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| Marie Duru-Bellat L'Inflation scolaire - Les désillusions de la méritocratie Seuil - La République des idées 2006 / 10.50 € - 68.78 ffr. / 106 pages ISBN : 2-02-085168-7 FORMAT : 14,0cm x 20,5cm
L'auteur du compte rendu: titulaire dune maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère dOrientation-Psychologue de lEducation Nationale. Imprimer
Il faut «toujours plus» déducation, tel est le dogme né des décennies de démocratisation-massification de léducation que la France, comme ses voisins, vient de traverser. Beaucoup y adhérent aujourdhui, pour des raisons variées. Les jeunes et leurs familles espèrent que des études plus longues leur permettront de mieux se placer dans la hiérarchie du travail. Les enseignants gagnent du pouvoir social... et des postes. Les entreprises, de leur côté, ont lembarras du choix pour embaucher des jeunes qualifiés. La prolongation des études profite aussi à lEtat, en ce quelle minimise le taux de chômage des jeunes.
Le dernier opus de Marie Duru-Bellat, essai court, facile à lire et à la portée de toutes les bourses, fait leffet dun pavé dans la mare. Chapitre après chapitre, la sociologue de léducation démonte lune après lautre les croyances qui ont cours actuellement : lécole sert dascenseur social, la méritocratie est un gage du justice sociale, laugmentation de léducation est bonne en elle-même
Elle ne sen tient pas pour autant à la critique, proposant en fin douvrage une autre vision de lavenir. Pas de longue bibliographie, mais lauteure cite ses sources en bas de page ; libre au lecteur daller chercher des précisions sil le souhaite.
Il faut dire que Marie Duru-Bellat est plus quautorisée à traiter ce sujet épineux : ancienne conseillère dorientation à lEducation Nationale, elle est aujourdhui chercheuse à lIREDU (Institut de Recherche en Economie de léducation) et enseigne en sciences de léducation à luniversité de Bourgogne. Elle sest intéressée aux inégalités scolaires et genrées dans lécole, son ouvrage le plus connu étant sans doute à ce jour Sociologie de lécole, coécrit avec Agnès Van Zanten (Armand Colin, 1999). Elle travaille aussi beaucoup avec François Dubet, qui a déjà publié en 2004 LEcole des chances dans la collection "La République des idées" (Seuil).
Lécole est traditionnellement considérée comme un vecteur de lascension sociale. Certes, la mobilité sociale sest faite dans le sens de la montée ces dernières décennies, mais cela est autant dû à une modification de la structure de lemploi quà léducation : les postes de cadres ont de fait augmenté pour la génération des Trente Glorieuses. De plus, lallongement général des études nempêche pas que les plus favorisés gardent leur avance scolaire, et quun noyau de jeunes sortant de formation initiale sans qualification persiste. On constate finalement que la somme des stratégies individuelles de poursuite détudes finit par avoir un effet global négatif, avec des effets de déclassement en chaîne : il en faut toujours plus pour obtenir
la même chose quavant !
Il faut aussi rappeler que linsertion ne dépend pas uniquement des diplômes. Les classes favorisées trouvent dautres moyens que la réussite scolaire pour aider leurs enfants sur le marché du travail. Limportance du réseau relationnel et de la cooptation est connue. A niveau de diplôme égal, on trouve aussi des inégalités selon le sexe ou lorigine ethnique
Curieuse méritocratie ! M. Duru-Bellat questionne la valeur même de cette méritocratie. On nose plus aujourdhui parler de «don» au sujet de la réussite des élèves, cest plutôt le «mérite scolaire» qui est cité. Pourtant lorigine de ce mérite - la famille - est aussi douteuse que celle du don ! Ne peut-on voir la méritocratie comme la position idéologique des plus diplômés qui justifient ainsi leur position sociale ?
Par ailleurs, mérite scolaire et mérite professionnel ne sont pas nécessairement liés. Le mérite professionnel est défini en général par la capacité à prendre des responsabilités, à résoudre des problèmes, à persévérer, à coopérer avec autrui, à sadapter à la nouveauté
Il se trouve que ce savoir-être se retrouve plus souvent chez des enfants de cadres. De toute façon, conclut la sociologue, on ne sait pas précisément quelle est limportance du «mérite» sur le marché du travail ! On peut aussi considérer que déducation est positive en elle-même, indépendamment de la question de linsertion. Il existe effectivement une corrélation entre la richesse dun pays et le niveau déducation. Mais on ignore si cette éducation est la cause ou la conséquence de la croissance. Laugmentation de la scolarisation napporte peut-être plus de bénéfices au-delà dun certain seuil.
