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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Gérard Fry Récits inédits sur la Guerre de Troie Les Belles Lettres - La roue à livres 2004 / 25 € - 163.75 ffr. / 412 pages ISBN : 2-251-33932-9 FORMAT : 14x21 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Depuis un film hollywoodien récent, la guerre de Troie est à la mode, et le vulgaire prête dorénavant les traits de Brad Pitt à Achille ou ceux dHélène Kruger à la belle Hélène. Il nest jusquà la revue LHistoire qui ne sorte ce mois-ci un numéro spécial de ses Collections consacré à la Méditerranée dHomère.
Les Belles Lettres, qui ont déjà eu la bonne idée déditer en format de poche une édition bilingue de lIliade et de lOdyssée (en trois volumes pour chacune des épopées), en profitent pour effectuer un second tirage (le premier datait de 1998) duvres un peu moins connues que celles de l«éducateur de la Grèce». Nul texte grec ou latin en regard ici, même si lon peut le regretter (mais cest le cas des autres titres de la collection «La Roue à Livres»). Le texte proposé de lEphéméride de la guerre de Troie et de lHistoire de la destruction de Troie a été réalisé daprès les traductions latines duvres grecques perdues ou du moins très incomplètes. Les nostalgiques de la pureté originaire déploreront sans doute labâtardissement doriginaux forcément déformés par lintervention de traducteurs successifs, dautant plus que Gérard Fry a pris le parti de conserver les noms propres latins. LIliade latine est une sorte de résumé dHomère par un présumé Baebius Italicus (1070 vers en face des 15693 de loriginal), mais qui affirme cependant une certaine originalité.
Commençons par cette dernière, qui ouvre le recueil. Lauteur serait un certain Publius Baebius Italicus, haut fonctionnaire clarissime, cest-à-dire sénateur. Le poème semble avoir été écrit entre 60 et 68. Il ne sagit pas, malgré les apparences, dun simple résumé (même si cette opinion a assuré la survie de ce court texte), bien que lauteur serre de très près le tissu narratif de son modèle, notamment par la structure en 24 chants. Mais ceux-ci sont de longueurs très inégales (149 vers pour le chant V, 4 vers seulement pour le chant XIX), et il semble bien que ce découpage nait pas fait partie du dessein original de lauteur, puisquil y a parfois changement de chant en milieu de vers. La romanité de lauteur apparaît à travers lirruption danachronismes (présence dun combattant à cheval, siège du camp achéen par les Troyens qui forment la tortue comme le feraient les légionnaires
), par une sympathie discrète mais significative pour les Troyens, et par ladhésion à une morale toute romaine, parfois insensible aux exigences du code dhonneur homérique. De plus, la langue et le style rappellent Ovide et, à un moindre degré, Virgile.
LEphéméride de la guerre de Troie a été rédigée en grec entre 66 et 206 ap. J.-C. (probablement aux alentours de la fin du IIe siècle) et traduite en latin probablement dans le premier quart du IVe siècle de notre ère. La rédaction de loriginal grec est attribuée à un contemporain du conflit, Dictys de Crète, qui participa à la campagne aux côtés dIdoménée (et donc des Achéens). LEphéméride contient le récit complet de la guerre de Troie, depuis les événements qui sont à lorigine du rapt dHélène jusquaux retours des héros, et leur ultime prolongement : la mort dUlysse. Elle a donc la même ampleur que le Cycle troyen, qui comprenait trois parties. La première (prehomerica) était constituée dun seul grand poème anonyme, longtemps attribué à Homère, les Chants cypriens ou Cypria, commençant par lexposé des origines du conflit (le mariage de Thétis et Pélée, la pomme de Discorde et le jugement de Pâris) et finissant avec lattribution de Briséis à Achille. La deuxième (homerica) était constituée de la seule Iliade, contenant le récit des événements qui vont du retrait dAchille à la mort dHector. La troisième (posthomerica) était la plus complexe, constituée de six poèmes : lEthiopide dArctinos de Milet allant des exploits de Penthésilée et de Memnon jusquà la mort dAchille ; la Petite Iliade de Leschès de Mytilène allant de la dispute surgie à propos de lattribution des armes du défunt Achille jusquà la construction du cheval de bois ; lIlioupersis dArctinos de Milet racontant la prise dIlion ; les Nostoi dAgias de Trézène faisant le récit du retour des héros Achéens dans leur patrie ; lOdyssée dHomère contenant le récit du retour dun héros particulier, Ulysse ; et enfin la Télégonie dEugammon de Cyrène prenant sa suite et sachevant sur le meurtre dUlysse par Télégonus, le fils quil avait eu de Circé.
