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Sharon : mythe et réalité
Tanya Reinhart   L'Héritage de Sharon - Détruire la Palestine, suite
La Fabrique 2008 /  15 € - 98.25 ffr. / 239 pages
ISBN : 978-2-913372-51-1
FORMAT : 13,5cm x 20,0cm

Traduction d'Eric Hazan.
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«Au moment où paraît ce livre, en mars 2006, le monde occidental est encore sous le charme de la légende de Sharon, de l’histoire du grand tournant qu’il a imposé à la politique israélienne : de l’occupation extensive vers les concessions et la modération. Depuis l’évacuation des colonies de la bande de Gaza, le discours dominant veut qu’Israël ait parcouru sa part du chemin et annoncé sa bonne volonté pour les prochaines étapes, et que ce soit maintenant aux Palestiniens de prouver qu’ils sont capables de vivre en paix avec ce voisin animé des meilleures intentions. Comment est-il possible que Sharon, le dirigeant le plus brutal, le plus raciste, le plus manipulateur qu’Israël ait jamais connu, ait terminé sa carrière en héros de la paix ? La réponse développée dans ce livre est que Sharon n’a jamais changé. La naissance de ce mythe reflète la toute-puissance d’un système de propagande qui, pour paraphraser Chomsky, a atteint la perfection dans la fabrication de la conscience». Ces lignes qui constituent le début de l’introduction du livre en résument parfaitement la problématique et la conclusion.

L’auteur, universitaire israélienne militante du vrai camp de la paix en Israël (une paix fondée sur la vérité historique, l’honnêteté politique et la justice pour les Palestiniens), déboulonne le mythe Sharon : celui d’un ancien faucon qui vieilli et humanisé par l’expérience, devenu plus sensible aux malheurs produits par soixante ans de conflit israélo-palestinien et quarante ans d’occupation de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, serait devenu soudain un «réaliste» et un «modéré» et, grâce à son ancienne réputation, le meilleur défenseur de la paix, sa meilleure chance à partir de 2003. Cette conversion étonnante, Sharon l’a mise en scène peu de temps après avoir conquis le pouvoir après une campagne démagogique et populiste perverse contre les Accords d’Oslo dont tous les observateurs notèrent qu’elle constituait une véritable provocation envers les Palestiniens et poussait au désespoir et à la violence les Palestiniens. Comment le critique le plus extrême de la politique (déjà timorée) de Rabin et Pérès pouvait-il se transformer si vite en leur successeur ?

Convaincus ou pragmatiques, les États et les médias occidentaux ont accepté de prendre pour argent comptant cette histoire et lui ont donné du crédit : Sharon aurait été un de ces faucons assagis qui seuls peuvent faire la paix, parce qu’ils inspirent le respect à leurs ennemis et, rassurant leur propre opinion, peuvent lui faire accepter les cruelles concessions. Cette facilité des politiques et média occidentaux à cautionner la légende tient selon Reinhart non seulement au rôle de porte-avion occidental au Proche-orient que joue Israël mais au poids de lobbies très actifs et très influent notamment aux États-Unis. Israël compte sur eux pour activer et organiser les communautés juives, afin d’agiter la menace d’un vote sanction auprès des partis de gouvernement. Quant à l’analyse froide des manœuvres israéliennes, elle est présentée comme un procès d’intention relevant peu ou prou de tendances antisémites. Cela explique les zigzags des États occidentaux (et des États-Unis en particulier), agacés des brutalités et de la mauvaise foi israéliennes, entre défense de leurs intérêts et retour au soutien quasi-inconditionnel au nom des valeurs judéo-chrétiennes de l’occident».

On l’a compris, Reinhart ne partage pas du tout l’interprétation d’une sorte de trahison de son camp (les durs et fanatiques du Likoud) par un nouveau Sharon. Selon elle, le dernier gouvernement Sharon est dans le droit fil des expériences précédentes : brutal et dominateur avec les Palestiniens, manipulateur avec l’opinion internationale, toujours pragmatique et cynique. C’est simplement une adaptation tactique à la situation embarrassante créée par les Accords d’Oslo conclus devant la communauté internationale et l’allié américain en particulier (qui souhaite la stabilisation de la région pour mieux traiter les affaires d’Irak et d’Iran ou d’Afghanistan après le 11 septembre 2001, moment du retour au pouvoir de Sharon). Dans cette nouvelle phase, Sharon a changé de discours : en mai 2003, il se met à parler d’occupation à propos des territoires envahis en 1967 après la Guerre des 6 jours, un terme jusque-là utilisé par les adversaires du Likoud et le camp de la paix ainsi que les moralistes choqués de ce nouvel impérialisme colonial d’Israël et inquiets des conséquences du parcage des Palestiniens désarmés dans des ghettos de misère pour l’image du pays.

