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| Teodor Limann Morts de peur - La vie de bureau Les empêcheurs de penser en rond 2007 / 12.00 € - 78.6 ffr. / 88 pages ISBN : 978-2-84671-171-5 FORMAT : 13 x 18,5 cm
L'auteur du compte-rendu : Caroline Bee est co-fondatrice des éditions K&B (www.kandb.fr). Imprimer
Travailleurs affectés dun sévère burn-out et qui rêvez régulièrement de tout plaquer pour aller vendre des frites dans une baraque face à la mer, ce petit essai est pour vous! Teodor Limann un pseudo est cadre dirigeant dans une prestigieuse entreprise. Son parcours est aussi impeccable que le brushing de votre supérieur : Polytechnique, Ponts et Chaussées, début de carrière dans une société de conseil, puis fonction dirigeante au sein dun grand groupe. À 32 ans, il tire de son expérience professionnelle ce savoureux petit pamphlet qui, sil nest pas des plus novateurs sur le fond et parfois un brin naïf limage dÉpinal que lauteur accole systématiquement aux «irréprochables» PME-TPE est notamment exagérée , est suffisamment ciselé et provocateur pour ravir tous ceux qui suffoquent sous les assauts dun libéralisme triomphant et mortifère.
Selon Teodor Limann, on ne fait pas grand-chose dans les grandes entreprises, coques vides dématérialisées de leur finalité, entièrement soumises aux marchés financiers mondialisés et dirigées par des pantins. Ne sachant plus vraiment pour qui ni pour quoi il travaille, le cadre, étouffé entre des audits permanents, les injonctions souvent contradictoires de sa hiérarchie et le verbiage inepte de managers censés augmenter son efficacité, sasphyxie peu à peu dans lenfer dune bureaucratie aseptisée. Il sennuie tout en se surbookant, il rivalise, babille, jalouse, excelise des données chiffrées quil ne comprend pas, verbalise à loccasion de séminaires canyoning, e-mailise beaucoup, change de fonction mais tourne en rond, multipliant les réunions, les «nocturnes» et les pauses sandwichs de 10 minutes, dès fois que le monde tournerait sans lui...
Avec une certaine tendresse pour ces cadres déboussolés là où du cynisme aurait été malvenu et facile Teodor Limann démontre avec une écriture brillante que ce qui sous-tend ce grand cirque triste, cest avant tout une peur immense, que favorise lentreprise, dans la chaleur confinée de ses grands bureaux : peur de paraître incohérent ou inadapté, peur de ne pas être à la hauteur, peur de sa hiérarchie, peur de perdre sa réputation, peur de tout perdre finalement, quand on sest endetté sur 25 ans pour acheter son pavillon et sa voiture. Ensuite, et cest là où Morts de peur gagne en profondeur, Teodor Limann stigmatise labsence didéal et de projet collectif, ainsi que la soumission aveugle aux diktats de la consommation, qui permet la perpétuation de cette peur. Si le but de la vie devient une course effrénée à lacquisition hystérique du dernier gadget à la mode, en perdant de vue limmatériel des choses pour soi et pour les autres alors les grandes entreprises mondialisées se nourriront encore longtemps de ce bétail silencieux, «vaste armée démobilisée et sceptique attendant, sinon le Grand Soir, au moins le soir.»
Caroline Bee ( Mis en ligne le 21/01/2008 ) Imprimer | | |
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