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Du combat des femmes contre elles-mêmes
Nathalie Heinich   Les ambivalences de l'émancipation féminine
Albin Michel - Bibliothèque des idées 2003 /  14 € - 91.7 ffr. / 158 pages
ISBN : 2-226-14230-4
FORMAT : 15x23 cm

L'auteur du compte rendu: Nathalie Beau est titulaire d'un DEA de sociologie politique (Paris-Sorbonne). Elle a notamment travaillé sur l'étude des mouvements sociaux.
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De l’extérieur : c’est ainsi qu’a été abordé le féminin durant des siècles, preuve en est le foisonnement des idées reçues concernant les femmes. Or Nathalie Heinich, sociologue et directrice de recherche au CNRS, présente son livre comme «une tentative pour comprendre de l’intérieur l’ambivalence féminine face à l’émancipation des femmes».

Face à un sujet si fortement investi de valeurs dans le monde ordinaire, «l’implication» par les acteurs, problématique chère à Norbert Elias, est très présente et rend l’abord du sujet délicat. Ne se plaçant ni dans une perspective militante ni dans la critique de l’émancipation féminine, l’auteur pointe le fait que la rapidité de l’évolution du statut des femmes, si elle n’est certes pas évidente pour les hommes, ne l’est pas davantage pour les femmes elles-mêmes, qui en sont pourtant les bénéficiaires.

A l’inverse de la sociologie «explicative» de Pierre Bourdieu s’intéressant aux causalités externes dans La Domination masculine (Seuil, Points, 2002), Nathalie Heinich prône ici une sociologie «compréhensive» explicitant les logiques pertinentes pour les acteurs. Mais elle va plus loin en prétendant que la sociologie peut avoir comme objets aussi bien l’imaginaire et le symbolique que le réel. C’est pourquoi cet ouvrage, constitué de la réunion de textes ayant pour la plupart été sollicités pour une publication ou un colloque, accorde une large part à l’étude de la littérature romanesque du XVIIIe au début du XXe siècles (4 chapitres sur 8). Complétant notamment des analyses menées dans l’ouvrage Etats de femmes : l’identité féminine dans la fiction en Occident (Gallimard, 1996) et dans le prolongement de son livre Ce que l’art fait à la sociologie (Editions de Minuit, 1998), Nathalie Heinich explique pourquoi elle fait la sociologie des œuvres de fiction. Les romans donnent accès à un imaginaire collectif et à des structures symboliques tels que des systèmes de place très strictement construits par des règles d’engendrement relevant de l’anthropologie. Elle prétend ainsi étendre le domaine de la sociologie selon trois axes : l’amener jusqu’au croisement avec l’anthropologie des œuvres; prendre en considération un corpus d’œuvres cohérent et non pas une œuvre unique; prendre en compte la sphère de l’imaginaire révélateur de la sphère du réel. Elle veut ainsi montrer les limites de la sociologie «classique» qui ne s’occupe que du réel.
La mise en fiction romanesque est pour l’auteur un moyen de comprendre les tensions et les contradictions de l’accession des femmes à une identité propre.

En effet, cette émancipation est à la fois désirée mais aussi redoutée. La redéfinition radicale et rapide des rôles sexuels ne peut se faire sans crises, sans retours en arrière ou contradictions. C’est déjà ce qu’avait évoqué l’américaine Colette Dowling en 1982 en appelant «Complexe de Cendrillon» la tendance des femmes à revenir à l’aliénation du foyer après avoir goûté à l’indépendance.

Les contradictions proviennent d’une part de la rapidité de la transition et d’autre part, d’un problème de compatibilité de modèles dans un même espace biographique. Reprenant un concept qu’elle avait déjà développé dans Etats de femmes, Nathalie Heinich oppose l’ordre moderne de la femme «non liée» à celui, traditionnel, des «états de femme».

Ces «états» se définissent par l’articulation de trois critères : économique (mode de subsistance), sexuel (disponibilité sexuelle) et hiérarchique (degré de légitimité du lien économico-sexuel). Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les femmes étaient selon l’auteur soit une «première» (femme mariée légitime), dont la subsistance économique dépend de la disponibilité sexuelle envers un seul homme, contractualisée par le mariage; soit une «seconde» (maîtresse illégitime), dont la subsistance économique dépend d’une disponibilité sexuelle non contractualisée envers un nombre d’hommes indéterminé; soit une «tierce» dont l’indépendance économique se paie au renoncement de la vie sexuelle.

Le processus d’émancipation en cours depuis trois générations fait apparaître un nouvel état, celui de la femme «non liée» qui peut être indépendante économiquement tout en ayant une vie sexuelle qui ne la coupe pas pour autant d’une vie sociale. Cependant le nouveau modèle de la femme non liée n’annule pas l’ancien mais se superpose à lui, autrement dit le rêve du prince charmant et l’aspiration à l’indépendance coexistent dans l’imaginaire féminin, d’où l’ambivalence et l’impossibilité de choisir entre ces deux objets. De ces conceptions hétérogènes de l’identité féminine ressort un sentiment de culpabilité collectif. En effet, Les femmes d’aujourd’hui ont en tête deux modèles d’excellence : l’indépendance par le travail, et le lien conjugal et matrimonial. Ceci est souvent vécu comme une obligation qui déclenche, selon le mot de Michèle Fitoussi, Le ras-le-bol des superwomen (Calmann-Lévy, 1997).

La sociologie de l’imaginaire ne coupe pas pour autant Nathalie Heinich des réalités politiques et des problèmes triviaux de la société. Ainsi, l’auteur aborde également des sujets d’actualité où les ambivalences vécues au niveau individuel se retrouvent au sein des réflexions féministes. A travers l’opposition entre les courants universaliste et différentialiste de la pensée féministe (le premier rejette l’idée d’une essence féminine; le second revendique l’égalité dans la différence), se retrouvent par exemple les questions posées par l’opposition entre le communautarisme et le républicanisme. L’auteur arrive alors à nous faire sentir que des questions féministes telles que le débat sur la parité électorale, la féminisation systématique des noms de métier, le travail de nuit des femmes ou encore la prostitution et la pornographie, constituent un miroir grossissant de débats politiques devenus aujourd’hui cruciaux.


Nathalie Beau
( Mis en ligne le 22/10/2003 )
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