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Pour une politique de la fierté
Nicolas Tenzer   Les Valeurs des modernes - Réflexions sur l'écroulement politique du nouveau siècle
Flammarion 2003 /  20 € - 131 ffr. / 352 pages
ISBN : 2-08-067450-1
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : Laurent Fedi, ancien normalien, agrégé de philosophie et docteur de la Sorbonne, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie française du XIXe siècle, parmi lesquels Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier (L'Harmattan, 1998)ou Comte (Les Belles Lettres, 2000).

Nicolas Tenzer est collaborateur à Parutions.com

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Dans la lignée de Benjamin Constant, Tocqueville, Hannah Arendt ou Marcel Gauchet, N. Tenzer propose ici une réflexion sur la modernité et le politique. Cet ouvrage prend place dans le débat actuel sur la crise du politique et des valeurs, mais, s’opposant aux effets de style d’une rhétorique larmoyante, N. Tenzer propose une contribution de philosophie concrète, appliquée aux «enjeux inhérents à la survie de notre civilisation» (p.16). Mettant à profit son expérience d’administrateur, l’auteur développe une analyse critique de la situation française et émet quelques propositions reprenant des positions déjà soutenues, pour certaines, dans ses articles et conférences. Il présente son livre également comme une tentative pour lutter contre «l’érosion de la parole» (p.9).

Dans les sociétés modernes, l’égalité est fille de la liberté, les règles et les procédures tendent à se substituer aux normes et aux références. Modernité et libéralisme sont donc appariés. Le libéralisme qui a joué un rôle d’émancipation dans le passé, est un fait historique ; c’est aussi une option politique, le choix du dynamisme, de l’encouragement à l’effort, de la lutte contre les situations indues. Le problème qu’affrontent les pays démocratiques aujourd’hui s’énonce dans les termes d’une équation somme toute classique : comment une société peut-elle être communautaire sans cesser d’être critique, et libérale sans renoncer aux valeurs qui cimentent le lien social ? Contrairement à une idée reçue, la crise actuelle du politique n’est pas due à un excès d’individualisme. L’interprétation de N. Tenzer considère toutefois le terme dans un sens favorable qui était déjà en usage par exemple chez Henry Michel - un précurseur qu’il ne cite pas et qui semble pourtant avoir anticipé ses vues sur plusieurs points. En bref, on ne saurait parler d’individualisme là où font défaut la maîtrise de soi, la vigilance, la volonté. En d’autres termes, on assiste plutôt à une démission du sujet. Mais ce n’est là que le revers de l’abdication du politique, incapable d’assumer la vraie finalité du pouvoir qui est «la transformation de la société» (p.73).

Pour revitaliser la sphère politique, lui restituer son sens, N. Tenzer prend position sur les grands sujets : l’autorité, la citoyenneté, la démocratie, l’Etat, le travail. H. Arendt avait diagnostiqué une crise de l’autorité, il convient à présent d’apporter des solutions. L’autorité doit se fonder sur un droit qui serait plus substantiel que procédural, sur un savoir mis au service de l’action plutôt que sur une «raison instrumentale» ou une idéologie de substitution, enfin sur des valeurs garantissant l’unité et la cohésion du groupe, valeurs qui ne peuvent être, selon N. Tenzer, que politiques, c’est-à-dire collectives et non privées. La nature de la citoyenneté peut être redéfinie à partir des droits civiques, de l’engagement dans la cité et de l’adhésion à des valeurs de référence ; ces éléments (juridique, subjectif, historique et axiologique) offrent un cadre pour reconstituer la fonction d’appartenance. La démocratie est abordée sous cinq angles différents, dans une très utile synthèse de la question. Politique et institutionnelle, la démocratie repose sur le fonctionnement régulier d’un exécutif et d’un législatif ; sociale, elle traduit les aspirations d’un corps social hétérogène ; participative, elle reflète le crédit accordé à l’efficacité réelle des institutions ; culturelle, elle s’incarne dans la figure idéale, mais inachevée, de l’individu s’autonomisant, se délivrant des normes imposées et créant un espace propre ; sous l’angle psychologique enfin, la démocratisation est un échec puisqu’elle n’a pas conjuré la peur. N. Tenzer dénonce l’incurie des dirigeants et leurs hésitations face à la nécessité de réformer l’Etat. L’ignorance des réalités chez les politiciens n’a d’égale que la pusillanimité des chercheurs, qui ne se reconnaissent pas pour fonction de faire des suggestions opérationnelles. L’incuriosité des uns et la réticence des autres ont pour conséquence un statu quo bien français, incarné par les crispations corporatistes d’une administration de plus en plus inadaptée que l’énarque voudrait voir évoluer dans le sens d’une déconcentration et d’un assouplissement structurel par où le secteur public pourrait s’ouvrir aux compétences des personnels du privé. Enfin, le travail doit être réhabilité : «[…] Le principe général de réduction du volume global du travail constitue une aberration philosophique autant qu’un non sens économique» (p.302).

