Antoine Prost Jean Pensuet Ecrit du front - Lettres de Maurice Pensuet, 1915-1917 Tallandier 2009 / 21.50 € - 140.83 ffr. / 383 pages ISBN : 978-2-84734-745-6 FORMAT : 14,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Thérèse Krempp mène une recherche en doctorat à l'École des hautes études en sciences sociales sur l'armée française d'Orient pendant la Première Guerre mondiale. Avec Jean-Noël Grandhomme, elle a publié Charles de Rose, pionnier de l'aviation de chasse (éditions de la Nuée Bleue, septembre 2003). Imprimer
Malgré la mort du dernier poilu, ou peut-être à cause de cette mort, la Première Guerre mondiale ne cesse de nous attirer et lexpérience combattante des soldats reste toujours particulièrement fascinante, à la fois pour le grand public mais aussi pour le monde scientifique. Cest que nous narrivons tout simplement pas à comprendre comment ces hommes ont pu supporter les inimaginables souffrances physiques et morales quils ont subies dans les tranchées pendant les quatre ans de guerre. Pour tenter de saisir lindicible, nous faisons appel aux témoins en publiant carnets ou correspondances de soldats, qui sont toujours intéressants à étudier mais aussi souvent très émouvants à lire.
Antoine Prost, professeur émérite à luniversité de Paris-I, présente la correspondance dun jeune homme de vingt ans mobilisé en 1915 comme soldat de 2e classe. Maurice Pensuet, originaire du Loiret, est né le 25 décembre 1895. Cest un artisan : fils dhorloger, il suit lui-même cette voie et rentre en apprentissage avant la guerre. En 1921, il sinstalle à Reims et devient horloger comme son père. Maurice Pensuet est tout à fait caractéristique de cette demi-bourgeoisie provinciale aisée sans être riche.
La famille de Maurice Pensuet a conservé les quelques cinq-cents lettres quil avait envoyées à ses parents. Lettres presque quotidiennes qui ont souvent été écrites au crayon de papier et réécrites par-dessus à lencre par les destinataires pour une meilleure lisibilité. Dans la présente édition, où il a fallu faire un choix, les lettres du front ont été privilégiées sur les lettres sans doute moins originales envoyées par Maurice depuis les hôpitaux où il a séjourné. Il a en effet été hospitalisé à quatre reprises : en septembre 1915, en mars et novembre 1916 et enfin en septembre 1917. Les lettres dans lesquelles Maurice raconte les circonstances de ses blessures nous sont présentées mais les lettres envoyées depuis les hôpitaux ont été écartées (le nombre de ces lettres et leur date denvoi sont par contre indiqués).
Intelligent et instruit, Maurice Pensuet sexprime fort bien dans ses lettres. Il est catholique pratiquant, très attaché à la religion, et il entretient une correspondance suivie avec plusieurs prêtres. Si Maurice Pensuet est un bon soldat, manifestement courageux (nous le voyons aisément à travers sa correspondance mais aussi par ses blessures et ses citations), il a un esprit profondément pacifique et appelle la paix de tous ses vux. Cette association entre le courage physique du soldat et son pacifisme est particulièrement intéressante mais probablement assez fréquente parmi les poilus. Maurice sinsurge contre les attaques lancées inutilement («Cest terrible tout de même de voir ordonner froidement après trois ans de guerre une pareille boucherie») et il sen prend aux hommes politiques : «Quant aux salauds qui votent la guerre à outrance je ne leur souhaite que de prendre notre place 5 minutes».
Pour lui comme pour beaucoup de ses camarades, un espoir grandit, celui de la «bonne blessure», même si cette «bonne blessure» est une amputation. Ce souhait terrible de lamputation exprimé par des hommes jeunes et pleins de vie peut nous permettre dappréhender ce que représenta la vision quotidienne de la mort dans les tranchées. En ce qui concerne Maurice Pensuet, la «bonne blessure» le frappe au début du mois de septembre 1917 sous la forme de plusieurs éclats dobus. Il est alors réformé mais il va conserver jusquà sa mort un éclat dobus dans la poitrine, à proximité du cur, menace permanente pour sa vie.
Riches de sentiments et pleines dintérêts, les lettres de Maurice Pensuet constituent un bon témoignage sur les rapports entre lavant et larrière, lincompréhension qui existe entre les deux mais aussi la difficulté quéprouvent les familles à supporter les récits non édulcorés envoyés par les soldats.
Thérèse Krempp ( Mis en ligne le 18/01/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Penser la Grande Guerre de Antoine Prost , Jay Winter |