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Le plus bel objet de consommation
Mona Chollet   Beauté fatale - Les nouveaux visages de l’aliénation féminine
La Découverte - Poche 2015 /  9,50 € - 62.23 ffr. / 293 pages
ISBN : 978-2-7071-8581-5
FORMAT : 12,5 cm × 19,0 cm

Première publication en février 2012 (La Découverte - Zones)
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Mona Chollet signe un essai sur l’enjeu du corps des femmes dans la culture occidentale et analyse avec pertinence les nouveaux aspects de l’aliénation féminine : elle démontre comment la colonisation de la sphère culturelle par l’industrie de la mode inflige aux femmes des critères inatteignables qui s’interposent entre elles et ceux qui les aiment (telles qu’elles sont…). S’appuyant sur travaux et enquêtes sociologiques, références anthropologiques et historiques, elle décrypte comportements et discours (de publicitaires, couturiers, patrons d’agences et mannequins…), décode les scénarios de films et séries télévisées, décortique autobiographies, interviews et articles de presse féminine.

Imposé par les médias, le «complexe mode-beauté» est une entreprise de décervelage basée sur les craintes et les failles intimes (peur de ne pas être aimée, d’être rejetée, de vieillir…). Il vise à contenir les femmes dans de nouveaux formatages qui s’appuient sur une vision du corps et des relations erronée : n’exister que par la beauté, ne survivre que par la séduction. La pression de ce complexe mode-beauté fait bouger les limites entre logique mercantile et logique créatrice accentuant la confusion des genres entre mode et culture, publicités et informations. Son pouvoir s’étend à la Toile où blogs, clips et making-off de ces clips à la gloire des marques prospèrent : une actrice a plus de chance de faire la «couv» de magazines si elle participe à un clip Chanel ou L’Oréal que si elle tourne un ou plusieurs films d’auteur.

Côté publicité, depuis l’ère victorienne, toute représentation d’une femme en train de manger est bannie, elle ne peut que «picorer» tandis que les hommes mangent de bon appétit, en public, sans provoquer de répulsion. Aux femmes les minuscules bouchées, les produits allégés, les crèmes glacées coulant sur des lèvres sensuelles et aux hommes la pub pour le bœuf ou la paella ; même pour de légères tomates-mozzarelles, les femmes cuisinent, les hommes dégustent.

Les marques de couturiers définissent la norme des tailles et le corps des femmes s’adapte aux habits. L’exercice physique barricade les femmes en elles. Lissées, arasées, décharnées et donc enfin éthérées, les mannequins sont les porte-manteaux des fantasmes de couturiers eux-mêmes soumis aux exigences économiques délirantes des groupes qui les rachètent et qui opèrent, à l’instar d’une certaine idée du colonialisme, un recentrage eugéniste. Exit les beautés noires des années Yves Saint-Laurent, disparues des couvertures de magazines, au même titre que les rondes, les asiatiques, etc. L’idéal de beauté blanche-blonde-jeune-mince domine le monde.

Pour vendre ces modèles qui ne prennent sens que dans le regard d’autrui, on fait rimer féminisme avec consumérisme : le pouvoir d’achat définit la personnalité et contribue avec enthousiasme à son propre enfermement. Des journalistes, conditionnées au service des intérêts commerciaux de l’industrie mode-beauté, jettent en pâture des Listes de beauté, Bonnes adresses, Journées idéales que le magazine ELLE appelle Fashion démocratisation mais que Mona Chollet qualifie d’aliénation participative. Obsession permanente de la minceur, visages «botoxés», norme de l’épilation intégrale, banalisation de la chirurgie esthétique… : ce rôle de récréation visuelle exerce des influences directes sur les rêves et projets des enfants et adolescentes.

Face à cette obsession des apparences et à l’anxiété qu’elle génère, comment empêcher la société de consommation de faire main basse sur l’enfance ? Les journalistes encensent les enfants (de) star habillés, dès 2 ans, de pied en cape par Louboutin, Prada, etc. Le marketing sexualisé des marques, les concours de beauté enfants, la littérature enfantine, etc., posent la question de l’insouciance d’un corps d’enfant. Des adolescentes obsédées depuis des années par ces stéréotypes industriels, tentent dès 12/13 ans le mannequinat. Ensuite les statistiques de viols, dépressions, suicides et drogue parlent pour elles et l’auteure rappelle les méthodes des agences (Elite, etc.) et les affaires (Polanski et autres…).

Cependant, la presse féminine reste la seule à prendre en compte une certaine culture féminine : traditionnellement, l’activité intellectuelle (l’abstraction, la pensée noble) et les affaires sont associées au «masculin» tandis que la sensualité, la parure, le détail, tout ce qui constitue en quelque sorte le repos du guerrier est estampillé «féminin». Face à cette dichotomie ancestrale (et pas que… cf. également Kant, Molière, etc.), comment les femmes peuvent-elles imposer leur propre manière de voir sans être dénigrées ? Comment s’inscrire dans l’altérité quand des siècles ont réduit au silence leur sensibilité ? Marginalisée et dépréciée, l’identité féminine est condamnée à s’exprimer dans cette presse qui paradoxalement produit et relaie la pression de ce complexe mode-beauté.

Ces modèles «désanimalisés» (pas d’odeur, pas de couleur, pas de poil, pas de gras, etc) influencent insidieusement la construction identitaire de l’enfant (cf. la biographie Portia de Rossi, etc) : sur cet aspect-là de la protection de l’enfance, cet ouvrage fait œuvre de santé publique ! Mais cet essai salutaire permet de prendre conscience de la décorporéïté des femmes au profit d’objets fantasmés produits par le complexe mode-beauté occidental et pose la question de la féminité condamnée à la subordination. Il est vrai qu’entre le port du voile et ce modèle consumériste, l’interstice de liberté des femmes s’est extraordinairement réduit. Alors militons pour faire connaître ce livre brillant et non dénué d’humour… caustique.


Marie-Claude Bernard
( Mis en ligne le 28/04/2015 )
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