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Science sans conscience...
Pierre-André Taguieff   La Bioéthique ou le juste milieu - Une quête de sens à l'usage du nihilisme technicien
Fayard 2007 /  22 € - 144.1 ffr. / 363 pages
ISBN : 978-2-213-62723-6
FORMAT : 13,5cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen(Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman(Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Dans ce nouveau livre, Pierre-André Taguieff, historien des idées, philosophe et politologue, directeur de recherche au CNRS (Paris, CEVIPOF), s'attaque à un sujet délicat : la bioéthique. Depuis le début des années 1970, la justification de la bioéthique réside dans l'inquiétude devant l'accélération des progrès techno-scientifiques qui paraissent menacer l'humanité de l'homme. Il est presque de notoriété publique que la plupart des «bioéthiciens» présupposent que le recours aux nouvelles techniques biomédicales soulève des problèmes moraux inédits. Contraception, procréation artificielle, diagnostic prénatal et diagnostic préimplantatoire, avortement, expérimentation médicale, greffes d'organes, génie génétique, thérapie génique (somatique et germinale), acharnement thérapeutique, euthanasie, transgénèse, thérapie génique, clonage etc., tant de termes qui ont défilé devant nos yeux, suscitant peur ou enthousiasme.

La question de l'expérimentation sur l'humain a été posée lors des procès de Nuremberg entre 1945 et 1947, années durant lesquelles des criminels de guerre nazis furent jugés pour avoir utilisé comme matériaux pour de prétendues expériences scientifiques des êtres humains traités comme des infra-humains. La question des frontières entre l'humain et l'inhumain s'est imposée comme une question éthique et juridique fondamentale. Il est aussi un fait, que l'on a du mal à considérer dans toute son ampleur : le progrès scientifique et technique n'engendre pas nécessairement une amélioration de la condition humaine. Avec la modernité, une nouvelle figure de l'hubris est apparue, liée au développement technologique sans terme ni finalité et à la puissance croissante qu'il paraît garantir.

Le débat est complexe car les domaines soulevés sont nombreux : éthique, théologie, philosophie morale, médecine, biologie, anthropologie, droit. Comme à son habitude, Pierre-André Taguieff tente de faire le point sur le sujet qu'il aborde, avec l'ampleur nécessaire : arguments sérieux, analyses minutieuses, multiples références (au point que certaines notes dépassent le texte principal!), commentaires répétés. Chacun de ses livres constituent une mine d'informations importantes.

Pierre-André Taguieff tente donc de raisonner, d'éloigner fantasmes et peurs, d'établir un débat sérieux où chacun peut déployer ses analyses. C'est sur un tel terrain que le lecteur peut vraiment progresser dans sa pensée. Car la peur est souvent mauvaise conseillère. Elle empêche de réfléchir et efface les distinctions en confondant par exemple l'eugénisme autoritaire d'État (programme biopolitique, volontarisme mélioriste doublé d'un dirigisme étatiste visant à contrôler les pratiques procréatives d'une population donnée) et l'eugénisme libéral, individualiste ou «domestique», fondé sur des choix parentaux concernant certaines caractéristiques de l'enfant désiré. On peut s'interroger sur l'emploi du même mot négativement connoté, «eugénisme», pour désigner à la fois des pratiques criminelles planifiées et le recours à des techniques de dépistage prénatal ou à des diagnostics génétiques dans le cas de familles dites «à risques».

Pierre-André Taguieff tente de faire le tour de la question, de comprendre les enjeux en cours, de cerner les différentes attitudes : «Face aux progrès des sciences et des techniques, trois grandes positions se dégagent : la position strictement techniciste, pour laquelle la question éthique ne se pose pas, l'enthousiasme technophile étant jugé suffisant ; la position abstentionniste, qui dérive logiquement de la démonisation de la technoscience et paraît vouée à chercher dans le théologico-religieux ou dans une «écosophie» fondamentaliste ses principes absolus en vue de conserver et préserver l'humanité de l'homme ou la «nature humaine», inscrite ou non dans la «nature» ; la position humaniste, qui fait appel à l'argumentation visant le consensus et à la vertu de prudence, ainsi qu'à la responsabilité de l'homme dans le contrôle du développement de la technoscience et dans la régulation de ses applications Mais la position humaniste peut se dire au moins en deux sens : d'une part, en un sens prométhéen, lequel rend notamment acceptable l'eugénisme sous telle ou telle forme ; d'autre part, en un sens humanitariste impliquant des interprétations diverses des droits de l'homme» (pp.285-286).

