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Dossier Jean MOULIN
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A propos du livre de Pierre Péan



Pierre Péan, Vies et morts de Jean Moulin, Eléments d'une biographie,
Paris, Fayard, 1998, 715 p.

Guillaume Piketty est l'auteur de Pierre Brossolette: un héros de la Résistance, Editions Odile Jacob, 1998, une biographie tirée de sa thèse de doctorat "Itinéraire intellectuel et politique de Pierre Brossolette", (sous la direction de Jean-Pierre AZÉMA, IEP de Paris en novembre 1997). Il vient de faire paraître une anthologie critique des écrits de Pierre Brossolette: Résistance (1927-1943), Editions Odile Jacob,1998.



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Alors que se préparent les célébrations du centenaire de la naissance de Jean Moulin, le livre récemment publié par Pierre Péan fait incontestablement oeuvre utile. Par-delà l'ambition et les engagements d'avant-guerre, il a en effet le mérite de restituer le haut fonctionnaire dans sa pleine humanité. Son évocation de l'ancien préfet de Chartres imposant difficilement la férule gaullienne aux chefs de la Résistance en zone sud est moins novatrice. Elle ouvre cependant la voie à une interprétation des événements du printemps 1943 qui pose des questions essentielles, et met peu ou prou en cause les principaux chefs du mouvement Combat en se fondant sur des documents nouveaux. Enfin, son tableau des "vies" et des "morts" successives du fondateur du CNR depuis la Deuxième Guerre Mondiale donne une nouvelle démonstration des aléas de la mémoire française des années sombres.

Quasi exclusivement placées sous le signe d'une rivalité sans merci avec Pierre Brossolette, les pages consacrées aux derniers mois de l'action de Jean Moulin (chapitre 26 : "Un ennemi de taille : Pierre Brossolette") ne rendent en revanche pas complètement compte des réalités auxquelles l'armée des ombres se trouvait alors confrontée.

A l'automne 1942, alors que le général de Gaulle se trouvait en butte à l'hostilité d'une bonne part des Français émigrés ainsi qu'à la défiance américaine, et tandis que certains partis politiques relevaient la tête en France, l'un des meilleurs alliés de Moulin à Londres fut bel et bien Brossolette. Devenu l'un des "chefs d'orchestre" du BCRA (mais pas le seul, p.447), celui-ci aida en effet autant qu'il le put l'ancien préfet de Chartres à mettre en place le Comité de coordination de la zone sud (CCZS).

La question se posa alors de créer une structure analogue en zone nord où la coordination de la Résistance n'était encore qu'embryonnaire. L'un des mérites de Pierre Péan est à cet égard de rendre toute sa place à l'action d'Henri Manhès. Mais il en surestime les résultats. L'envoyé de Moulin n'avait en effet eu aucun contact avec des mouvements aussi importants que l'Organisation civile et militaire (OCM), Libération-nord, ou le Front national (FN).

Résistant de la première heure en zone nord et bénéficiant à ce titre d'une antériorité déterminante, auréolé du prestige de sa mission de l'été précédent, devenu numéro deux du BCRA, Pierre Brossolette s'imposa naturellement (et non difficilement, p.448) pour conduire la mission Brumaire de coordination de la Résistance dans l'ancienne zone occupée (27 janvier-15 avril 1943). Placé sur un pied d'égalité avec Moulin, il se hâta alors de quitter l'Angleterre, pour éviter de rencontrer son alter ego à Londres et conserver ainsi les mains libres. Notons enfin que Brossolette s'envola convaincu de l'inéluctable reconstitution à la Libération des partis politiques qui auraient survécu à la débâcle et aux combats de l'ombre (voir à ce sujet son article de La Marseillaise du 17 janvier 1943).

Pierre Péan montre nettement les enjeux et débats qui conduisirent le général de Gaulle à signer les "Nouvelles instructions" (NI) du 21 février 1943 qui faisaient de Jean Moulin le seul représentant du Comité national français en métropole et le chargeaient de créer une instance de coordination unique de la Résistance intérieure. Sa description des choix que fit Pierre Brossolette durant sa mission apparaît en revanche trop univoque. Informé par le colonel Passy de l'existence des NI, Brossolette choisit de passer outre et de s'en tenir à son premier objectif de créer une instance de coordination pour la seule zone nord.

