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Le Japon à l’heure de Meiji | | | Yukichi Fukuzawa La Vie du vieux Fukuzawa racontée par lui-même Albin Michel 2007 / 24 € - 157.2 ffr. / 411 pages ISBN : 978-2-226-17109-2 FORMAT : 14 x 22.5 cm
Traduction de Marie-Françoise Tellier.
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
La vie du vieux Fukuzawa racontée par lui-même, cest une histoire du Japon au XIXe siècle, un Japon étonnant, en pleine transition, passant du féodalisme, des shogun et des samouraï, à lindustrialisation, léconomie de marché et lEtat moderne
fin dune époque qui mythifia le samouraï errant Musashi, transition vers une modernité à loccidentale qui désespèrera un Mishima, prémices dune mondialisation qui commence par une européanisation culturelle et se conclut par une victoire navale inattendu à Tsoushima
Et au cur de ce mouvement qui porte, brutalement, une société plusieurs siècles en avant, on croise un homme, Fukuzawa Yukichi (1835-1901), à la fois grand témoin et acteur incontournable de cette nouvelle ère, lére Meiji (1868-1912). En effet, à lavènement de lempereur Meiji, Fukuzawa est un jeune samouraï curieux de ce monde au-delà des mers et dune culture interdite depuis le XVIe siècle, à la seule exception des navires hollandais Rangaku, abordant à Nagasaki. Parti étudier lartillerie à Nagasaki, il en profite pour sinitier à loccident et à ses langues (en guise dinitiation, il traduit seul un dictionnaire anglais-chinois
). Ainsi commence un destin qui va mener cet homme curieux, de 1860 à 1867, en Europe, aux Etats-Unis, à la découverte dune société et dune culture inconcevables pour les siens, «un rêve extraordinairement vivant et plein de métamorphoses» dont il revient avec un ouvrage, bréviaire de cette modernité : LEtat de lOccident.
Fasciné par la puissance occidentale, il cherche à en importer les principes (y compris les plus audacieux, comme légalité) dans une société qui sort de la féodalité. Et lOccident simpose peu à peu. A la fois passeur, professeur et traducteur, introducteur de concepts nouveaux (non sans péril), explorateur (un huron moderne), Fukuzawa attache son nom à quelques réalisations significatives de cette modernité nippone : luniversité privée Keiô, la presse moderne avec le Jijishinpô, la société de pensée avec la société de lan 6, véritable conspiration dintellectuels modernistes
Un apôtre de la modernité occidentale, évangélisant le Japon ? Patriote, il rêve dune puissance à loccidentale pour son pays, et non dun sommeil traditionnaliste
Il est exaucé en 1905.
Un tel témoignage est précieux. Cest un peu comme si les ambassadeurs persans de Montesquieu se retrouvaient, un siècle plus tard, dans la peau dun érudit japonais assoiffé de connaissances
Cette Vie du vieux Fukuzawa racontée par lui-même est une sorte de «lettres nippones» au XIXe siècle. Observateur doué, Fukuzawa excelle dans lanecdote significative ou lanalyse ponctuelle, non sans candeur par moments concernant la civilisation européenne (larrivée dune délégation japonaise dans le Paris haussmannien est un morceau de cinéma en soi). Des carnets de voyage en somme, où loriental se révèle autant quil dévoile les incongruités de la civilisation européenne. Mais cest également le tableau, riche, dune société nippone en pleine transition, une société confrontée au progrès et à la modernité occidentale, où lordre ancien sefface, non sans difficultés ni résistances (la xénophobie sexprime à coups de sabres), devant les nouveautés doccident, où les vieilles doctrines (le néoconfucianisme et sa société figée) sont soumises à une cure de rationnalisation équivalente à celle des Lumières
Bref, une société qui se débat contre un processus conquérant, une mondialisation du XIXe siècle.
Cette autobiographie contée est tout dabord un document historique passionnant, mais qui, jusque là, ne bénéficiait pas dune traduction française : il fallait alors se reporter à la version originale japonaise, ou à une version anglaise. Faut-il sen étonner ? Il ny a guère détudes nippones dans lhistoriographie française difficultés linguistiques, manque dinstitutions compétentes
Aussi cet ouvrage doit-il être salué comme une traduction nécessaire sur une période mal connue et rarement étudiée dans les universités françaises. Finement traduit et annoté par Marie-Françoise Tellier, qui la doté dune introduction biographique et dannexes (notamment chronologiques) utilissimes, louvrage, au style personnel (il fut dicté par Fukuzawa sur la fin de sa vie et sécoute autant quil se lit, comme une conversation), mérite une lecture-découverte, celle dun public curieux de ce XIXe siècle japonais original, unique dans lHistoire (une modernisation accélérée qui fait passer le Japon de puissance féodale à Etat industriel).
Pour les lecteurs fascinés par Au temps de Botchan (le magnifique manga historico-littéraire de Natsuo Sekikawa et Jiro Taniguchi, publié au Seuil en 5 volumes), La Vie du vieux Fukuzawa racontée par lui-même constituera un document indispensable, une version littéraire en somme, au souffle exotique. Le regard dun témoin sur une nation qui passa des samouraï aux cuirassés. Une autre manière surtout de penser la modernité et la notion de puissance au temps des impérialismes venus dEurope.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 11/04/2007 ) Imprimer
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