployer les tenants et les aboutissants qu'il n'avait pas pu déployer précédemment. L’homme, ce néotène, cet être non-fini à la naissance, à la différence des autres animaux, doit se parachever ailleurs que dans la nature, c'est-à-dire dans une culture, sans parler de la division subjective (la Spaltung) qu’il doit opérer pour être un adulte. Occuper la position du maître n'est pas de tout repos. Car le maître, le vrai, est celui qui, à l'instar de Dieu, réussit à s'autofonder. Or la chute de la référence divine classique (transcendante) dans nos sociétés conduit l'individu postmoderne à devoir affronter de plus en plus l'aporie de l'auto-fondation. Affronter est le prix à payer pour s'être libéré des grands récits qui soutenaient une figure possible de l'Autre. D'où l'accroissement présumé des cas de perversion et de psychose dite sociale. «Que le pervers dénie la loi des hommes, on vient de le dire. Mais cela ne suffit pas. Car il va plus loin. En effet, le déni pervers ne vise pas seulement la loi, avec un petit l. Il porte aussi sur la Loi, avec un grand L. Attention donc à ne pas confondre la loi, qui concerne la loi des hommes, et la Loi, qui renvoie aux Lois de la nature. Bref il faut pour s'y retrouver reprendre ici la distinction faite par les Grecs, déjà rencontrée, entre convention et nature, c'est-à-dire entre nomos et phusis. J'illustrerai cette distinction d'un exemple très simple : le gouvernement peut décider de fixer les vacances au mois d'août, mais il ne peut pas décider du temps qu'il fera alors. Ces deux domaines sont cependant bien régis par des lois, mais il s'agit de celles du nomos d'un côté et de celles de la phusis de l'autre. Cela pour dire que le déni pervers veut aussi toucher la Loi, celle à laquelle tout névrosé comme tel se soumet, aussi bien pour en souffrir. Le pervers veut en somme décider du temps qu'il fera. Ou des parents qui auraient dû être les siens. Ou du sexe qui devrait être le sien. Ou qui devrait être celui de l'autre. Il veut en somme ne pas savoir que le sexe est aussi une affaire de nature. De nature au sens où le genre auquel on appartient, le genre humain, est, si l'on nous permet cette expression, que nous avons déjà utilisée ailleurs, sexionné, c'est-à-dire régi par la Loi de la reproduction sexuée, et divisé en deux sexes, les hommes et les femmes».

Dany-Robert Dufour revient longuement sur la perversion proprement dite. Entendons-nous bien. Sommes-nous en train de devenir pervers ? Pas structurellement. Ce n’est pas parce que des sujets participent à une économie perverse qu'ils sont eux-mêmes pervers, au sens où ils relèveraient de la structure perverse mais d’une perversion ordinaire. Le tableau clinique du néo-sujet est celui d'un sujet resté enfant de la mère. Comme il y a une perversion extraordinaire et une perversion ordinaire, il existe un sadisme extraordinaire et un autre, ordinaire. Le sadisme extraordinaire est celui de Sade alors que le second se base sur le principe de l'égoïsme et de la réalisation pulsionnelle, celle-ci étant alors réalisée par des moyens industriels. Il s’agit, à travers la sexualité, d'une volonté de formater la pulsion en vue de son exploitation à grande échelle.

On comprend mieux pourquoi on assiste à un tel exhibitionnisme de nos jours, qui prend des proportions diverses et variées à travers cet égoïsme libéral. Dany-Robert Dufour analyse ainsi avec un luxe de détails époustouflants plusieurs registres dans l’art (subjectivisme extrême, relativisme culturel), la perte d’autorité, les enfants laissés au marché, l’addiction à la pornographie, l’inflation du virtuel (Second life) ou l’apparition des sextoys et autres poupées et robots par lesquels l’individu en vient à jouir sans autrui. Et il y a bien sûr la réécriture des lois pour légitimer cette descente dans la perversion. Cette logique est à l’œuvre dans le transsexualisme, comme il l'écrit. On a appris récemment que le transsexualisme n’était plus une maladie mentale grâce, non pas à un gouvernement de gauche mais de droite, celui de Nicolas Sarkozy ! Certes, une loi ne dit pas forcement la réalité ou la vérité mais l’évolution des mœurs n’est pas forcément bénie que par un gouvernement progressiste. On a là un cas flagrant de déni de réel (déni de réalité passant par un déni de sexe, via une castration réelle) légitimé par la volonté fantasmatique d’un individu qui décide de réécrire son sexe, son identité pour son confort personnel tout en demandant à l’état de prendre en charge cela. Elle accepte en effet que la distinction sexuelle, loi centrale de l'espèce, loi phylogénétique, ne s'impose plus aux individus. Ce qui ouvre bien sûr un abîme car l'ontogenèse (le développement de l'individu) perd tout sens, note Dany Robert Dufour.

Que ces solutions, procédant d'un rapport mensonger à soi ou aux autres, soient si répandues aujourd'hui dans le corps social ne peut signifier qu'une chose : la Cité ne cherche plus à s'accorder à la vérité. Cela peut se dire en un mot : nous avons alors affaire à une Cité qui devient perverse. On peut donc dire sans trop se tromper que la perversion ou le déni de réel sont devenus un droit de l’homme rejoignant ainsi ce que disait Jean Baudrillard  en 2005 : «La transsexualité : ce qui était une hallucination psychotique est devenu un des droits de l'homme. Ne serait-ce pas plutôt les droits de l'homme qui sont devenus une hallucination psychotique ?» C’est toute la force de ce livre de Dany-Robert Dufour que de mettre en lumière un tel renversement de perspective.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 01/05/2012 )
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