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Bonnet d'âne à la pédagogie | | | Jean-Paul Brighelli A bonne école... Gallimard - Folio Documents 2007 / 7.40 € - 48.47 ffr. / 290 pages ISBN : 978-2-07-034286-0 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Préface de Laurent Lafforgue.
L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est lauteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal. Imprimer
Après le succès de La Fabrique du crétin, Jean-Paul Brighelli, normalien, agrégé de lettres et professeur en classes préparatoires, remet le couvert avec À bonne école. Il faut avouer que les livres sur l'école sont fort nombreux en France. Étrange symptôme d'ailleurs que cette foisonnante livraison de livres, mais la déroute du système scolaire est elle aussi conséquente.
Le propos de Jean-Paul Brighelli est fort simple. Il tente de faire réagir. Et d'une manière assez vigoureuse. Exemple : «Ce quil y a reprendre, cest essentiellement le rapport au Savoir. Il faut en finir au plus vite avec la tyrannie du ludique, la construction par lélève de ses propres savoirs, les initiations citoyennes, les lycées lieux de vie sans doute les mauvais élèves qui se sont faits docteurs ès sciences de léducation ont-ils mal vécu les lycées qui les ont formés, eux, pour quils refusent aux autres lenseignement dont ils ont bénéficié et lapprenant au centre du système
. En finir avec lEducation préférée à lInstruction, comme si instruire nétait pas éduquer
En finir aussi avec les recrutements aberrants et les formations débilitantes en finir avec la tyrannie sectaire des IUFM.» (pp.22-23).
Cela a le mérite dêtre clair. On ne peut pas selon lui troquer le savoir pour le "zapping récréatif" comme il l'appelle. La préface de Laurent Lafforgue, se qualifiant lui-même comme "catholique fervent et très intransigeant", dit son accord avec l'auteur du livre qui est plutôt athée et anticlérical. C'est dire que le débat se situe ailleurs que dans l'affrontement politique binaire droite / gauche. Pour Jean-Paul Brighelli, il faut «rompre dabord avec lapproche mortifère de la culture dénigrée, et de lutilitarisme sans effet. Depuis 1968, et sous le prétexte fallacieux dégaliser les chances, on a privé les enfants du peuple de toute opportunité de sortir de leurs ghettos. Mieux : on a construit des ghettos scolaires parallèlement aux ghettos sociaux et architecturaux. Et, pour comble, on a dissuadé les meilleurs de progresser encore quitte à les culpabiliser, et à culpabiliser leurs parents» (p.23).
Le constat de Jean-Paul Brighelli est sévère. Et il sindigne à juste titre quil y ait 20% délèves analphabètes à leur entrée en sixième. Il met donc un bonnet d'âne tout d'abord sur la «pédagogie» et sur ce qu'on appelle les UIFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres). Il vise évidemment Philippe Meirieu, «principal artisan du désastre», tout en rappelant que celui-ci
se plaint de la situation dans un texte intitulé Lettre à un jeune professeur (2005).
Il faut dire que le problème remonte à loin, au moins depuis John Dewey (1859-1952 - philosophe américain spécialisé en psychologie appliquée et en pédagogie, dont le courant se rattache au pragmatisme développé par Charles S. Peirce et William James) et cette façon de mettre systématiquement la «vie» dans l'école. Et quand on met la «vie» dans l'école, on nécoute plus que les désirs de lélève et son égoïsme. On n'apprend plus grand chose puisque le savoir est devenu soit disant "contre le plaisir", une «distinction», est élitiste et crée des hiérarchies. Nonobstant, on comprend pourquoi l'enfant est au coeur de toute éducation libérale moderne, car il est le signe d'une admiration pour l'égocentrisme initial, impliquant une critique de toute maturité et un éloge de l'indifférenciation entre jeunes et adultes.