«En 1969, le philosophe israélien Yeshayahu Leibovitz prévoyait que dans les zones occupées des camps de concentration seraient construits par les maîtres israéliens (…) Israël deviendrait un État qui ne mériterait pas d’exister, qui ne vaudrait même pas la peine d’être préservé» (p.192). Or continue Reinhart, si la Cisjordanie n’en est pas encore là : «Sommes-nous si loin de la prophétie de Leibovitz avec la bande de Gaza et ses barbelés électrifiés ?» Et la politique réelle de Sharon y est pour beaucoup ! Aussi le changement de discours de Sharon fut-il une ruse pour abuser les naïfs de son pays et du monde. As de la provocation, Sharon suscita à dessein les protestations de la droite du Likoud (une extrême-droite militariste fanatique du Grand Israël), des maladroits qui déconsidéraient Israël, et se donna une image de modéré. Rompant avec ses anciens partisans inconditionnels, Sharon créa alors un parti «centriste» (Kadima) avec l’aile droite du parti travailliste et le soutien d’un Pérès vieilli qui voulait s’accrocher au pouvoir… Une magnifique opération de com’.

Depuis avril 2006, Sharon est dans le coma et survit dans un état végétatif ; il a été remplacé par Olmert, nouveau dirigeant autocratique de Kadima. Mais rien n’a changé : l’esprit de Sharon demeure en vie, sa politique est mise en oeuvre. L’emmurement des Palestiniens est présenté comme la condition d’une meilleure vie pour eux et une œuvre de sécurité pour Israël ! Or de quoi s’agit-il de l’avis de tous les experts : d’une opération d’appropriation du maximum des bonnes terres de Cisjordanie (c’est la seule raison du tracé sinueux d’un mur qui déborde sur les terres palestiniennes occupées, qui devraient leur être rendues intégralement) et qui barre l’accès à leurs terres aux paysans arabes par du béton. D’un côté les Arabes, de l’autre l’eau et les terres cultivables ! Si l’on ajoute le mitage de la Cisjordanie à la pauvreté des zones urbaines et villageoises qu’on va laisser aux Arabes et à la coupure entre Cisjordanie et bande de Gaza (elle-même surpeuplée, privée d’eau par Israël comme la Cisjordanie, et sans moyens de subsistance), on a une bonne idée de ce que pourrait être «l’État palestinien», à supposer qu’il puisse voir le jour…

Car la politique de Sharon c’est aussi de chercher et au besoin créer tous les prétextes pour retarder la reconnaissance d’un tel État (assassinats ciblés de dirigeants emblématiques aux moments les plus sensibles, interventions provocantes de Tsahal, etc.). On comprend le caractère dérisoire des demandes occidentales de bonne volonté aux Palestiniens et en quoi la création d’un tel État ne peut constituer une réponse décente et juste aux revendications palestiniennes : des vérités peu dites aux occidentaux qu’on abreuve de faits coupés de leurs causes (les actes terroristes de désespérés, présentés en «fanatiques religieux» et considérés comme des martyrs par leur peuple). D’ailleurs, suscitant la violence palestinienne (certains Israéliens paient les pots cassés) avec l’assurance de la contrôler (du fait de l’avantage technologique de son armée), le pouvoir israélien crée les «preuves» spectaculaires de sa propre «modération», preuves aussitôt médiatisées comme il se doit.

Reinhart le montre bien : si même mort-vivant Sharon domine encore la politique israélienne, c’est en raison d’une culture sioniste violente ancienne dans laquelle communient le Likoud et un parti travailliste incapable de dépasser son nationalisme et dominé par les faucons; Kadima (allié aux travaillistes !) comme auparavant les «unions nationales» le prouvent, il y a accord sur l’essentiel en matière de politique arabe depuis très longtemps... Dans la démocratie israélienne, régime parlementaire instable, c’est en fait l’état-major de l’armée qui impose ses vues aux politiques, même à gauche, quels que soient les votes de la base syndiquée et plus «internationaliste» ou pacifiste … Une démocratie qui est d’ailleurs l’un des pays les plus corrompus du monde, selon les études internationales, comme le montrent les scandales actuels concernant le Premier Ministre Olmert (qui refuse de démissionner et menace de ne quitter le pouvoir qu’en provoquant une crise politique majeure… le sens de l’État !) mais aussi avant lui Ariel Sharon, symbole du système (un militaire politique enrichi proche du business).

Face à ce pseudo «désengagement» militaire d’Israël, Reinhart ne voit de solution pour les Palestiniens que dans la résistance unie face à Tsahal, notamment en Cisjordanie contre le mur, un sujet d’inquiétude pour le gouvernement Olmert qui fait son possible pour semer la zizanie entre Hamas et Fatah. Le dialogue selon Sharon : des Palestiniens qui se désarment eux-mêmes avant de «négocier» sur rien de substantiel, avec Israël sur-armé.


Max Lehugueur
( Mis en ligne le 25/07/2008 )
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