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Moi et non-moi
Christopher Lasch   Le Moi assiégé : Essai sur l'érosion de la personnalité
Flammarion - Climats 2008 /  22 € - 144.1 ffr. / 268 pages
ISBN : 978-2-08-121135-3
FORMAT :  13,5cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Né en 1932, décédé en 1994, Christopher Lasch est l'auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels La Révolte des élites et la Trahison de la Démocratie (Champs-Flammarion, 2007), La Culture du narcissisme (Champs-Flammarion, 2006) ou encore Le Seul et Vrai Paradis (2002, Champs-Flammarion, 2006). Celui qui nous intéresse ici, intitulé Le Moi assiégé : Essai sur l'érosion de la personnalité, n'est pas l'un de ses meilleurs ; Lasch se perd trop souvent dans ses péchés mignons, la digression et le commentaire de texte. Néanmoins, cet essai se situe dans l'optique de ceux déjà cités et offre une analyse générale dès plus pertinentes.

Christopher Lasch est l'un de ceux qui ont compris les leurres de la postmodernité : l'apparition d'une nouvelle élite hédoniste, à la suite des grands mouvements "émancipateurs", a assis un pouvoir basé sur un culte de la marge et sur le fantasme de l'émancipation permanente. Ce mouvement a accéléré le libéralisme et la mondialisation plutôt qu'il ne les a freinés. La stratégie de prédation fut payante. Parallèlement, en quelques dizaines années, le monde a dû affronter de menaces nouvelles : désastre écologique, sentiment d'insécurité, prolifération nucléaire, perte de l'autorité, économie incertaine et ultra-compétitive ont fragilisé la vie et l'ont transformée en exercice de survie. En effet, de fortes tendances instaurent dans la vie quotidienne une rhétorique de situations extrêmes au point où les minorités exposées à la persécution et à la discrimination indexent leur discours aux conditions des rescapés des camps de la mort. "Le regain d'intérêt pour l'histoire de la traite des Noirs, dans les années 1960 et 1970, naquit en partie des études comparant les plantations esclavagistes aux camps de concentration nazis", écrit l'auteur. L'expérience de la persécution peut également détruire la capacité de résistance en détruisant le sentiment de responsabilité personnelle. L'individu en vient à jouer le rôle de la victime passive, et la protestation politique dégénère en apitoiement sur soi.

Christophe Lasch tente dans le premier chapitre de mettre le doigt sur la confusion entre narcissisme et égoïsme. Pour lui, c'est la confusion entre le moi et le non-moi – et pas l'«égoïsme» – qui fonde le drame de Narcisse. Il analyse ensuite dans les trois chapitres suivants la mentalité assiégée et les stratégies de survie psychique qu'elle encourage (ironie défensive, désengagement émotionnel à court et long terme, sentiment d'impuissance et de persécution, fascination pour les situations extrêmes, perception des grandes organisations comme autant de systèmes de contrôle). Les individus sont conduits à fonder leurs choix existentiels sur des critères émotionnels et indistincts renvoyant directement à l'enjeu de la survie. L'auteur comprend fort bien que ce monde aspire à l'autarcie et l'autodestruction.

Même si les chapitres se perdent souvent en commentaires abondants, Christophe Lasch garde une ligne spécifique et tente d'interroger les différentes forces à l'oeuvre dans la société, qui concourent à cette difficulté à définir les frontières de l'individualité. Il s'en prend aussi à l'art contemporain dans sa tentative de nouveauté perpétuelle et d'originalité obsessionnelle, faisant perdre toute limite et tout repère. Il en va de même pour le style minimaliste dans l'art et la littérature, et nous comprenons que l'individualité minimale n'est pas seulement une simple réaction défensive au danger, mais qu'elle procède d'une transformation sociale plus fondamentale : le remplacement d'un monde fiable composé d'objets durables par un monde d'images floues dans lequel la réalité du fantasme sera difficilement distinguable.

Sur ces points, l'auteur oublie de citer le nombre incalculable de films ou d'objets culturels soi-disant de divertissement qui distillent cette idéologie survivaliste et ses corollaires : l'idéologie New Age, la médicalisation outrancière, l'obsession de la santé et du sport, le "bien-êtrisme", les thérapies relaxantes à tendance pseudo-Zen, etc. L'auteur n'est pas dupe car il saisit fort bien que la promotion de la consommation comme mode de vie est non seulement un moyen d'apaiser le malaise industriel mais que cette conversion du travailleur en consommateur est suivie par sa conversion en consommateur de thérapies conçues pour adoucir son «ajustement» aux réalités de la vie industrielle.

A terme, on se demande comment l'individu contemporain parviendra dans sa quête d'émancipation perpétuelle et de bien-être à rendre ce monde habitable. A force d'avoir mis à mal toute autorité, les pouvoirs se sont réorganisés sous des allures déguisées, y compris à l'école ou dans la promotion de la santé avec l'essor d'une classe libérale et gestionnaire qui gouverne la société non pas en brandissant des critères autoritaires, mais en définissant le comportement normal et en invoquant des sanctions prétendument non punitives et psychiatriques. Les individus deviennent des atomes autogérés, qui rentrent violemment en compétition les uns contre les autres, mais au prix de la perte de tout repère et même de toute généalogie.

La force du livre est de nous faire saisir finalement que l’autonomie est un leurre bien plus redoutable que l’asservissement : «Nous constatons désormais que l'effondrement de notre vie commune a entraîné l'appauvrissement de notre vie privée. Libérant l'imaginaire des contraintes extérieures, il l'a exposé plus directement que jamais à la tyrannie des contraintes et angoisses intérieures. L'imagination n'est plus libératrice dès lors qu'elle s'affranchit des contrôles imposés par l'expérience pratique du monde. Au lieu de quoi elle engendre des hallucinations. Hallucinations avec lesquelles le progrès de la connaissance scientifique, dont on pourrait attendre qu'il décourage la projection de nos peurs et de nos espoirs intérieurs sur le monde qui nous entoure, n'interfère pas. (…) Elle [la science] n'offre pas non plus le même contrôle de l'imaginaire autrement sans bornes que propose l'expérience pratique du monde. De fait, elle intensifie le sentiment dominant d'irréalité en donnant aux hommes le pouvoir d'assouvir leurs fantasmes les plus fous. En brossant le tableau de possibilités technologiques illimitées – voyages spatiaux, manipulations biologiques, destruction massive –, elle supprime le dernier obstacle à la fantaisie pure. La science met la réalité en conformité avec nos rêves, ou plutôt nos cauchemars» (pp.27-28).

Au final, Christopher Lasch pose plusieurs questions philosophiques et existentielles insolentes sinon dérangeantes : "Et si le progrès technologique était une illusion ? Et s'il aboutissait non pas à un plus grand contrôle de l'environnement physique mais à un environnement de plus en plus prévisible, un retour de la capacité refoulée de destruction dans la nature elle-même? Et si l'impulsion qui meut le développement technologique (mais pas nécessairement l'esprit d'enquête scientifique) était elle-même pathologique? Et si la pulsion de s'affranchir par nous-même de la nature, pulsion qui jamais n'atteint son but, naissait de la tentative inconsciente de restaurer l'illusion de la toute-puissance infantile?" (pp.227-228)


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 25/06/2008 )
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