Hors les poèmes homériques, presque rien ne subsiste de toutes ces uvres ayant pris forme définitive entre 800 et 500 av. J.-C., sinon de rares et maigres fragments, ou les résumés que lon en trouve dans dautres uvres plus tardives. Des versions plus historiques et rationalistes des événements voient aussi le jour, dont lEphéméride participe, notamment par sa volonté de se rattacher au témoignage direct dun acteur de la guerre de Troie. Ce qui lui permet dévincer les auteurs des Cycles (et au premier chef Homère) comme non véridiques, en rapportant des versions différentes dune même histoire, et en débarrassant lintrigue des dieux et du merveilleux (Thétis est ainsi totalement humaine, et ses noces ne sont pas à lorigine de la guerre de Troie ; Priam nest pas guidé par Hermès lorsquil va chercher le corps de son fils Hector
). Cet évhémérisme se retrouve dailleurs dans le récent film de Wolfgang Petersen. Les aspects idéologiques de luvre sont également intéressants. Si les Grecs semparent de Troie, ce nest pas tant grâce à la ruse du cheval que parce quEnée et Anténor ont trahi. LEphéméride nest donc pas seulement une tentative de faire mentir Homère, mais aussi une protestation contre un pouvoir romain né dune trahison de son lointain fondateur.
LHistoire de la destruction de Troie, dont on na conservé que la version latine (datant du Ve ou du VIe s. ap. J.-C.), prétend également à lauthenticité historique, et se présente comme luvre de Darès le Phrygien, qui aurait combattu dans le camp troyen. Loriginal grec (sil a existé !) a dû voir le jour au cours du Ier ou au début du IIe s. de notre ère. Luvre est beaucoup plus brève que lEphéméride ; il faut dire que sa densité événementielle est moindre. Larchéologie du conflit est retracée depuis le mauvais accueil fait aux Argonautes par Laomédon, père de Priam, qui déclenche lexpédition punitive dHercule et lenlèvement dHésione, fille du roi. Hélène nest enlevée quen représailles de ce premier rapt. Comme Dictys, Darès évacue tout surnaturel et livre une version rationaliste des événements (ainsi, le jugement de Pâris nest plus que lobjet dun rêve de la part du prince troyen alors quil chassait sur lIda). Sont ensuite décrits les préparatifs de lexpédition, les premiers combats indécis, la mort dHector, celle dAchille, larrivée des alliés de Troie (Penthésilée et Memnon) et leurs défaites. Le récit sachève sur la trahison dEnée et dAnténor qui provoque la prise de la ville (le cheval est réduit à un simple motif décoratif peint sur la porte quAnténor ouvre aux Grecs).
Même si Gérard Fry se laisse parfois aller à des jugements quelque peu dépassés (il voit ainsi lAntiquité tardive comme une période «inculte et pressée» - p.17), les introductions, les notes, la bibliographie et les utiles index de noms propres témoignent du sérieux de lentreprise. La mise à disposition de ces uvres méconnues dun public francophone est à saluer, dautant plus que cest à travers elles que le monde médiéval, byzantin et occidental (quon pense au Roman de Troie), a appris lhistoire du cycle troyen. Les romans historiques, bandes-dessinées (Eric Shanower, Un millier de navires, Akileos, 2004) et autres péplums (dont celui de Wolfgang Petersen) semblent y avoir puisé autant que dans lIliade.
Sébatien Dalmon ( Mis en ligne le 27/07/2004 ) Imprimer
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