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Un critique heureux
François Truffaut   Les Films de ma vie
Flammarion - Champs 2007 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 360 pages
ISBN : 978-2-08-120300-6
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Préface d'Emmanuel Burdeau.

L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez L’Harmattan, de La Quête de l’altérité dans l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman – Le cinéma entre immanence et transcendance (2001).

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On sait que les cinéastes de la Nouvelle Vague ont été d’abord des critiques. On sait aussi que nombre d’entre eux ont continué à écrire sur le cinéma des autres après leur passage à la mise en scène. Il est cependant regrettable que les magnifiques films de ces auteurs aient fini par occulter leurs textes souvent remarquables. Parmi ces cinéphiles, dont l’amour du septième art signifiait à la fois dire ses admirations pour les faire partager et créer des œuvres résolument modernes, François Truffaut occupe à l’évidence une place d’honneur.

En ce sens, la réédition en format de poche par Flammarion des Films de ma vie (1975) constitue un heureux événement pour tous ceux qui aiment le cinéma. Chef de file de la «Politique des auteurs» lancée au début des années 50, le réalisateur des Quatre cents coups (1959) a inauguré une façon inédite de regarder les films et d’en parler, qui a marqué plusieurs générations de critiques aux Cahiers du cinéma et ailleurs. Sous l’impulsion d’André Bazin, Truffaut n’a rien moins qu’inventé une nouvelle critique cinématographique qui, malgré ses ambigüités, a nourri de ses partis pris l’âge d’or de la cinéphilie.

Accompagné d’une préface – «Un critique heureux» – écrite pour cette édition, l’ouvrage est composé de cinq grandes parties précédées par le texte liminaire «A quoi rêvent les critiques ?». La préface d’Emmanuel Burdeau, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, tente d’approcher l’originalité de la «méthode» qui caractérise l’écriture sur le cinéma inventée par Truffaut dans les années d’après-guerre. Portée par une passion qui se communique, cette critique personnelle «ne s’ajoute pas au cinéma à la manière d’un élément extérieur (…) Elle n’est plus une parole en plus, un commentaire. Elle habite le même monde» (pp.III-IV). C’est pourquoi, cette écriture est a priori sans critères puisque ces derniers lui sont fournis par chaque film considéré. En explicitant les deux citations d’Orson Welles et de Henry Miller placées en exergue du recueil, le préfacier rappelle que, pour les futurs cinéastes de la Nouvelle Vague, un «auteur» obéit au précepte suivant : faire un cinéma qui «lui ressemble» (p.V). Dès lors, mettre en évidence et défendre la vision singulière du réalisateur, à partir de la compréhension de sa mise en scène, constituent les buts principaux de cette critique traversée par un «fantasme archéologique» (p.V). A la surface de l’image, l’«écrivain de cinéma» (Truffaut au sujet de Bazin) doit faire émerger le processus créatif comme si l’on assistait au tournage.

Dans son texte introductif, l’auteur relate sa découverte à la fois éblouissante et secrète du monde du cinéma sous l’Occupation : «Mes deux cents premiers films, je les ai vus en état de clandestinité, à la faveur de l’école buissonnière, ou en entrant dans la salle sans payer» (p.14). Le cinéphile s’est naturellement mué en critique, puis en metteur en scène après la Libération – trois expressions de l’amour du cinéma qui ont fini par coexister. Mesurant la distance qui le sépare (en 1975) du début des années 50, Truffaut examine les rapports ambigus entre les réalisateurs et ceux qui les jugent. Si le critique considérait un film réussi à condition qu’il exprime «simultanément une idée du monde et une idée du cinéma» (p.17), le cinéaste attend désormais de l’œuvre qu’elle traduise «soit la joie de faire du cinéma, soit l’angoisse de faire du cinéma» (Idem). Face à la méfiance et à la vulnérabilité du créateur, Truffaut affirme la légitimité de la critique, pourvu qu’elle parle de cinéma, c’est-à-dire de la forme cinématographique.

