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Pour une meilleure compréhension réciproque
Yves Montenay   Nos voisins musulmans - Du Maroc à l'Iran, 14 siècles de méfiance réciproque
Les Belles Lettres 2004 /  17 € - 111.35 ffr. / 275 pages
ISBN : 2-251-44257-X
FORMAT : 14x21 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Après Le Mythe du fossé Nord Sud (2003), les éditions des Belles Lettres publient aujourd'hui du même auteur, Yves Montenay, Nos voisins les musulmans. Nos voisins, c'est-à-dire une étude non pas de l'ensemble des musulmans dans le monde, mais de la zone comprise du Maroc à l'Iran. Yves Montenay a une double expérience d'universitaire et d'expert industriel. Il connaît bien les pays dont il parle pour y avoir mené des missions et, dans certains d'entre eux, pour y avoir enseigné. Centralien, docteur en géographie, il est chargé de cours et de direction d'études à l'ESCP-EAP. Le livre s'ouvre sur une réflexion de ses étudiants musulmans, qui illustre son propos : "Pourquoi y a t il dans nos pays, que nous aimons tant, des foules sectaires et violentes et des régimes calamiteux et cruels alors que nous sommes pacifiques, accueillants et tolérants?". Le sous-titre est explicite : quatorze ans de méfiance réciproque.

Il s'agit d'un essai clair, concis, appuyé sur des faits précis, complété de cartes. Refusant la langue de bois, Yves Montenay essaie de comprendre comment se sont élaborées, en Occident et dans le monde musulman de nos voisins des images et des préjugés, sur "l'autre" ; images et préjugés fondateurs d'un malentendu réciproque, et lourds de conflits potentiels. Le projet de l'auteur est de désamorcer l'instrumentalisation de l'histoire, pour permettre une meilleure compréhension réciproque.
Son approche est didactique et destinée au lecteur occidental, et plus particulièrement français. L’auteur s'efforce de décrire la situation des pays concernés, et répertorier les réactions des musulmans et les évolutions récentes. Il insiste sur la complexité de cet univers : les musulmans du pays, mais aussi les musulmans vivant dans les régions du nord. La ligne de force étant celle de l'alternance entre fermeture et ouverture du monde musulman.

La première partie : L'histoire mythifiée, pose un rappel rapide de l'histoire de l'Islam et d'emblée pointe la question de l'articulation entre la tradition et l'innovation dans une communauté qui se fonde sur le consensus sur la sunna ("le consensus sur la sunna ne résout pas les problèmes nouveaux, a priori suspects puisque non prévus par la tradition. D'où le double sens de bid'a, à la fois innovation et hérésie" - p.23). Structurellement, le monde musulman serait donc confronté au choix entre fermeture et ouverture ; alternative constamment présente et particulièrement d'actualité. L'auteur présente les grands moments de l'histoire, tels qu'ils sont valorisés dans l'imaginaire musulman : un moyen âge triomphant (à la différence de l'idée que s'en font les occidentaux pour qui le terme "moyenâgeux" est assorti de connotation péjorative) : l'idée d'une civilisation arabe relais efficace de l'Antiquité ; Byzance, Damas, puis Bagdad, la Sicile médiévale et surtout al Andalous sont autant d'épisodes glorieux, souvenirs heureux d'un âge d'or aujourd'hui disparu, les croisades étant vues comme une invasion terrible et meurtrière. Les siècles qui suivent sont ceux de la fermeture, mais aussi de l'humiliation du monde arabe (y compris dans son espace avec la victoire des turcs ottomans), celle-ci culminant à la fin du XIXe siècle avec l'échec de la Nahda, tentative de modernisation des institutions dans l'Empire ottoman, à l'initiative des intellectuels arabes.

La seconde partie, «L'histoire rejetée», analyse l'impuissance des sociétés musulmanes face à la pénétration européenne ; pénétration qui débouche de façon quasi inéluctable sur des épisodes de colonisation ou au moins de dépendance à l'égard de l'Occident. De ce point de vue, l'exemple turc est intéressant puisque Mustapha Kemal, au lendemain de la Première Guerre mondiale et de l'effondrement de l'empire ottoman, mène une politique volontariste de modernisation de son pays, en s'appuyant sur les élites et sur une imitation des modèles européens. Depuis 1928, l'Islam n'est plus religion d'état, les femmes votent dès 1930, l' alphabet latin, le code civil suisse, le code pénal italien, le code commercial allemand, le calendrier international, les codes vestimentaires occidentaux… sont autant de mesures révolutionnaires, qui n'ont pu être imposées que de façon brutale, même si la Turquie affirme ainsi vouloir se rapprocher d'une Europe démocratique à laquelle elle aspire à participer. L'exemple iranien est aussi celui d'une modernisation par le haut, assez comparable sur bien des points, mais qui échoua. L'auteur propose de réfléchir à la situation actuelle dans ces deux pays en se posant justement la question de la décolonisation : le détachement des populations se manifeste à l'égard de réformes imposées par des gouvernements certes locaux mais sur un modèle occidental.
L'exemple de la décolonisation du Maghreb français incite à se poser la question des erreurs commises : en particulier pour l'auteur (qui a une formation de démographe) la catastrophe que représente l'exil dans le cadre de la décolonisation de populations entières (européennes ou formées à l'occidentale) désormais non souhaitées ; il souligne aussi le "colonialisme, nouveau mythe" (p.110).

