| Jean-François Gayraud Le Monde des mafias - Géopolitique du crime organisé Odile Jacob - Poches 2008 / 10.50 € - 68.78 ffr. / 447 pages ISBN : 978-2-7381-2132-5 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
Les mafias sont un thème à la mode. Gomorra, tiré du livre éponyme de Roberto Saviano et récompensé au festival de Cannes, vient de sortir sur les écrans français. Il dépeint la mainmise de la Camorra sur les banlieues sordides et les campagnes napolitaines. Plus tôt dans lannée, sont parus ou reparus, Cosa Nostra de John Dickie et Sociétés du crime de Clotilde Champeyrache. A la lecture des journaux, ce sont des articles sur la crise des ordures à Naples, le trafic de déchets toxiques ou des fusillades en Campanie ou à Duisbourg, qui sentent tous très fort la mafia. Dans la même veine, les éditions Odile Jacob proposent la réédition en poche de Le Monde des mafias. Géopolitique du crime organisé, de Jean-François Gayraud. La version initiale datait de 2005. Cette réédition a donc permis quelques actualisations.
Lauteur est commissaire divisionnaire de la Police nationale. Cest dans ses fonctions à la DST quil a été amené à étudier les mafias, dans la perspective de les combattre. Disons tout de suite que, si les connaissances du milieu sont excellentes, on a franchement limpression que le combat nest pas la priorité des autorités, ce qui désole et révolte Jean-François Gayraud.
Par mafia, lauteur entend neuf organisations ou ensembles criminels : Cosa Nostra en Sicile, la Camorra à Naples et en Campanie, la Ndrangheta en Calabre, la Sacra Corona Unita dans les Pouilles, la mafia albanophone dAlbanie et du Kosovo, la maffya turque, les Triades chinoises, les Yakuza japonaises et Cosa Nostra aux États-Unis. Au vu de certaines évolutions récentes, on serait tenté dajouter à la liste le Mexique, que lemprise des narco-trafiquants fait beaucoup ressembler à une version violente de la région de Naples. Jean-François Gayraud les présente une à une et étudie leurs caractéristiques communes, celles qui font une mafia et qui la distinguent des autres formes de crime organisé.
Une mafia peut se définir par quelques traits caractéristiques. Tout dabord, elle est liée à un territoire. Cest là que sont ses racines, cest de là quelle puise ses forces : membres, argent et refuges en cas de besoin. La Sicile fournit lexemple le plus connu du lien mafia-territoire. Ensuite, une mafia est une organisation fermée, dont les membres se cooptent. Ils se considèrent comme différents, comme supérieurs aux autres criminels. Ils sont liés par une initiation commune, par le secret et par lobéissance à un code, quils trouvent honorable. Une mafia bénéficie aussi du soutien de la population de son territoire. Ce soutien a plusieurs causes. Chaque mafia sest inventé une légende, selon laquelle ses origines sont anciennes et en font lacteur dune lutte patriotique. Les mafias aiment également se faire passer pour les garantes dun ordre juste, assurant la tranquillité de ceux qui acceptent leur emprise, et leur racket. Dans des régions où lÉtat est souvent défaillant, la mafia peut régler les conflits entre particuliers et rendre justice ou bien chasser les petits délinquants. Enfin, la mafia est profondément intégrée à léconomie et au monde légaux. Elle détourne les fonds publics, sur les marchés des travaux notamment, et elle réinvestit ses profits dans des activités légales. Elle soutient de nombreux responsables politiques et bénéficie, en retour, de leur appui. Ce portrait type de la mafia correspond surtout à Cosa Nostra et aux Yakuza, mais les autres mafias y ressemblent en bien des points.
Jean-François Gayraud ne se contente pas de décrire, il sonne également lalarme. Pour lui, les mafias sont lune des plus importantes menaces pour nos sociétés. Moins foudroyante que les armes de destruction massive et moins spectaculaire que le terrorisme, leur dangerosité tient en plusieurs points. Contrairement aux terroristes, les mafias cherchent la discrétion. Elles se fondent dans leur environnement et ne se portent jamais aussi bien que lorsquon les croit moribondes. Il est frappant de constater à quel point les autorités italiennes, américaines ou japonaises ont longtemps nié lexistence de mafias sur leur territoire et combien celles-ci sempressent de jouer aux autruches et de crier victoire, dès quil ne se passe rien pendant quelques temps sur ce front-là. Quelles que soient les causes de cette cécité, elle a profité aux mafias qui, pendant ce temps, se sont enracinées tranquillement.
Les mafias gangrènent complètement les régions quelles contrôlent. Par le racket, elles découragent linitiative économique et font le lit de la pauvreté, grâce à laquelle elles recrutent leur piétaille et leurs membres. Par le blanchiment, elles étendent leur emprise à lensemble de léconomie, ainsi quà celle de régions situées loin de leurs bases. Enfin, elles constituent un poison moral qui pourrit et pervertit totalement leurs régions dimplantation. où la force, lobéissance et le profit demeurent les seules valeurs de la population.
Le Monde des mafias est un livre très sérieux, bien documenté, où lanalyse est conduite de manière rigoureuse. Par moment cependant, on éprouve un sentiment de confusion, dempilement des références, de juxtaposition des encadrés. Lauteur, par soucis de bien faire, a emprunté à beaucoup de disciplines (criminologie, science politique, géopolitique, économie, sociologie, théorie des organisations, voire même biologie) et na pas toujours su exposer de manière simple les enseignements quil en a tirés. Il nen reste pas moins que cet ouvrage, complété de 80 pages dannexes et de documents, est dun grand intérêt et quil donne beaucoup à réfléchir.
Parmi les pays étudiés, le Japon et lItalie sont largement gangrenés. Quand ont pense quil sagit de deux démocraties et de deux des États membres du G8, qui participent à la gouvernance mondiale, le constat fait froid dans le dos. À un degré moindre, il vaut aussi pour les États-Unis, mais là, si lemprise est très forte sur certains secteurs et certaines régions, elle nest pas générale. Par ailleurs, la Turquie est candidate à ladhésion à lUnion Européenne et lAlbanie le sera bientôt. Quand au Kosovo, cest un protectorat international où la criminalité est un sport local très prisé. Là encore, il y a de quoi réfléchir et se dire que la lutte contre les mafias pourrait être un critère pertinent pour décider dune adhésion
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 07/10/2008 ) Imprimer
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