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| Yves Berger Dictionnaire amoureux de l'Amérique Plon 2003 / 24 € - 157.2 ffr. / 556 pages Prix Renaudot de l'essai 2003 2003 ISBN : 2-259-19404-4 FORMAT : 14x20 cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
On connaît Yves Berger, ce «fou dAmérique», hanté par le rêve américain, qui fut durant quarante ans directeur littéraire chez Grasset et qui, à la passion de lAmérique, joint celle des mots. Dans cette collection qui affiche résolument les partis pris de ses auteurs, où Jacques Lacarrière a déjà donné un Dictionnaire amoureux de la Grèce et Jacques Solé un Dictionnaire amoureux de lEgypte, cest au tour dYves Berger de présenter lAmérique ; lAmérique et non les Etats-Unis, et la distinction est dimportance, dans la mesure où, pour lauteur, il nest somme toute dAmérique que du Nord, mais aussi parce que cest une réalité intemporelle portée par le terme dAmérique qui simpose à lui, en dehors de tout cadre politique.
Son Amérique est celle des grands espaces, dune nature immense, ouverte et «inhumaine» ; de ce point de vue, lentrée la plus significative est peut-être «Astéroïde» (p.90), mais «Jardin» nest pas mal non plus
qui oppose le Peau rouge et le Blanc, lhomme de la nature qui na pas besoin de jardin et lautre : «Dans les magnifiques jardins de lhomme blanc au Nouveau monde, le Peau rouge chaque jour meurt un peu plus.» (p.277)
Depuis son enfance pendant la guerre, enfance difficile marquée par la mort de sa mère, les difficultés matérielles, la faim qui tenaille, Yves Berger lit des romans américains, rêve dAmérique ; il sen explique dans une introduction qui est aussi une entrée, «Le Rêve américain» (première partie), et qui donne sa couleur et son fil directeur au livre, car peut-être plus que dAmérique, cest de rêve américain quil sagit ici, dune entrée à lautre. Une phrase entre autres donne la clé du livre et de la fascination de lauteur : «LAmérique ? Le pays où lon peut rater sa naissance et réussir sa vie.» Celui «qui donne sa chance à ceux qui savent la saisir.» Ce rêve qui pour lui sincarne dans un GI géant en 1945, qui laccueille, le promène en Jeep et lui fait découvrir le chocolat Hershey, madeleine proustienne «made in USA».
Cependant, assez vite, l'auteur aborde l'Amérique par le biais intellectuel : la longue histoire, de linvention du pays par Christophe Colomb, en passant par linvention du terme par Martin Waldseemüller, à Saint Dié des Vosges, le 27 avril 1507, jusqu'à nos jours
ce regard qui fait de lAmérique un paradis, tous les paradis se trouvant à lOuest ; il y a tout à la fois dans le livre de Berger une géographie et une hiérarchie du rêve et des rêveurs : de Tocqueville à Chateaubriand, des voyageurs aux héros de romans. Ses auteurs favoris sur ce sujet : Tocqueville, bien sûr, mais aussi, plus surprenant, Simone de Beauvoir et Georges Simenon. Après lavoir découverte dans ses lectures enfantines, lAmérique vient à lui par le cinéma - essentiellement le western, la musique, les mots («je couve en moi des mots à léclosion permanente, jamais épuisée, toujours renouvelée (
) Ces mots ordonnent le rêve dAmérique (ou rêve américain), qui sest fait, sest déployé et sest élevé à partir deux.» (p.370)
Son Amérique est celle des camions rutilants, dun bestiaire insolite et fourni (des abeilles au monarque en passant par le bison, le tatou, le coyote, lectopiste migrateur, le Maine-coon ou le coureur de routes
), des présidents immortalisés, et du western. Mais elle est aussi celle des pages «noires» (Without sanctuary) qui lui fait reprendre la version de létymologie de pique-nique donnée par Julia Wright, fille du romancier Richard Wright : «pick a nigger », soit et à peu près, «lynchez un
nègre» (p.520), version sans doute séduisante, mais fausse : le terme est attesté en français depuis 1694 ; tant de naïveté sous une autre plume pourrait la faire taxer dantiaméricanisme ! Il ne sattarde dailleurs pas
Des entrées sont attendues et stimulantes : celles de «Harlem», de «Découverte», «Greyhound» ou encore de «Génocide» ponctué dun point dinterrogation. Dautres sont décevantes : «Tours» par exemple, qui fait un peu passage obligé. Dautres plus étonnantes : la «Poésie des toponymes et des ethnonymes français en Amérique», la «Mutité» (du personnage du sourd dans le roman américain) ou encore lhymne à lectopiste voyageur dont la disparition signe pour lauteur un temps de la mort du rêve américain, du vent dans les branches de sassafras
De belles pages sur les femmes : Marylin Monroe, Margaret Mitchell et Scarlett, lindienne Sacajawea. Des explosions de colère assez réjouissantes sur lantiaméricanisme, abrégé en «a-a», sur Marguerite Yourcenar qui «a raté le pays au monde où sest accomplie en nombre et en beauté, la création la plus généreuse» (p.541), alors quà regret Yves Berger reconnaît à Simone de Beauvoir le mérite davoir aimé ou du moins davoir été impressionnée par lAmérique. Ecrite au vitriol : lentrée «Dingue»
Le fil conducteur est absolument le rêve américain : deux entrées lui sont consacrées, de nombreuses y renvoient et il est la trame de tout le livre.
L'humanité est ainsi classée en deux camps : ceux qui ont cru - qui croient - au rêve et ceux qui ny croient pas
Si la loi de ce genre douvrage est la subjectivité, le droit du lecteur est aussi de la contester et de proposer dautres entrées, celles dune autre Amérique : les villes (New York, Boston, San Francisco, Chicago, Washington
), lAmérique daujourdhui, vivante, clinquante, pleine de contradictions, de bruits et de fureurs, lAmérique des hamburgers et des néons, bref, une Amérique moins désincarnée. Manquent aussi sans doute des entrées spécifiques sur le roman, qui est surtout abordé par des détours (la Mutité, M. Mitchell), et sur le cinéma qui, certes, est présent par les choix de lauteur, des westerns à Clint Eastwood. Mais le
lecteur friand de comédies musicales, de thrillers ou aficionado de Woody Allen demeure sur sa faim
et même pour celui qui naime que le cinéma des grands espaces, comment justifier labsence du film de Robert Redford, Et au milieu coule une rivière ? Ne boudons pas pour autant notre plaisir et plaçons ce livre dhommage sans réserve à lAmérique dans notre «bibliothèque américaine» près de Tocqueville et dHergé, ces deux regards antagonistes, non loin de Melville, Faulkner, Fitzgerald ou Wallace Stegner. Liste non exhaustive et infiniment ouverte
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 26/12/2003 ) Imprimer
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