Il faudrait rappeler aussi toute lutopie dune époque qui a cru que lindividu allait spontanément vers le bien, quil pouvait sauto-éduquer, sauto-former ou encore quil ne fallait pas le «brimer» car éduquer était néfaste et assimilé à de la répression. On demandait même la suppression des estrades. Michel Foucault ne disait-il pas que lécole était une prison ? Sans oublier Pierre Bourdieu. Se rappelle-t-on des livres retentissants comme Libres enfants de Summerhill de A.S. Neill ou Une société sans école de Ivan Illitch ? Cest dailleurs ce que lon pourrait reprocher au livre de Jean-Paul Brighelli : ne pas faire une mise en perspective historique de ce problème particulier. Ce qui expliquerait beaucoup de choses.
A force de sen prendre à toute autorité, de confondre autorité et répression, savoir et pouvoir, on nappelle plus des élèves des élèves, mais des «apprenants» comme le rappelle l'auteur. En bref, on ne veut plus élever des enfants vers un savoir, ni même vers des idéaux, on ne veut plus de transcendance mais de limmanence. En bref, que chacun baigne dans son jus. Atomisé. Et l'on ne peut avoir quun relativisme culturel à la clef, parfait projet pour le néo-libéralisme qui naura quà vendre les bons produits au bon moment. Car le problème est là, comme le montre par exemple le livre de Christian Laval, L'Ecole n'est pas une entreprise. Comment sétonner alors des phobies scolaires en pagaille ? Des blogs truffés de fautes dorthographe ?
Jean-Paul Brighelli voit dans ce sabotage de lécole lune des causes majeurs de la désespérance des banlieues : «Les moutards qui harcèlent la police, brûlent les voitures de leurs voisins, ou de leurs parents, et pillent les grands surfaces, sont le pur produit de vingt ans de pédagogie nouvelle» (p.63). Pour lui, les pédagogues et leurs instituts ne veulent finalement qu'enseigner l'ignorance pour parodier le titre du livre de Jean-Claude Michéa. Et cette ignorance a même atteint les élites ! Il est évident pourtant que si les contestataires comme Bourdieu, Foucault, Deleuze & Cie ont pu critiquer le système, c'est bien justement parce qu'ils étaient très cultivés et non l'inverse.
Sur ce point, le livre de Brighelli pointe avec raison ce ludisme généralisé qui ostracise ensuite toute idée un tantinet troublante. Évidemment, se cultiver demande de l'effort, cela s'apprend mais une fois qu'on en a l'habitude, ça passe tout seul, la sensibilité se raffine, et l'esprit critique devient un second souffle. On peut réellement se divertir en ayant acquis cet effort. Linverse nest pas vrai.
Les propos en général sont rudes et lauteur ne fait pas dans la dentelle. Certes, il rue dans les brancards comme on dit et manque un peu de "distinction"... Sans doute, après tant de loyaux services au sein de l'éducation nationale, en a-t-il assez de cet immense gâchis et veut-il prendre le taureau par les cornes. Il faudra pourtant un jour rendre des comptes ou au moins se demander pourquoi la situation est devenue ce quelle est alors que cette pédagogie est en place et quelle na rien amélioré. Il serait trop facile de mettre en accusation sans arrêt le «social» pour éviter daffronter ses propres échecs. Jean-Paul Brighelli ne rate pas l'occasion de régler un sort à la méthode globale ou semi-globale qui fabrique tant d'illettrés ou de dyslexiques...
Jean-Paul Brighelli cite beaucoup dexemples et propose aussi des solutions. Même si l'on peut reprocher le ton rustre ou un style carré, le livre mérite amplement d'être lu, à la suite de La Fabrique du crétin, pour prendre la température de ce qui ne va vraiment pas dans l'éducation nationale. Plus largement, et le point central est certainement là, en une phrase, Jean-Paul Brighelli rappelle une seule chose, fondamentale et cruciale : "Le savoir est le seul vrai capital de ceux qui n'ont rien" (p.99).
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 13/02/2008 ) Imprimer
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