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Histoire & Sciences sociales  ->  Témoignages et Sources Historiques  
 

Labat de Savignac : un gentilhomme bordelais témoin du Grand Siècle finissant
Caroline Le Mao   Chronique du Bordelais au crépuscule du Grand Siècle - Le Mémorial de Savignac
Presses Universitaires de Bordeaux 2004 /  30 € - 196.5 ffr. / 652 pages
ISBN : 2-86781-339-5
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé d’histoire et achève un DEA sous la direction de Joël Cornette consacré au Grand Dauphin, fils de Louis XIV.
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La source est l’irréductible de l’histoire et nul ne peut prétendre entretenir une intimité avec le passé sans leur fréquentation assidue. Le XVIIe siècle nous a laissé quantité de mémoires et de journaux écrits le plus souvent dans les cercles privilégiés de la cour. Plus rares sont les chroniques qui émanent des provinces. Le journal tenu entre 1709 et 1720 par Labat de Savignac, gentilhomme Bordelais et membre de Parlement de Bordeaux, est en cela particulièrement précieux.

Dans un article de la revue Histoire, économie et Société (Paris, Sedes, 1999, n°3), intitulé «une source essentielle pour l’histoire de la vie privée : la chronique du conseiller au Parlement de Bordeaux Labat de Savignac (1708-1720)», Caroline Le Mao avait déjà attiré notre attention sur ce texte conservé aux archives de Bordeaux, édité d’une façon très lacunaire en 1932 et réédité aujourd’hui par ses soins.

Mais qui au juste est ce François Ignace Labat de Savignac ? C’est un homme de fraîche noblesse. Son père, qu’il perdra à l’âge de cinq ans, intègre le second ordre grâce à l’achat d’une charge anoblissante de secrétaire du roi et l’acquisition de la baronnie de Savignac en 1687. L’important réseau familial de la mère du diariste, la baisse conséquente du prix des charges du Parlement de Bordeaux lui permettent de monter encore dans l’échelle sociale en entrant à la Grande Chambre du Parlement.
C’est de ce promontoire que Savignac, à la fois perçu comme un homme nouveau par les parlementaires et comme un homme au grand prestige social par les paysans de sa baronnie, observe le monde qui l’entoure et surtout commence en 1709 à rédiger un journal. Dans les premières années, il l’honorera presque chaque jour en consignant d’un style sobre mais doté de quelques belles tournures son quotidien. On ne trouvera pas dans ce texte les états d’âme d’un homme ni le récit de moments historiques de premiers ordres mais les petits riens qui tracent les contours d’une vie quotidienne partagée entre Bordeaux et la baronnie de Savignac : les naissances, les visites, les rumeurs, les prix du blé et du vin….

Le journal commence sur la chronique de l’hiver 1709 qui fut l’un des plus froids de l’époque moderne. Le 11 janvier 1709, on peut lire : «J’avais dans le lit, le nez gelé et, quand je me suis levé, j’ai trouvé le thermomètre entièrement concentré dans la boule de verre (…) le vin se gelait dans les bouteilles, en sorte que j’ai aujourd’hui avalé de petits glaçons dans le vin pur, et sur la rivière il est impossible de traverser la Bastide à cause des glaçons de la grandeur d’un maison qui descendent continuellement du haut pays…». Suit la liste des dommages causés dans les campagnes - «j’ai mangé près de Caudéran, du pain fait moitié de farine et moitié de racines» - et même ses démarches auprès de l’intendant pour rabaisser la taille de la paroisse de Savignac. Ce témoignage illustre parfaitement les analyses de Marcel Lachiver, dans son ouvrage Les Années de misères. La famine au temps du Grand Roi, 1680-1720.

Plus encore, toute l’histoire sociale d’une région, d’un ordre et d’une époque est entraperçue. Que ce soit l’histoire du vêtement avec l’évocation des toilettes de Mme de Savignac dont «un habit de taffetas glacé d’un bleu bordé et garni d’un petit réseau d’argent», ou encore des obsessions du temps tel le vol qui revient sans cesse comme ce jour où, raconte l’auteur, «il m’a été volé, dans mon antichambre, la matin, avant que je voulusse m’habiller, la chemise et la cravate que je devais prendre. Il faut que ce soit les gens de la maison», et même de l’alimentation. On semble apprécier le jambon à la buvette du Parlement et le 12 janvier 1710, il est préparé un «ragoût de bécasse avec de l’orange». Savignac note ses rencontres, les repas qu’il donne et progressivement se dessine toute la nébuleuse des parlementaires et des riches marchands qu’il fréquente. Il n’est pas tendre avec ses valets qui sont quelquefois vivement rudoyés ou même renvoyés comme ce Lacour, trop ivrogne. Il s’attarde aussi avec force détails sur les morts, les maladies, les accouchements. Sa fille reçut ainsi le 24 mai 1709 «une médecine composée de sirop de pêche et de laitue, qu’elle a presque toute rendue». Lui prend quelques fois du thériaque, remède à base de chair de vipère, et n’oublie pas de suivre les duretés des seins de sa femme tout juste accouchée. Le journal de François Ignace est par là le continuateur du journal du sieur de Gouberville, gentilhomme Normand, si important pour comprendre la vie quotidienne au XVIe siècle.

La gestion de son domaine n’est pas la dernière de ses préoccupations. A la baronnie de Savignac, on pratique une polyculture où la vigne et les céréales dominent. Du «blé d’Espagne» (entendez du maïs) cohabite avec l’élevage de poulets, de pigeons, de volailles diverses. Souvent le récit de la journée se finit par des rumeurs entendues ici ou là sur les Grands du royaume ou même les prix des céréales. Même les placards sont recopiés. Certains fleurissent à Bordeaux pendant la période troublée de la fin du règne de Louis XIV, d’autres à Paris comme celui-ci : «Nous avons quatre Louis, savoir Louis le Tyran, Louis le Fainéant, Louis le Poltron et Louis le merdus», c’est-à-dire Louis XIV, son fils, son petit-fils et son arrière petit-fils.

Le journal de François Ignace encore appelé Mémorial de Savignac est une œuvre foisonnante. Elle serait cependant difficilement lisible sans le travail remarquable de Caroline Le Mao qui annote avec une grande précision le texte. Des précis biographiques aux orientations bibliographiques en passant par des éclaircissements sur des termes oubliés ou techniques rendent la lecture de cet ouvrage particulièrement agréable, toujours surpris que l’on est de découvrir un monde parfois déconcertant et pourtant assez peu éloigné du nôtre. Seule ombre au tableau de cette édition qui fera date, le choix difficilement défendable de ne pas publier toutes les chansons recopiées par l’auteur dans son journal, qui auraient été précieuses pour étudier les mécanismes de l’opinion dans le Bordelais.


Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 16/05/2005 )
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