M. Duru-Bellat regrette dailleurs que les discours politiques se focalisent plus sur la quantité (la moitié dune génération diplômée du supérieur étant le dernier objectif en date) que sur la qualité de la formation. Aujourdhui, les apprentissages sont censés être utiles. Les élèves sont poussés à travailler pour la note, pour le diplôme, et pas pour le plaisir dapprendre. Un argument en faveur de cette élévation du niveau de formation est que les besoins économiques des décennies à venir exigeraient des qualifications plus élevées. Mais, outre que cet exercice de prospective est périlleux de nos jours, on se rend compte que les besoins à venir du marché du travail ne concernent pas exclusivement des catégories hautement qualifiées (informaticiens, cadres, enseignants) mais aussi des catégories peu qualifiées (agents de service aux personnes, agents dentretien).
Sans même parler des soi-disant «besoins de léconomie», il nest pas évident que plus déducation ait des effets sociaux positifs. Par exemple, une très longue formation initiale peut produire des compétences qui ne seront pas utilisées et deviendront obsolètes ; elle pourrait être avantageusement remplacée par une formation au départ plus courte mais suivie de périodes de formation plus fréquentes au cours de la vie professionnelle. On peut aussi critiquer le «toujours plus» déducation au nom des dommages causés aux jeunes qui se retrouvent déclassés après de longues études et qui risquent dêtre déçus par le travail. De nombreux jeunes voient leur accès à lautonomie (domicile indépendant, fondation dune famille
) repoussé. Marie Duru-Bellat nhésite pas à affirmer que, dans certains cas, des études trop longues peuvent être désocialisantes.
Pour la sociologue, lécole ne doit pas être orientée vers la sélection pendant les premières années, mais uniquement vers la formation, afin de doter lensemble dune génération dune culture commune. Le mérite na pas à entrer en ligne de compte. Lorientation, quand elle survient, devrait prendre en compte dautres dimensions que celle du niveau scolaire. Il est souhaitable, dune manière générale, de valoriser le travail en groupe, les stages, lengagement associatif
En ce qui concerne les études professionnelles (CAP, BEP, bac pro), M. Duru-Bellat suggère de sinspirer du modèle allemand, dans lequel les entreprises participent plus à la formation des jeunes. Au niveau du supérieur, il faudrait selon elle supprimer la division entre enseignements «ouvert» et «fermé». La première année de la licence, du DUT et de la classe préparatoire aux grandes écoles pourrait être commune. Enfin, il est urgent de développer la formation continue.
La sociologue rappelle cependant que lécole ne peut pas à elle seule créer plus de justice sociale. Cest là une question de politique beaucoup plus générale. Il est vain dappeler de ses vux «la revalorisation de lenseignement professionnel» si les emplois auxquels il mène sont de fait dégradés. Il conviendrait en fait dégaliser les positions dans le monde du travail (en France, la différence de salaire entre un ouvrier et un ingénieur est particulièrement élevée). Légalisation des conditions de vie des familles permettrait aussi de faire entrer à lécole des enfants moins inégaux quaujourdhui. La boucle est donc bouclée
Essai iconoclaste, LInflation scolaire risque dêtre critiqué (à tort ?) par la gauche et récupéré (à tort aussi ?) par la droite. Ainsi, le credo «moins décole» peut convenir aux promoteurs du préapprentissage à 14 ans. Or, M. Duru-Bellat défend un niveau élevé déducation pour tous. Quon ne sy trompe pas
Si elle milite pour le rapprochement école/entreprise, ce nest pas dans une perspective de soumission de la première aux besoins de la seconde, mais plutôt dans le sens dune responsabilisation des entreprises dans la formation des jeunes. Elle mentionne dailleurs les critiques actuelles du «modèle allemand» (certains jeunes entrent en apprentissage avec un niveau de formation générale trop faible). Enfin, sa défense dune homogénéisation des modes de garde des jeunes enfants pour égaliser leur développement (au lieu de modes de garde individuels à la maison dont la promotion bénéficie aux ménages aisés) prouve, sil en est encore besoin, que lauteure de LHypocrisie scolaire (Seuil, 2000) continue de sinscrire dans un projet de dénonciation des inégalités.
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 06/02/2006 ) Imprimer | | |
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