De l’aveu même du «critique-cinéaste» (p.21), ce volume ne représente qu’un sixième de ce qu’il a écrit : le recueil résulte donc d’un choix clairement assumé qui privilégie les «articles favorables ou enthousiastes» (p.30) aux dépens de ceux qui lui ont valu la réputation de «démolisseur du cinéma français». Il y a des textes qui datent de la période où l’auteur n’était que critique dans diverses revues (1954-1958) et d’autres qui sont signés par le metteur en scène. La première section, «Le grand secret», est centrée sur des metteurs en scène dont la carrière a commencé à l’ère du muet et s’est poursuivie à l’époque du parlant. Les articles sur Carl Dreyer et John Ford sont nécrologiques. Dans ses analyses du réalisateur de L’Homme tranquille, Truffaut explique comment, en devenant lui-même metteur en scène, «il a carrément retourné [sa] veste» (p.31) : ce changement radical de point de vue souligne l’infléchissement du travail de critique sous l’influence du nouveau créateur. Le critique-cinéaste exprime son admiration pour l’un de ses maîtres les plus chers : Jean Renoir, qui est l’un des rares français – avec Jean Vigo et Abel Gance – à figurer dans cette série. Après des études élogieuses sur Lubitsch, Chaplin, Lang, Capra, Hawks et Sternberg, Truffaut manifeste son enthousiasme face aux films d’Alfred Hitchcock.

«La génération du parlant» est consacrée à des cinéastes de la génération suivante. Le premier chapitre rassemble des textes sur de nombreux cinéastes américains connus (Billy Wilder, Cukor, Nick Ray) et sur des œuvres méconnues qui ont été importantes pour Truffaut (Love me or leave me de Charles Vidor, The Naked Dawn d’Edgar G. Ulmer dont la critique est à l’origine de Jules et Jim). Le second chapitre a pour objet divers réalisateurs français que Truffaut considère, malgré une idée reçue tenace, avec beaucoup de nuances. La quatrième section, «Quelques outsiders», regroupe des articles très intéressants, et malheureusement le plus souvent négligés par la postérité, sur des figures du cinéma mondial qui, quoiqu’inclassables, ont en commun d’avoir inventé le cinéma moderne : Bergman, Buñuel, Norman MacLaren (considéré comme «l’un des plus grands cinéastes du monde» - p.32), Fellini, Rossellini, Welles. Ce chapitre s’achève sur les portraits des acteurs Humphrey Bogart et James Dean.

La dernière partie, «Mes copains de la Nouvelle Vague», se penche sur les œuvres des autres adeptes de la "Politiques des auteurs", qui ont, pour beaucoup d’entre eux, à la fois écrit sur le cinéma et réalisé des films : Resnais, Astruc, Varda, Vadim, Chabrol, Malle, Godard, Rozier, Rivette (à qui est dédié l’ouvrage), Kast, et bien d’autres. Il s’agit, comme le titre l’indique, de soutenir les cinéastes de la Nouvelle Vague dont les créations étaient incomprises et attaquées de toutes parts. Ces textes ne relèvent pourtant pas du simple copinage en ce sens qu’ils éclairent avec finesse les films et les démarches qui les sous-tendent, en même temps qu’ils expriment une évidente complicité.

Ainsi, l’intérêt actuel d’une réédition des Films de ma vie apparait multiple. D’abord, le recueil nous replonge – non sans nostalgie – dans une période (les années 50) qui, comme le souligne Emmanuel Burdeau, tranche avec la nôtre par «l’unité d’un monde esthétique à laquelle répondait l’unité d’un monde humain» (p.VII). Ce lien harmonieux et mutuellement fécond entre critique et cinéma, et au-delà entre l’art et le monde, semble désormais rompu : l’itinéraire biographique et critique de Serge Daney incarne tragiquement l’agonie de l’âge d’or de la cinéphilie. La critique contemporaine ne peut plus se fonder que sur la conscience de cette rupture. Ensuite, Truffaut s’est lui-même défini comme un «critique heureux» : reconnaissons allègrement que lire ses écrits procure un indéniable bonheur. La critique qui a promu la "Politique des auteurs" a inventé un style remarquable dont la principale qualité est de marier la clarté de l’expression à la précision de l’analyse : l’amour des films est à la source de cette écriture passionnée, traversée par l’enthousiasme partial parfois injuste, mais qui nous emporte presque toujours.

Enfin, alors que la néocinéphilie d’aujourd’hui, profondément éclatée, refuse toute hiérarchisation (peut-être même toute critique au sens étymologique), la lecture de ces articles est une invitation à voir et à revoir les œuvres (désormais toutes classiques, même si c’est leur modernité qui fascina le critique-cinéaste) des maîtres admirés par François Truffaut. Cette redécouverte est assurément la meilleure façon de nous convaincre, au moment où il semble permis d’en douter, que le cinéma(tographe) peut être un art authentique.


Sylvain Roux
( Mis en ligne le 16/05/2007 )
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