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Femme émancipée
Gabrielle Bernheim Rosenthal   Gabrielle Bernheim Rosenthal - Journal - (1897-1932)
PU Dijon - Sources 2014 /  40 € - 262 ffr. / 660 pages
ISBN : 978-2-36441-073-2
FORMAT : 15,0 cm × 23,0 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion).
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Gabrielle Bernheim Rosenthal est née en 1881, dans une famille juive de Lorraine. Elle perd sa mère à l’âge de 7 ans et son père confie l’éducation de son fils et de sa fille à des gouvernantes, puis place Gabrielle dans un pensionnat catholique de Neuilly, avant de la confier à sa grand-mère maternelle, Franziska Marx (1835-1924), qui réside à Nancy et dont le fils, Roger Marx, est un critique d’art célèbre, et très ami d’Emile Gallé.

Appartenant à un milieu aisé, Gabrielle reçoit donc l’éducation de toute jeune fille française de la très bonne bourgeoisie dans le dernier quart du XIXe siècle. A Nancy, elle suit en auditrice libre les cours de la Faculté des Lettres ; arrivée en 1899 au lendemain de l’Affaire Dreyfus, elle fait signer une pétition en faveur du commandant Picquart, et se passionne pour l’Université populaire de Nancy, cette expérience tentée par les intellectuels dreyfusards de porter la culture au peuple. Par tempérament, Gabrielle est une militante engagée et enthousiaste, et son milieu familial la conduit à rencontrer des intellectuels notables de son époque : André Spire, Emile Gallé, Hyppolyte Bernheim (psychiatre et cousin germain de son père), liste non exhaustive...

Dès l’âge de 16 ans, elle tient un journal intime – habitude courante chez les jeunes filles de son milieu - et le tiendra jusqu’à la mort de son mari, Léon Rosenthal (1932). Treize cahiers en tout, qui ont été retrouvés par l’une de ses petites-filles en 2001. Un ensemble volumineux, dans lequel Gabrielle se confie et expérimente ses projets d’écriture ; car outre son journal intime Gabrielle se veut écrivain.

Claude Bremond, sémiologue et directeur d’études honoraires à l’EHESS, a assuré la tâche difficile de publier le Journal et a rédigé un chapitre sur la poétique de Gabrielle, analyse fine et précise de ce matériau littéraire. Publier le Journal était une tâche difficile en raison de l’abondance du matériau et des choix nécessaires à effectuer, faute de lasser le lecteur contemporain. Claude Bremond a décidé de présenter le Journal en se fondant sur les thèmes abordés dans le texte et pour lesquels il a sélectionné des extraits : ''Les amours'', ''La famille'', ''Entourage et rencontres'', ''Gabrielle par Gabrielle'', ''Les lettres et les arts'', ''Réflexions philosophiques'', ''Gabrielle militante'', ''Maisons, jardins et saisons'', ''Quête du divin'', ''Matériaux pour un roman''.

L’intérêt de ce texte touffu, ainsi présenté de façon plus claire, est double : le lecteur revisite de l’intérieur quarante ans de vie française, et surtout Gabrielle est une personnalité étonnante et contradictoire : elle appartient par toutes les fibres de son être à la bonne société française, et ses réflexes sont le plus souvent ceux d’une jeune fille, puis d’une femme intelligente d’un milieu aisé, habituée à un grand confort de vie dans sa jeunesse, confort qu’elle ne retrouve pas en épousant un homme plus âgé qu’elle, simple professeur…

Cependant, elle est aussi non conformiste, d’un tempérament volontiers exalté, avec une réelle fragilité nerveuse qui la conduira à plusieurs reprises en clinique, toujours en quête d’absolu. Cette quête d’absolu, elle l’applique au premier chef dans sa vie privée et ses relations avec son mari sont étonnantes pour l’époque en raison de la liberté de ton et d’initiative de Gabrielle (le couple finira par vivre séparé, elle à Paris et lui à Lyon lorsqu’en 1924 il y est nommé directeur des musées), et très tôt elle note : «L’engagement de fidélité que prend la femme le jour de son mariage est quelque chose de monstrueux car, tandis que l’homme sait à quoi il s’engage, la jeune fille, quelles que soient ses connaissances théoriques, ignore réellement la signification physique, humaine, de l’engagement qu’elle prend. Donc il n’est pas valable» (26 mai 1913). Gabrielle revendique le droit à l’expérience pour mieux connaître «l’éternel masculin» et ce droit, à la suite d’un pacte conclu avec son mari, elle l’exercera. Entre autres liaisons, elle aura pour amant l’un des grands mathématiciens français, directeur adjoint de l’ENS rue d’Ulm : Emile Borel.

Le militantisme est également une des lignes de vie de Gabrielle : elle s’engage avec son mari auprès des socialistes, milite pour le féminisme, pendant la Première Guerre mondiale, contribue à faire installer un hôpital militaire dans les locaux de l’Ecole Normale supérieure à Ulm et y exerce comme infirmière. Juive, pensionnaire d’une institution catholique, elle n’appartient à aucune religion et revendique haut et fort sa liberté de penser.

Une femme étonnante donc et un témoignage fort intéressant pour qui désire mieux comprendre les sentiments d’une bourgeoise française éclairée, de la Belle Époque aux années trente, même si celle-ci n’est pas absolument représentative de la réalité courante. Témoignage d’autant plus intéressant que Gabrielle écrit bien. Elle mourra en 1941 dans un Paris occupé, où s’appliquent les mesures antijuives. Totalement oubliée puisque son œuvre (mince au demeurant) n’a connu aucun succès, si ce n’est d’estime, elle revit aujourd’hui grâce à cette publication bienvenue.

Un très beau travail d’édition qui met à la portée du grand public les questions incessantes, les frustrations, les enthousiasmes, d’une femme du début du XXe siècle qui a regardé le monde et la société à travers ses lectures et ses exigences intellectuelles, animée d’une énergie remarquable.

En cahier central : des photographies, émouvantes par leur aspect «amateur», permettent de «voir» Gabrielle.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 27/01/2015 )
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