|
Essais & documents -> People / Spectacles |
| Marc-Édouard Nabe L'Âme de Billie Holiday La Table Ronde - La petite vermillon 2007 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 267 pages ISBN : 978-2-7103-2955-8 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm Imprimer
Cest une édition de poche que nous propose La Table ronde de cet ode à Billie Holiday publiée en 1986. uvre de jeunesse qui suit de très près trois autres livres assez sulfureux dont Au régal des vermines paru un an plus tôt et qui valut à son jeune auteur «lhonneur» dêtre catalogué de suite écrivain sulfureux par les bien-pensants, mais aussi antisémite et haineux. Faveurs classiques de lépoque accordées aux artistes qui dérangent, quand cette dernière na que des réponses politiquement correctes et démagogiques à apporter à ses condisciples !
Quon ne sattende pas ici à une biographie de la célèbre chanteuse de Jazz Billie Holiday (1915-1959) dite Lady Lay, car ce qui intéresse avant tout Marc-Edouard Nabe, cest décrire, de faire de la littérature par le biais du Jazz, de la personnalité de cette femme incroyable, et daccaparer dans son langage, pour le moins imagé et furieux, ce monde si particulier de la musique et den retranscrire son émotion. LÂme de Billie Holiday est un essai sur la vision dun jeune homme sur le Jazz, une chanteuse symptomatique ainsi que le rendu dune esthétique littéraire basée sur quelques figures de style bien connues et archi-utilisées, ce qui peut déconcerter lorsque lon ne connaît pas luvre (du reste extrêmement variée) de cet écrivain prolifique. Car Nabe, pour exprimer sa passion bien connue pour le Jazz, mais aussi pour la littérature de Céline, Rebatet, Bloy, Pound, Powys, Suarès et bien dautres, ny va pas de «plume morte» et déploie un horizon de jeux de langage parfois foireux, dhyperboles accrocheuses ou encore doxymores décoiffants ! Tout est excessif dans son écriture et la littérature doit insuffler son ressenti avec des mots puisés directement dans le champ lexical de la passion ! En cela cet essai est une réflexion sur lémotion baignée par un style hurlant son adoration pour les maîtres du Jazz, écriture peut-être emportée par la fougue de la jeunesse (Il a 27 ans lorsquil compose son livre).
Au-delà de cette réflexion esthétique et morale, Marc-Edouard (dont le talent de mémorialiste et de conteur subtil nest plus à prouver) improvise lui aussi sur ce quil connaît à la perfection. Lhistoire du Jazz, des dizaines danecdotes, des faits historiques, des petites histoires essentielles et touchantes qui frappent le lecteur quant au destin des génies tels que Billie dont la voix fait penser au ftus Nabe, baignant encore dans le liquide amniotique de la poche placentaire de sa mère, venue à lun de ses récitals, à un miaulement infini. Belle expression. Cest tout le talent dun écrivain de mettre un mot sur un trait précis ou une intonation. «Ni grave ni aiguë, ni sucrée ni salée, ni aigre-douce ni douce-amère, la voix de Billie na pas de tessiture : elle serpente dans les spectres sans se laisser classer. Elle fore les basses fréquences, déhanche celle des anches qui lui ressemblent : cest un cygne aux harmoniques inférieurs qui joue au basson, puis vibre en vol laissant dans la mare les ondes suffisantes à troubler la verdeur du ciel reflété» (p.51).
Voici le type de métaphore classique qui parsème louvrage de bout en bout. Lautréamont aurait peut-être apprécié cette verve, parfois totalement gratuite mais débordante dimages inclassables, féroces, furieuses, volontairement provocantes ou faciles, bref tirées de son chant littéraire improvisé et baroque. Car si la musique a une large place dans ce petit traité de Jazz, il nen reste pas moins quà lépoque Nabe devait encore convaincre pour se faire une place auprès des Sollers, Hallier, Muray et les autres. Excessif dans la vie, il en rajoute souvent des tonnes pour impressionner ses pères ; ce quil parviendra à faire, les deux premiers cités le prendront chacun leur tour sous leurs épaules durant un temps. Ce quil y a dintéressant à retenir, cest que ce livre est un peu le revers du Régal des vermines où il vomissait la terre entière. Ici Nabe défend ses pères et ne sattache quà cela, sans déborder sur le reste ; cest assez gonflé lorsque lon sait ce qui lui est tombé dessus après cette première publication.
Le texte regorge dimpressions éparses, parsemées au fil de lécriture comme un récital. Nabe ne peut sempêcher de parler de lui, de se mettre en scène avec sa femme, faisant lamour, surentraînés par la voix suave de Billie Holiday qui fait monter les corps jusquau paradis. Cétait lépoque où Hélène était légérie de notre écrivain, où les femmes ne lavaient pas trop fait souffrir et où il pouvait laisser libre cours à ses fantaisies autobiographiques primaires. De plus, et cest le plus important, le texte aborde tout un univers artistique où lon côtoie tous les grands noms du Jazz des années 30 à 50. Il aurait pu dailleurs titrer son livre Billie et Lester tant Young appelé «le Président» est considéré comme un dieu, en fait Dieu et reste omniprésent durant la lecture. «Lester fut notre seule croyance. Jai entendu parler de Dieu bien après le Président. (
) Il est lair du ciel, celui qui nous fait respirer très haut, jusquau vertige. Lester est devenu un élément. Il y a le Feu, lEau, la Terre, lAir et Lester, Lestair pour mieux dire»(p.97).
Tout le talent de Marc-Edouard Nabe est davoir su miser grâce à un style qui lui est propre sur la capacité de retranscrire lémotion du Jazz au moyen des grandes figures classiques de la littérature moderne. On peut aussi évoquer la structure du livre, elle aussi volontairement éclatée. Cest aussi un hommage vibrant à une chanteuse au destin tragique, femme unique dans un genre dominé exclusivement par des hommes, à une voix incroyable, à cet instrument unique, à cette femme embarquée dans la drogue et des amours déchirants, banalités étayées ici avec la fougue des furieux de la vie et de lart. Un livre sur la passion, destructeur.
A la fin du livre, Nabe propose une série dimages qui pourraient, une bonne fois pour toutes, définir ce quétaient à la fois la musique, la voix et le personnage de Billie Holiday. Retenons celle-ci : «Quelque chose de blafard dans la négritude».
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 24/09/2007 ) Imprimer | | |
|
|
|
|