Dans sa philosophie, N. Tenzer plaide pour la flexibilité des moyens, la norme étant à placer dans les fins - l’équilibre des conditions, l’égalité des chances. Il souhaite voir le savant dialoguer avec le politique, réclame la transparence en matière de recrutements et croit en l’esprit d’émulation. Il prend ses distances avec un certain formalisme inhérent aux idéaux rationalistes constitutifs de la topique démocratique. La communauté politique libérale exige des liens concrets, où entrent en ligne de compte des critères anthropologiques. Elle requiert en tout cas des valeurs qui ne se limiteront pas aux chimères du juridisme. Ces valeurs ne seront pas internes au libéralisme, car «d’une certaine manière, le libéralisme repose sur l’idée que les valeurs sont exclues de la sphère politique» (p.159).

La solution proposée est une politique de la «fierté» consistant dans une sorte de patriotisme comparable à la représentation que D. Schnapper donne ailleurs de la citoyenneté comme lien projectif, version modernisée de la nation selon Renan. Plus précisément, il s’agirait de réhabiliter l’intérêt national, que N. Tenzer distingue de l’intérêt général, suspecté de postuler une unité parfaitement illusoire. Le mécanisme faisant que l’on est fier de soi et de sa nation pour les mêmes raisons, tendrait à harmoniser les intérêts individuels et collectifs, selon un principe que les utilitaristes anglais avaient mis en évidence en se reposant sur un concept beaucoup plus litigieux, celui de l’utile. L’idée de fierté tient compte d’un facteur psychologique déjà mis en valeur – croyons-nous - par Fourier et Comte : le charme propre d’une action bienfaisante réagit favorablement sur l’individu. On ne peut être fier que de ce qu’on a soi-même contribué à construire ; d’où l’encouragement à l’action et la confiance retrouvée du sujet. On ne peut être fier que de ce qu’on estime juste ; d’où le possible et tendanciel ajustement de la politique sur la morale. La thèse est pertinente.

Toute la difficulté sera d’enclencher ce processus. Lecteur des classiques (Aristote, Machiavel), l’auteur n’ignore pas que les mœurs priment sur les lois en matière de changement. N’y a-t-il pas là un problème redoutable ? On voit difficilement aujourd’hui à quoi pourrait s’accrocher l’intérêt national, dans un contexte économique mondial qui, par son anonymat, lui est si peu propice. Peut-on être fier de son travail, quand on ne sait plus vraiment pour qui l’on produit ? Le «désir que notre pays soit effectivement plus éminent que d’autres» (p.330) peut-il naître dans une Europe aux contours flous et mouvants ? Ce livre d’espoir cultive dans le non-dit un scepticisme pudique.


Laurent Fedi
( Mis en ligne le 05/01/2004 )
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