La troisième partie, «les problèmes actuels», se donne pour objet d'étudier les conséquences de ces relectures de l'histoire ("messianisme et ambition universaliste de l'Islam…âge d'or mythifié.. amertume et humiliation du déclin…" - p.115) dans les différents univers musulmans : Dar al islam (les pays musulmans) et Dar al harb ("la maison de la guerre, c'est à dire en simplifiant le reste du monde" - p.115). La conséquence essentielle étant l'islamisme.
Le monde musulman apparaît ainsi comme une prison, mais aussi un cocon, qui abrite ses ressortissants du monde extérieur. C'est dans ce monde fermé que progresse un islamisme qui sait exploiter les ressentiments des populations sur des thèmes précis : l'anti-américanisme, la figure de Saddam, héros de l'imaginaire arabe, et le conflit israélo-palestinien. Dans ce dernier cas, se cumule toute la méfiance réciproque qu'entretiennent occidentaux et musulmans.

Yves Montenay dresse un tableau très clair des mouvements islamistes, de leurs origines et de leurs aspirations, de leurs diversités aussi. Dans cet espace, les problèmes essentiels résident dans la scolarisation (lutte contre l'analphabétisme mais également enseignement des écoles coraniques), et surtout la place de la femme. Le voile (avec d'ailleurs son rôle ambigu : "droit de sortie" pour les femmes, sur l'extérieur) n'étant qu'une faible partie d'un ensemble plus vaste. Le statut secondaire réservé à la femme a au moins une double conséquence : priver ces sociétés d'une partie de leur potentiel et transmettre une tradition de fermeture aux enfants par l'intermédiaires de mères dominées et acceptant ce statut. Il est de ce fait un des handicaps essentiels à la modernisation. Yves Montenay voit une légère issue dans l’installation d'entreprises étrangères dans ces pays, qui offrent du travail aux femmes et pourraient lentement, faire évoluer la situation.

Le Dar al harb pose une toute autre question : celle de la présence en Occident de "musulmans mondialisés" qui ont perdu leurs attaches avec leur pays d'origine et pour qui être musulman "est une identité autant qu'une religion" (p.179). Yves Montenay s'appuie sur la lecture d'Olivier Roy (L'Islam mondialisé, Seuil, 2002) et, dans cette partie, présente le militant d'al Qaida, exemple type du "musulman mondialisé". C'est aussi la partie dans laquelle il développe la situation française, à l’aide de l'exemple du lycée musulman ouvert à Lille en septembre 2003. Les valeurs de la démocratie, de la laïcité sont ainsi confrontées à une lecture islamiste, mais qui n'est pas non plus la seule puisque dans ces pays du Nord existent aussi des musulmans non islamistes.

Dans la quatrième partie, «Des regards biaisés», Yves Montenay analyse la construction d'images réciproques d'incompréhension, et la réponse terroriste qui paraît alors la seule possible dans sa brutalité et son efficacité. Est évoqué le "choc des civilisations". On retrouve ici la question centrale du conflit israélo-palestinien, et l'évolution : d'un antisionisme développé dans les communautés arabes à l'antisémitisme réimporté en Occident ; la possibilité ouverte par le renouvellement des médias de diffuser dans un vaste public ces thèmes et ces images ; le rôle d'une presse écrite d'ont l'influence grandit avec les progrès de la scolarisation ; le rôle également des chaînes de télévision et en particulier d'Al Jézira (Yves Montenay en donne une lecture plus complexe que celle courante, rappelant à son sujet les oppositions et les réticences d'un certain nombre de pays arabes) ; enfin, introduction de la modernité, la nouveauté que représente internet, les cybercafés commençant à se développer, y compris dans les endroits les plus inattendus (par exemple Khartoum). Là comme dans d'autres domaines, on songe à la langue d'Esope… les sites pouvant véhiculer le meilleur et le pire….

C’est un monde qui évolue malgré tout, d'où le conseil donné : affirmer les valeurs démocratiques de l'Occident, mais "éviter un double danger : d'une part amalgamer les conduites hostiles avec la pratique traditionnelle et pacifique du culte musulman (or c'est justement ce que souhaitent les islamistes pour ramener la masse des croyants dans leur camp) et d'autre part une complaisance de type munichois. Cela veut dire aussi soutenir les musulmans "modernes" qui vivent à nos côtés, en évitant de les rejeter vers des groupes hostiles.» (p.259) L'auteur fait preuve d'un relatif pessimisme du moins dans l'avenir proche ; la seule raison d'espérer est l'ouverture du monde musulman…


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 31/03/2004 )
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