La bioéthique tente donc un pari impossible : la recherche de la neutralité implique de réaliser l'idéal de non-allégeance ou de non-dépendance vis-à-vis de configurations idéologico-politiques ou théologico-religieuses particulières, et de définir des normes universelles ou à tout le moins raisonnables. "La problématicité de la «bioéthique» peut se résumer par la formule : «Ni l'un ni l'autre, mais les deux ensemble», dont une traduction possible est : «Ni le progrès ni l'arrêt du progrès, mais les deux ensemble» (pp.89-90). La bioéthique se réduit ainsi à une pratique de la discussion perpétuelle entre experts de diverses disciplines et obédiences pour rédiger des «avis» de circonstance, formulés de telle sorte qu'ils puissent ne choquer personne ou presque. Cependant, le «juste milieu» recherché par la réflexion bioéthique risque de ressembler à un centre vague, un consensus provisoire plutôt mou.

Tout est analysé, répertorié et argumenté, aussi bien les positions technophiles, technophobes ou encore la position chrétienne, en particulier celle de l'Église catholique dont la morale est fondée sur le principe selon lequel Dieu est la mesure de toutes choses. Notamment, l’auteur s'interroge sur le concept de dignité humaine et la thèse du personnalisme chrétien, celle du caractère sacré de la vie humaine, de la conception de la mort dite naturelle. L'auteur pointe les contradictions, telles celles de l'utilitariste Peter Singer qui, faisant jouer le critère de l'autonomie, classe d'un côté les embryons et les fœtus humains, les nouveau-nés, les malades mentaux et les comateux parmi les non-personnes et l'utilise en même temps pour attribuer aux animaux le droit au respect.

Pierre-André Taguieff ne tient pas à se laisser déborder ni par les extrêmes, ni par le centre. Il discute les termes comme celui de clonage, distinguant le clonage à finalité reproductive du clonage dit «à visée thérapeutique», nouveau moyen au service de la médecine régénératrice. Avec lui, la diabolisation sera difficile même en ce qui concerne l'eugénisme. Certes, le débat est éminemment technique et il serait trop complexe de s'aventurer dans toutes les positions. Évidemment, ce même débat oblige à s'interroger sur ce qu'est l'éthique, voire la morale et pose une question importante : face aux progrès technoscientifiques et à leurs applications, peut-on et doit-on fixer une frontière entre l'acceptable et l'inacceptable ? "Car «sauver» l'éthique ou la morale, cela signifie d'abord l'arracher au relativisme qui ne saurait reconnaître que des éthiques, des morales relatives au lieu, au temps, au contexte culturel, voire aux sensibilités individuelles ou communautaires" (p.121).

Cette question en suppose une autre : sur quels fondements éthiques ou moraux (anthropologiques, philosophiques, théologico-religieux) faire reposer le choix d'une telle frontière ? Faut-il considérer que l'idée d'une exigence universelle est désuète ? Mais n'est-ce pas là une conclusion typiquement historiciste, illustrant le relativisme postmoderne, l'esprit de notre époque ? Peut-on définir des règles qui permettraient tout à la fois de ne pas annuler les «progrès» technoscientifiques et de ne pas détruire le milieu naturel, ni de transformer la nature humaine au point de fabriquer une post-humanité ? Et qu'en est-il de la prétention humaine à intervenir directement dans le processus de procréation ? "Le problème revient à définir une biopolitique méliorative dotée d'un contenu éthique, variété d'un humanisme «réaliste» : l'homme étant aussi un animal susceptible d'être amélioré de diverses manières (dressage, éducation, sélection, etc.), il s'agit de déterminer une eugénique compatible avec les principes humanistes, voire conforme à ces derniers. Comment améliorer l'homme sans manquer de respect à l'égard de son humanité ? Tel est l'énoncé du problème" (pp.210-211).

Il y a quelque chose de mélancolique dans l'évocation de ce "juste milieu", préalable à toute discussion bioéthique, comme s'il s'agissait "d'échapper au malaise engendré par le progrès technoscientifique après la fin de la «religion du Progrès»». Certes, on l'encadre mais pourquoi l'être humain se retrouve-t-il toujours débordé par ses propres inventions ?

Bref, voilà un livre passionnant qui soulève de très vastes questions.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 30/06/2008 )
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