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Une autre démocratie est-elle possible ?
Yves Sintomer   Le Pouvoir au peuple - Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative
La Découverte - Cahiers libres 2007 /  13 € - 85.15 ffr. / 176 pages
ISBN : 978-2-7071-5148-3
FORMAT : 13,5cm x 22,0cm

L’auteur du compte rendu : Professeur de Philosophie, Thibaut de Saint Maurice enseigne dans un lycée des Hauts-de-Seine. Il assure dans le même temps, des cours de psychosociologie en BTS communication.
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Il n’y a pas si longtemps encore, une couverture proposant «le pouvoir au peuple» en blanc sur fond noir, aurait annoncé un essai anarchiste ou marxiste, promettant la révolution pour mettre fin au désordre de la démocratie représentative et/ou bourgeoise, accusée de confisquer la souveraineté. Mais le XXe siècle n’est plus et les révolutions violentes au nom du peuple ne sont plus trop à la mode.

Le dernier essai d’Yves Sintomer, professeur de sociologie politique à l’université Paris-VIII, s’il ne sonne pas comme l’appel aux barricades, n’en demeure pas moins révolutionnaire en ce qu’il présente sérieusement et de façon approfondie les propositions de la démocratie participative. Saisissant l’occasion du fracas polémique déclenché, lors des débats de la primaire socialiste à l’automne 2006, par la proposition de Ségolène Royal de jurys citoyens pour évaluer l’action publique, Sintomer s’empare de la question en expert qu’il est (La Démocratie impossible ? Politique et modernité chez Weber et Habermas, 1998 ; Porto Alegre, l’espoir d’une autre démocratie, 2002) et, faussement naïf, se demande «si le tirage au sort en politique ne constituerait pas une voie prometteuse pour les démocraties contemporaines».

Prometteuse, car d’emblée le diagnostic est sans appel : les démocraties, et notamment la démocratie française, traversent une grave crise de légitimité, dont l’élection présidentielle de 2002 fut peut-être le plus brutal révélateur. La crise est d’autant plus grave que les réactions de l’ensemble de la classe politique à cette proposition émise par la candidate socialiste, outre qu’elles manifestent une méconnaissance de l’histoire des institutions démocratiques, signeraient une «haine de la démocratie» déjà bien analysée par Jacques Rancière.

Au fond, la réflexion de l’auteur retrouve les inquiétudes tocquevilliennes sur la question de la possibilité de la démocratie : comment la purifier de sa tension initiale, à savoir qu’elle recèle en son principe les ferments d’un «despotisme nouveau» : «prévoyant et doux», mais non moins «tutélaire» ? (De la Démocratie en Amérique, II, 4, 6).

Le livre commence par approfondir le diagnostic présenté plus haut et propose une liste de causes structurelles de cette crise de légitimité. Les deux chapitres suivants sont consacrés à l’histoire des procédures de tirage au sort - à Athènes d’abord, dans les républiques italiennes ensuite - puis à l’énigme de sa disparition de la sphère politique alors même que son usage s’installe dans la sphère judiciaire. Si l’élection s’impose dans le champ politique pour désigner des responsables et des représentants, c’est que les révolutions démocratiques ont reposé sur le principe du consentement des gouvernés aux lois, là où auparavant régnaient la contrainte et l’enregistrement. Et si le tirage au sort s’impose dans le champ judiciaire, c’est que l’on attend des jurés une intelligence du cas particulier, dont n’importe qui est capable, tandis que l’intelligence de l’intérêt général est réservée aux jugements éclairés. La représentation supposerait donc en son principe une inégalité entre les citoyens et constituerait un éloignement du gouvernement et de la souveraineté, paradoxe initial de la démocratie tel que Rousseau l’avait déjà aperçu dans son Contrat social.

Le quatrième chapitre propose un inventaire critique des pratiques participatives actuelles (sondage délibératif, jurys citoyens et conférences de consensus). L’essai s’achève sur un ensemble de propositions concrètes propres à motiver un changement de République en intégrant le tirage au sort à tous les échelons institutionnels. Parmi elles, la plus spectaculaire propose rien moins que la suppression du Sénat et son remplacement par une Chambre de citoyens tirés au sort qui tiendrait ainsi «de l’Héliée et de la Boulè grecs, du Tribunat romain et des premiers Parlements modernes» ; là où le Sénat actuel n’est qu’une assemblée de notables, «protégeant la démocratie contre elle-même» comme pourrait dire Rancière. Après une année de formation, ces citoyens auraient un rôle consultatif sur les lois ordinaires, mais pourraient aussi s’auto-saisir en cas de conflits sociaux ou de problèmes graves, obligeant les députés à en débattre. Le peuple reviendrait ainsi au cœur du pouvoir, et l’on comprend que de telles propositions crispent quelque peu les professionnels de la politique que sont devenus les élus français, puisqu'elles ne se contentent pas de proposer plus de participation au niveau micro-local ou local, mais bien au niveau national.

Flagrant délit d’utopie ? Le peuple, même de bonne volonté, n’est-il pas trop facilement manipulable et insuffisamment éclairé pour que l’on puisse confier à n’importe lequel de ses membres une participation privilégiée à un choix politique ? C’est l’essai lui-même qui tient lieu de réponse : la participation des citoyens par tirage au sort n’est possible que si les experts s’adressent aux citoyens afin que chacun puisse se forger un jugement éclairé et «n’opine que d’après lui» comme le préconisait Rousseau, et non d’après l’influence de quelque «association partielle» que ce soit. Or c’est précisément ce que fait Sintomer dans ces pages : clair et accessible, cet essai donne les moyens à chacun d’examiner un peu plus précisément les hypothèses de la démocratie participative, au-delà des raccourcis polémiques.

Dernière difficulté : celle de la mise en place effective de telles procédures. L’essai s’achève sur un appel à l’expérimentation, certain que la période est favorable comme en témoigne malgré tout le surgissement de cette question dans le récent débat présidentiel.


Thibaut de Saint Maurice
( Mis en ligne le 15/06/2007 )
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  • La Haine de la démocratie
       de Jacques Rancière
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