| Erwin Rommel La Guerre sans haine - Carnets Nouveau monde 2010 / 24 € - 157.2 ffr. / 475 pages ISBN : 978-2-84736-522-1 FORMAT : 14cm x 22,5cm
Préface de Maurice Vaïsse
Présentation de Berna Günen
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Comme le constatent le professeur Maurice Vaïsse, préfacier de louvrage, et Berna Günen (IEP de Paris), qui en livre lédition critique, en introduction, Erwin Rommel fait partie de ces personnages dont le prestige na guère été entamé jusquà aujourdhui, en dépit de biographies scientifiques parfois très critiques (à commencer par lexcellent travail, récent, de Benoît Lemay). Le «Renard du désert» incarne toujours le brave général, mélange improbable et charismatique de vertu militaire et de simplicité, certes effleuré par le national-socialisme, mais qui impliqué dans le complot von Stauffenberg en sortirait quasiment blanchi, figure de stratège loué par ses adversaires (dont Liddell Hart, qui, le premier, donna ce titre si original - La Guerre sans haine - aux carnets Rommel) plus que par ses collègues (la galerie de ses adversaires comprend les Guderian, Jodl, Kesselring
, le gratin de la Wehrmacht !). Bref, une figure originale dans larmée nationale-socialiste, reflet de la légende dune Wehrmacht restée «propre», respectueuse des lois de la guerre
Si les travaux de Gaël Eisman sur le MBF et la synthèse récente de Wolfram Wette consacrée aux Crimes de la Wehrmacht, entre autres, ont fait justice de cette dernière allégation, Rommel figure encore comme un officier à part, chevaleresque, une image mise en place par la propagande nazie, et que ses carnets de France et dAfrique, enfin réédités, permettent de saisir.
Ces carnets sont les seuls écrits de guerre (de la Seconde Guerre mondiale sentend, Rommel étant «découvert» par Hitler à la publication de ses souvenirs de la Grande Guerre) dun Rommel qui na pas pu livrer sa pensée sur la Normandie de 1944 (la faute au complot Stauffenberg et au suicide commandé du maréchal). Le récit en est vivant, à la fois indéniablement littéraire et en même temps comme pris sur le vif. Les carnets commencent avec le franchissement des Ardennes belges (un peu désertes) et les premiers combats contre les troupes françaises, héroïques ou pas, combats qui sachèvent dans une sorte de course de vitesse jusquà Cherbourg. La Blitzkrieg vue du côté du manche
comme le constate, dépité, un général français qui avoue à Rommel que les Allemands ont été «trop rapides pour nous». Et un Rommel qui, quoique gêné par les avaries et les pertes, voit dans le système allemand «un modèle du genre» (p.63). Dailleurs, lavancée vers Cherbourg, dans une France en pleine débâcle, donne la mesure de la situation. Mais le maître mot du personnage reste laudace (son jugement sur le général anglais Wavell, qui, prudemment, nexploite pas complètement ses premières victoires, est significatif), la capacité à agir rapidement, avec ou sans ordres, poussant ses panzers au maximum vers lAtlantique (un peu comme Guderian sur le front Est). En désobéissant même, et la légende libyenne de lAfrika korps et du renard du désert commence sur un acte dindiscipline conçu comme un coup de poker.
Il faut dire que Rommel est envoyé, avec deux divisions (au lieu des quatre nécessaires), prêter main forte à une armée italienne quasi obsolète (le jugement des carnets est implacable), peu motivée et en pleine déconfiture. En outre, il est sous lautorité dun général italien, Gariboldi, plutôt déprimé, sur un front considéré comme secondaire, et parfois en butte aux mauvais procédés des autres chefs militaires, comme son ennemi intime, Kesselring
Cest avec ces cartes en main que Rommel débarque en Libye, en commençant par faire croire à un débarquement plus important que dans les faits, au moyen dune petite mascarade
Le surnom de renard se mérite, ô combien au long de ces pages, mais le lecteur saperçoit que si Rommel ruse, cest dabord avec ses propres limites en ravitaillement, matériel, et renforts, le tout arrivant «au compte goutte». Le principal talent du Renard est sans doute davoir su, avec des ressources limitées, et dans un contexte critique, remplir en partie sa mission.
La lecture est dun intérêt variable : le récit circonstancié de certaines opérations passionnera plus sûrement les mordus de tactique militaire - prêts à lire louvrage carte détat-major en main - que le grand public amateur dhistoire. De la guerre et rien que de la guerre : le maréchal ne se livre pas à un examen idéologique dans ses carnets et le mot nazisme napparaît quasiment jamais. On semble décidément loin du front Est et de la guerre idéologique. Et donc, cest plutôt dans les marges, les interstices du texte que lon découvre le personnage, ses jugements sur la situation, ses rencontres et discussions avec des officiers ennemis, ses étonnements devant certains comportements, les choix stratégiques dHitler (primauté de lOstfront), le matériel, les alliés italiens, les adversaires
Avec La Guerre sans haine, le lecteur est à la table de chevet du maréchal
avec des blancs importants toutefois, que Berna Günen sait habilement combler (non sans quelques expressions inattendues par endroit, comme lorsquelle décrit Rommel avançant en territoire français «comme dans une transe», p.55), et qui font que, dans une certaine mesure, lunité du récit est respectée. Un témoignage et un beau document dhistoire, auquel manque toutefois lindex qui en aurait fait un véritable instrument de travail.
Un document donc, rare, et impeccablement présenté. A lire en parallèle avec la biographie de Benoît Lemay, pour tous les amateurs dhistoire de la Seconde Guerre mondiale.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 20/07/2010 ) Imprimer
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