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La poudrière et les étincelles
Gilles Kepel   Terreur et martyre - Relever le défi de civilisation
Flammarion - Champs 2009 /  9 € - 58.95 ffr. / 366 pages
ISBN : 978-2-08-122295-3
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Problème de géographie appliquée : comment faire tenir, dans une même région, plusieurs divinités (et leurs fidèles, prosélytes ou pas), quelques régimes aux idéologies adverses, plusieurs haines recuites, du pétrole (beaucoup), des idées (trop ?) et autant de racines communes ? Le Moyen Orient serait-il trop petit ? Serait-il la transposition contemporaine de la célèbre «poudrière balkanique» ? Et plus basiquement, Israéliens, Palestiniens, Irakiens, Iraniens, Libanais, Syriens… ont-ils un avenir commun ailleurs que dans l’au-delà ? C’est à cette équation complexe et irrésolue que Gilles Kepel, grand spécialiste de l’Islam politique et professeur à l’IEP de Paris, s’attaque dans une synthèse aussi efficace que lumineuse.

Terreur et martyre démarre sur un constat : celui de l’affrontement patent, depuis le 11 septembre 2001, non pas de deux civilisations (selon les proses néoconservatrice et islamiste, pour une fois en accord), mais plutôt de deux grands mythes politiques, deux «Grands récits» fondateurs. D’un côté, le grand récit américain, celui d’une guerre entre le Bien et le Mal, entre les démocraties libérales et la «Terreur»… incarnée par les mouvements terroristes, quelques États voyous et autres docteurs Folamours. De l’autre côté, le grand récit musulman du martyre, récit plus compliqué à mettre en œuvre, aux visées panarabes et anti-occidentales, mais tiraillé entre des idéologies et des religions parfois adverses.

A priori, un affrontement simple, voire simpliste, manichéen, où l’adversaire est relativement facile à identifier. Mais Gilles Kepel montre combien le camp du bien, quel qu’il soit, est difficile à incarner, tant l’affrontement suppose de compromissions éthiques et autres dégâts collatéraux. Passant de Guantanamo à Abou Ghraïb, il explore déjà les aspects troubles de la gestion de la victoire, côté américain : une victoire militaire qui débouche sur une paix armée, mal gérée, calamiteuse. En rejouant la victoire de 1945 et la dénazification, le gouvernement américain a raté le coche de la pacification. La guerre, puis la victoire, sont devenues des bourbiers… et d’autant plus risqués que l’affaire irakienne s’étend à toute la région. C’est l’Iran - dont la politique, depuis la révolution de 1979, toute d’affirmation de puissance, de tensions internes entre réformateurs et traditionnalistes, de flirts avec l’extrêmisme et de marginalité assumée au nom du bon droit nucléaire - qui bouscule les lignes irakiennes et y avance ses pions. Un impérialisme religieux répondant à l’impérialisme politique des néoconservateurs. C’est l’Irak, déchiré entre ses communautés religieuses et ethniques, qui n’existe plus, comme nation, que dans les reportages occidentaux. C’est le conflit israélo-palestinien, qui prospère, et qui mute par réflexe, en fonction d’enjeux régionaux. Dans une première partie, l’auteur dresse le tableau du «fiasco» irakien, de ses principaux acteurs, de ses moments forts, avec, au final, un bilan catastrophique.

Mais en spécialiste de l’islam, G. Kepel s’intéresse, dans une seconde partie, surtout aux mutations induites par les conflits (américano-irakien et israélo-palestinien) : une mutation qui touche l’islam et le conflit sunnite / chiite (via la fitna, la «discorde» qui s’est réveillée avec cette crise orientale), et en particulier, au sein du débat théologique, la question, déjà épineuse, du jihad et du terrorisme. Car l’une des conséquences importantes de ces conflits est la contamination du chiisme au sunnisme de l’esprit du martyre. Seul adversaire viable pour Israël, le Hezbollah libanais, épaulé par l’Iran, figure un modèle qui gagne la rue arabe, celui d’une stratégie coûteuse, fondée sur le martyre, mais efficace. Et l’auteur de montrer comment progressivement, via Al Qa’ida, le martyre terroriste s’est doté d’une justification religieuse, théologique, certes débattue (du fait de l’interdit du suicide), mais qui finit par avoir gain de cause. Et comment la méthode des bombes humaines, jusque-là cantonnée au terrorisme chiite, gagne la communauté sunnite ; Avec ce que cela peut impliquer en terme de terrorisme.

Une évolution à laquelle font écho les troisième et quatrième parties, consacrées à la troisième génération du jihad, qui revendique l’héritage irakien. Après la geste afghane des années 1980 (contre l’invasion soviétique), cadre d’un premier jihad, après le 11 septembre 2001 et ses imprécations contre les «sino-croisés» - deuxième jihad -, une troisième phase du jihad se déroule maintenant, entre l’Irak, l’Afghanistan, la Palestine, le Liban… une phase extensive où l’ennemi désigné – au choix, l’occident, le sionisme, le progrès, la modernité – fait l’objet d’une sorte de surenchère entre courants islamistes. Les mouvements terroristes usent largement des outils de la modernité, en particulier des médias, et, à coup d’attentats et de victimes, revendiquent d’incarner seuls le front du jihad. G. Kepel nous introduit ainsi dans les coulisses d’Al Qa’ida, aux côtés d’Al Zawahiri, lancé dans une course à l’audimat islamiste via Al Jazeera et l’internet. Passant d’une crise à l’autre (le Londonistan et sa fin, les caricatures danoises, l’assassinat de Théo Van Gogh…), l’auteur, très pédagogiquement, relit l’actualité récente à la lumière de ce conflit interne à l’islamisme et éclaire les enjeux religieux de la crise actuelle et, plus largement, de la fitna. Une autre lecture de l’actualité, très cohérente, celle du regard islamiste et qui fait largement pièce au grand récit américain.

L’ouvrage se signale donc au lecteur attentif de l’actualité : par son sens de la pédagogie, par son approche à la fois synthétique et exigeante des diverses questions, par son ambition d’éclairer un débat complexe au sein de l’islamisme, un débat qui échappe très largement aux médias occidentaux. Si bien évidemment, on peut regretter que certaines questions (l’Afghanistan, le Pakistan…) ne soient pas plus détaillées, il faut se rappeler qu’il s’agit là d’un essai explicatif qui privilégie l’exposé solide d’une théorie au tableau composite d’une idéologie. Un essai réussi, passionnant, inquiétant.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 10/03/2009 )
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