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Recherchent empires désespérément... | | | Alain Minc L’Ame des nations Grasset 2012 / 18 € - 117.9 ffr. / 288 pages ISBN : 978-2-246-79808-8 FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm Imprimer
En 1774, dans Une nouvelle philosophie de lhistoire, Johann Gottfried von Herder évoquait la notion de Volksgeist, cest-à-dire l«âme des peuples» ou le «génie national». Prolongeant la pensée développée par Montesquieu dans LEsprit des lois, le philosophe allemand défendait lidée que toutes les nations sans exception ont un mode dêtre unique et irremplaçable. Universel, ce concept ne concernerait donc pas uniquement lAllemagne. Daucuns ont cru y discerner les germes du nationalisme qui dévasta le Vieux Continent durant les siècles qui suivirent, dautres considérèrent la notion de Volksgeist comme une attaque directe contre le despotisme des empires multinationaux.
Dans son dernier essai LÂme des nations, lequel nest «ni un traité des relations internationales, tant il en existe dadmirables, ni un essai ethnographique, tant cette discipline est exigeante», Alain Minc se rapproche dune certaine façon des positions de Herder. Il affirme demblée que «les pays, comme les individus, ont un ADN et que, si pour eux aussi un partage sest établi entre linné et lacquis, leur nature profonde a largement conditionné leur comportement sur la scène internationale». Certes il nexiste pas de «déterminisme génétique», «mais rien nest explicable dans leurs actions, leurs attitudes, leurs ripostes sans avoir à lesprit les ressorts de leur identité». En loccurrence, Alain Minc se penche sur les principaux acteurs qui occupent, depuis un demi-millénaire, le théâtre européen. Plutôt que de se focaliser sur «la pure chronologie» quil tient pour un «carcan», une «prison», le prolifique essayiste «gambade (
) à saute-mouton» entre les évènements qui ont jalonné lhistoire, ce qui relève bel et bien du «funambulisme».
Concernant lAngleterre, Alain Minc rappelle quelle «na pas toujours été une île». Si elle avait réussi à se maintenir en France, elle aurait pu constituer un Royaume-Uni bien davantage avec la France ou du moins avec certains territoires français quavec le pays de Galles, lEcosse et lUlster. Car lAngleterre dut finalement renoncer à son dessein continental, elle sest avant tout bâtie sur «la maîtrise des mers au service de la construction dun empire, la puissance de largent et des affaires, le culte du Parlement, lobsession dempêcher la constitution dun Etat dominant sur le continent». Sagissant de lAllemagne, explique Alain Minc, son ADN est «aussi complexe que celui de lAngleterre est simple». Il comporte deux forces qui, parfois, divergent, convergent ou signorent : «un peuple-nation façonné par son identité linguistique, culturelle, voire mystique, indifférent à la géographie et donc aux antipodes de lEtat-nation» français et «le culte de lEtat rationnel», tel que la Prusse parvint à lincarner durant le XIXe siècle.
Alors que lEspagne serait obsédée par son «déclin» depuis labdication de Charles Quint, lItalie serait quant à elle non pas un «peuple-nation» comme lAllemagne, mais une «culture-nation». La péninsule serait tout à fait «paradoxale» : son unité - à certains égards lacunaire - ainsi que sa prédisposition au soft power constitueraient des atouts de taille à lheure de la globalisation. Concernant la Russie, Alain Minc écrit quelle serait menée par un complexe dencerclement hérité de son histoire. Les Etats-Unis dAmérique seraient quant à eux tiraillés entre le messianisme et lisolationnisme. La France aurait les yeux rivés sur ses frontières naguère présentées comme «naturelles» et serait obsédée par sa volonté de puissance, quelle habille régulièrement avec de lidéologie. Toutefois, explique Alain Minc, le destin de la France aurait pu être tout autre si, plutôt que de se développer en direction du continent, elle avait cédé aux sirènes du grand large, cest-à-dire aux attraits de la puissance maritime.
Retraçant un demi-millénaire dhistoire des relations internationales, Alain Minc revient sur les différentes tentatives détablir un empire mondial. Toutes ont naturellement échoué, ce qui a pu contribuer à ouvrir lère de la recherche de léquilibre. Concernant la construction européenne, quil tient pour un véritable «miracle», lessayiste préconise de renouer avec le «lumineux» dessein de Jacques Delors consistant en lérection dune fédération dEtats-nations. Pour ce faire, il en appelle à une nouvelle «mutation» des ADN nationaux. Peut-être lEurope sortira-t-elle alors de lHistoire et connaitrait-elle la «fin de lHistoire» que prophétisait Francis Fukuyama.
Jean-Paul Fourmont ( Mis en ligne le 09/10/2012 ) Imprimer | | |