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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
| John-Kenneth Galbraith Economie hétérodoxe Seuil - Opus 2007 / 35 € - 229.25 ffr. / 1201 pages ISBN : 978-2-02-089622-1 FORMAT : 14x20,5 cm
Préface de Gilles Dostaler.
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006). Imprimer
Sous le titre Economie hétérodoxe, les éditions du Seuil publient cet automne le dernier recueil dessais du très grand économiste américain (né canadien) John Kenneth Galbraith, décédé lan dernier à Cambridge (Massachussets). Dans cette série de textes, lauteur qui fut un pape du keynésianisme et de lEtat providence (il commença sa carrière comme conseiller du New Deal de Roosevelt, et occupa, outre sa chaire à Harvard, des postes de responsabilité pendant les Trente glorieuses) confirme lampleur de lérudition économique mais aussi historique et sociologique qui caractérisait déjà son uvre des années 1960-1970. Le lecteur trouvera notamment dans les chapitres de lessai intitulé «LEconomie en perspective» (1987) un tableau magistral de lhistoire de la science économique occidentale dAristote au XXe siècle, à la fois synthétique et pénétrant, et - ce qui ne gâche rien - agrémenté dun solide sens de lhumour anglo-saxon.
Un des intérêts de ce travail est notamment de rappeler avec honnêteté au lecteur soucieux de comprendre les raisons du triomphe actuel du néo-libéralisme, les motifs du succès mais aussi de la fragilité du système keynésien que Galbraith contribua pourtant à mettre en pratique aux Etats-Unis. Comme le souligne Galbraith, Keynes eut le tort de laisser aux néo-classiques la suprématie dans le domaine de la théorie de la fixation des prix et des salaires (la «micro-économie») tandis que lui ne sintéressait quà la régulation macroéconomique. Ce faisant, quand son modèle se grippa avec les cycles dinflation de la fin des années 60, le monétarisme de Milton Friedman (la restriction de la masse monétaire) devint le seul «outil de rechange» directement applicable, au service de la «révolution conservatrice», un outil dailleurs plus indolore que les hausses dimpôts pour les financeurs des campagnes électorales. On est ici assez éloigné de certaines théories de gauche qui tendent à imputer lessor du monétarisme à une sorte de complot académique.
La curiosité de Galbraith pour la sociologie le conduit à esquisser dans «Anatomie du Pouvoir» (1983) - une théorie du pouvoir à laide de catégories sur les formes de domination la personnalité, la persuasion, la dissuasion et lorganisation qui ressemblent beaucoup à des idéaux-types weberiens, même si le mot nest jamais prononcé. A la lumière de ces concepts, Galbraith revisite toute lhistoire du monde, pour aboutir au phénomène majeur du XXe siècle : le triomphe de lorganisation, dans tous les domaines (y compris dans larmée et dans la religion, dont Galbraith ne cache pas le rôle central dans le système américain). Le lecteur pourra regretter certaines simplifications (sur lAntiquité notamment), et la prégnance contestable dun certain fonctionnalisme qui sépare artificiellement les individus des institutions. On peut en outre se demander si la clé dinterprétation de la modernité (et des impasses actuelles de la science économique) le développement des organisations nest pas un peu trop systématique pour être intellectuellement satisfaisante. Mais force est en tout cas de reconnaître que Galbraith au moins sy révèle comme un social-démocrate méritant, qui ne sarrête pas à la défense des services publics, et sait aussi faire le procès de la bureaucratie, aussi bien dans le secteur privé que dans les administrations.
Les textes plus récents, qui remontent aux années 1990, savèrent encore utiles de nos jours, pour comprendre les années 2000. Dans «La République des satisfaits», écrit en 1992, Galbraith plaide pour une approche de la société en termes de classes sociales, et sattache à montrer les ravages écologiques et sociaux que cause lindifférence des classes supérieures (les «satisfaits») à légard des classes populaires dont leur bien-être pourtant dépend en grande partie. Un aspect original de ces considérations concerne la politique étrangère dont Galbraith (en tant quancien ambassadeur en Inde de John Kennedy) soutient quaux Etats-Unis elle repose principalement sur la routine et ne requiert jamais de grandes innovations intellectuelles. Il en résulte, selon lui, un conservatisme suranné dans les méthodes et dans les objectifs, notamment dans la valorisation de la force militaire même en labsence dennemi de grande envergure. Lanalyste démocrate qui dénonce lenvolée du budget militaire américain dune décennie sur lautre, nest alors pas loin danticiper le phénomène Rumsfeld et les utopies néo-conservatrices qui conduisent aujourdhui son pays au désastre militaire.
Cet essai ainsi que les suivants dont la tonalité ne varie guère sachèvent sur un constat pessimiste. «Les riches, y compris ceux qui parlent pour eux et ceux qui sont leurs alliés politiques, sont solidement installés aux commandes. Ils sont ce quon appelle la réalité politique et ils le seront encore dans les temps à venir», conclut léconomiste à la fin de louvrage. Un diagnostic désabusé, à peine tempéré par un appel à un sursaut démocratique
en forme de bouteille à la mer
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 26/10/2007 ) Imprimer
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