Cette décision fut loin d'être uniquement fondée sur le simple souci d'établir à son bénéfice une sorte de leadership sur l'ex-zone occupée. S'assurer une telle position n'aurait eu de sens qu'à condition de demeurer en France. Or, Brossolette n'en eut jamais l'intention. Ses très nombreux contacts avec les responsables de la zone l'avaient en revanche persuadé qu'il était prématuré de songer à créer une instance de coordination nationale, et que les mouvements du nord n'étaient pas prêts à admettre la présence de représentants des anciens partis politiques au sein des instances de coordination de la Résistance. Pourtant convaincu que l'établissement de la légitimité du Comité national français passerait à terme par la prise en compte des tendances politiques traditionnelles de la France, il choisit de s'en tenir à la coordination civile et militaire des seuls groupements de Résistance.

Le 26 mars 1943, le Comité de coordination de zone nord (CCZN) rassemblant les cinq principaux mouvements de la zone (OCM, Libération-nord, FN, Ceux de la Libération et Ceux de la Résistance) tint sa première réunion, suivi de peu par un comité à vocation paramilitaire. En tout état de cause, et contrairement à ce qu'écrit Pierre Péan, créer le CCZN ne revenait pas pour l'indéfectible gaulliste qu'était Pierre Brossolette à mettre en cause "le processus de légitimation du général de Gaulle face à Giraud" (p.463), mais bien à mettre en place une instance souhaitée par les mouvements de l'ex-zone occupée, acteurs essentiels de la Résistance et par conséquent de ladite légitimation. De fait, le CNR fut bel et bien créé quelques semaines plus tard à partir de la réunion des CCZS et CCZN.

S'il a tendance à minorer l'importance du contexte résistant en zone nord durant l'hiver 1943, Pierre Péan montre bien l'âpreté de l'affrontement qui mit aux prises Pierre Brossolette et Jean Moulin au début du printemps, et que la liberté sciemment prise par le premier avec les instructions du 21 février ne suffit pas à expliquer. Leur antagonisme, bien réel, puisa à des sources diverses. Le décalage de lieux et de temps intrinsèquement lié à la nature du combat résistant et à la façon souvent artisanale dont s'articulaient les activités des Résistances intérieure et extérieure fut une cause essentielle.

Ces deux hommes d'envergure s'opposèrent aussi pour des raisons qui tenaient à leurs personnalités, leurs caractères, leurs formes d'esprit. Par ailleurs, de toute évidence à l'unisson sur les objectifs de long et moyen termes, c'est-à-dire préparer les lendemains de la Libération et, pour cela, prouver aux yeux du monde que la Résistance intérieure était unie derrière le chef de la France combattante, ces deux fidèles du général de Gaulle divergeaient en revanche sur la méthode pour y parvenir. A la différence du grand commis de l'État qu'était Jean Moulin, l'homme politique Pierre Brossolette ne pouvait envisager de ne pas tenir compte des idées de la Résistance intérieure. L'opposition entre les deux hommes fut également fondée sur une rivalité personnelle que d'aucuns envenimèrent effectivement à plaisir. Le heurt fut d'autant plus violent que l'un et l'autre ne brillaient pas toujours par leurs talents diplomatiques. La tension inhérente aux dangers extrêmes du combat clandestin fit le reste.

Au final, l'affrontement de ces deux gaullistes farouches apparaît bien révélateur des rivalités internes à la Résistance. Rassemblement quelquefois hétéroclite de réfractaires qui avaient mis un point d'honneur à dire "non" au lendemain de la débâcle, l'armée des Ombres fut en effet traversée par d'intenses conflits. Ceux-ci furent à la mesure de l'accord profond qui régnait entre les dissidents sur l'objectif ultime. Ils ajoutent encore à l'intensité et à la grandeur du combat résistant.


Guillaume Piketty
( Mis en ligne le 28/08/2003 )
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