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De la création à la déjection : Malaise dans les musées
Jean Clair   L'Hiver de la culture
Flammarion - Café Voltaire 2011 /  12 € - 78.6 ffr. / 140 pages
ISBN : 978-2-08-125342-1
FORMAT : 12,9cm x 19,9cm
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"Les musées sont l'invention d'une humanité qui n'a pas de place pour les œuvres d'art, ni dans ses maisons, ni dans sa vie" - Nicolas Gomez Davila

Conservateur, historien de l’art, mais aussi et surtout écrivain et essayiste, Jean Clair (né en 1940), d’une plume douce et précise, nous livre en quelques essais bien tournés un état des lieux de notre époque. Comme on pouvait le présager, il est loin d’être gai dans son constat sur la culture contemporaine, donné dans L’Hiver de la culture. Litote sympathique pour ne pas titrer par ''La Mort de l’art''. Passionnant (Clair est un fin lettré.) et instructif (de fait, l’homme connait son domaine), L’Hiver de la culture aborde les trois ou quatre problématiques prégnantes dans l'art depuis une vingtaine d’années, et connaissant une accélération depuis 5 ou 6 ans... vers toujours plus de médiocrité. Malaise dans les musées (2007) faisait déjà part de ce désenchantement ; on est ici dans l’analyse et la critique pure et simple d’un système culturel globalisant, festif et libéral, dont se font notamment les relais les musées, les expositions et la création contemporaine.

Quelques exemples suffiront pour illustrer la pensée de l’auteur. Le processus se résume à la dérive du culte à la culture, pour finir à présent au «culturel». Pire, ce qui était objet de création est devenu depuis quelques décennies sujet de déjection… L'art ne porte plus une fracture métaphysique, qu'il capte, qu'il questionne et soulève ; aujourd'hui, prime le nombrilisme de l’artiste, l'art est supplanté par une marchandisation sans fond. Tout en détaillant ces observations, Clair l’amateur et historien de l’art donne moult exemples des plus significatifs pour étayer son propos. Et nous en restons sans voix. Citons quelques passages symptomatiques de sa pensée, qui insistent bien sur le passage des lumières de l’universel au subjectif malsain. D’abord, l’architecture des musées eux-mêmes, souffrant d'un bétonnage au même titre que les stades de foot dont Clair nous dit qu’ils sont les seuls monuments à ne pas avoir de problème de financement et dont les projets paraissent plus acceptables que les musées eux-mêmes ! «Les musées ne ressemblent plus à rien. La silhouette du nouveau musée d’art contemporain de Metz rappelle à la fois les Buffalo Grill qu’on voit le long des autoroutes, un chapeau chinois et la maison des Schtroumpfs».

Clair est en même temps un pédagogue. Son livre procède d’une véritable dissertation avec exposition d'une pensée qui va du général au plus précis, du plus concret au plus abstrait, du plus voyant ou plus obscur. Il discute ainsi la Communication qui vient interférer dans le but premier de l’art. Des DRH au ministère du Développement, la culture est devenue un secteur, au même titre que les services ou le sport, dans des sociétés ultra-libérales. Il faut des «marketers» cultivés, des idéologues branchés, des financiers altruistes, des politiciens démagogues, et surtout des artistes faussement subversifs, le tout au nom d’une idéologie festive et libérale qui doit contenter le plus grand nombre et surtout donner à chacun l’impression qu’il se cultive (sans lui faire prendre conscience qu'en fait, il consomme !). Il écrit encore : «Je ne peux m’empêcher, lorsque j’entends battre tambours, sonner trompettes, vociférer jeunesses et ronfler haut-parleurs, au cours de ces carnavals assourdissants dont Paris est devenu le lieu, «Nuit des musées», «Fête de la musique», «Nuit blanche», «Parade», de ci et «Techno» de ça, de penser que j’assiste au déroulement rituel de funérailles, où célébrées par des corps nus et peinturlurés, on va enterrer joyeusement et sauvagement les restes de ce qui a été notre culture».

Il est clair que pour un amateur d’art comme lui, la dégradation à la fois artistique (la création) et culturelle (disons le vecteur) est sans aucune mesure avec le début du siècle, le moment même où les avant-gardes, sous prétexte de tout vouloir bouleverser, ont entamé la déroute. L’évocation des créations basées sur des actes excrémentiels, l’utilisation de substances humaines (urine, sperme, sang) jusqu’à la torture physique, relèvent de la psychanalyse plutôt que de n’importe quel courant artistique fiable (sans oublier les références dangereuses à notre passé...). L’ennui, dit Jean Clair, c’est que ces nouveaux «marketers» de l’art existent et qu’ils sont valorisés par les «cultureux» au détriment d’autres artistes à qui l’on ne donne pas les moyens de s’exprimer. L’idolâtrie plutôt que la connaissance prédomine, et s’apparente même à ce que l’on connaît depuis des années dans le sport. Une sorte de fanatisme infantile teinté de caution socio-culturelle…

C’est un constat à la fois lucide sur la société en général et empirique sur l’art que Clair tend à nous faire partager au travers de ce panorama sur un monde aux accents festifs, à la sonorité d’autant plus funèbre qu’elle est en train de tuer l’art.

L’art, selon nous, est le rendu d'un drame vécu, d'une fracture quelle que soit sa nature. Clair souligne son déclin, son travestissement, son mensonge mais englobe avec lui tous les domaines de la société postmoderne et son cynisme sans précédent. Le passage suivant signale ce problème fondamental que Muray ou Baudrillard ont déjà évoqué : «Tout cela, sous le vernis festif, a un petit côté, comme à peu près tot désormais en France, frivole et funèbre, dérisoire et sarcastique, goguenard et mortifiant. Sous le kitsch des petits cochons roses de Jeff Koons, la morsure de la mort. Sous la praline, le poison».

Cet essai est peut-être un premier remède contre ce poison. A lire absolument.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 18/04/2011 )
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